Baskets Adidas, sweats à capuche et esprit de bande : les recettes du succès du style casual

Après un énième après-midi passé à errer sur Twitter, je suis tombé sur plusieurs comptes dédiés à la culture casual. Je ne suis ressorti de ce microcosme que plusieurs heures après, impressionné par la quantité de documents disponibles – photos, textes ou vidéos – et par la puissance qui s’en dégageait. Que l’on s’intéresse à l’histoire de ce mouvement, à la mode qui en découle, aux musiques associées ou encore aux magnifiques tifos créés par les casuals, chacun y trouve son compte. Cet underworldbien particulier est né en Grande-Bretagne dans les années 70. Depuis plus de 40 ans, il continue de fasciner les fans de culture foot, pour son esthétisme, mais aussi pour son rapport à la violence. Un nombre impressionnants de documentaires et de fictions, dont le plus connue reste Hooligans, permettent aux nouvelles générations de fans de foot de perpétuer les us et coutumes des casuals.

A l’origine, la culture casuale était considérée comme l’héritière directe du mouvement des mods, né dans les années 50. Le point commun entre ces deux sous-cultures ? Offrir à la jeunesse de la classe moyenne et ouvrière anglaise un espace d’expression à travers la mode et la musique à une époque où le culte de la virilité interdisait à tout individu de sexe masculin de s’intéresser aux fringues ou à la danse. L’esthétique casual offrait aux jeunes Anglais un moyen de se rebeller contre les codes de la génération précédente. En revanche, mods et casuals différaient sur un point : les premiers s’exprimaient en faisant preuve d’excentricité vestimentaire, les seconds en exploitant et détournant le codes du conformisme. Les casuals trouvaient dans ces tenues conventionnelles un moyen d’affirmer une identité construite autour de l’idée de tribu et de célébrer ainsi l’esprit de corps et de camaraderie qui règne dans les stades de foot.

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« Être casual, c’est un moyen de s’affranchir des autres supporters à travers ton style de vie et tes fringues» – un supporter hollandais, gérant du compte Twitter Casual Ultra

La culture casual est souvent présentée comme la tête d’affiche culturelle du foot anglais et comme la particularité qui a permis aux clubs d’outre-Manche de gagner en prestige et en respectabilité dans le monde entier. Les supporters des grands clubs anglais comme Liverpool étaient reconnaissables rien qu’à leurs tenues, souvent siglées Company, L’Alpina, Lacoste ou Adidas, qui leur ont donné une certaine renommée en Europe. Cette reconnaissance naissante n’était pas forcément une bonne chose, car la culture casual a du coup été associée aux bagarres violentes qui éclataient entre supporters. Résultat, aujourd’hui, le terme “casual” est presque devenu un synonyme de hooligan. Ce qui n’a pas empêché certaines marques comme Stone Island, Fila ou Diadora de surfer sur la vague et s’imposer sur le marché du sportswear dans les années 80.

Le mouvement casual souffre aussi d’une mythification à posteriori. Ce que ça veut dire, c’est que ces éléments saillants de la culture casual des années 80 ont été exagérés et grossis dans les films produits à ce sujet dans les années 90, comme Hooligans ou The Football Factory. Bien sûr, on ne peut pas nier qu’une minorité de casuals ait trempé dans les bastons, les trafics divers et la violence, mais le fait est qu’aujourd’hui le mouvement est uniquement considéré sous cet angle alors qu’il est bien plus divers et complexe. Si cet amalgame plaît aux casuals qui ont adopté ce style pour affirmer leur côté viril, l’immense majorité qui s’y intéresse plus pour le foot, la mode et la musique que pour les combats de rue n’y trouve pas forcément son compte. A la manière des premiers casuals qui étaient proches des mods, ceux-là tentent de faire revivre le mouvement mod en écoutant aussi bien Paul Weller qu’Oasis ou Cool Britannia, ce qui a permis à la scène indé en question de continuer à se développer dans les années 90.

Elijah Wood lors d’un match de West Ham lors du tournage de Hooligan. On remarque les logos Stone Island. // PA Images

Malgré le regain d’intérêt du grand public pour le mouvement avec la sortie de Hooligans, les casuals ont commencé à lentement décliner au début des années 2000. Les suites débiles de Hooligans et les évolutions de la culture de la jeunesse britannique ont fait perdre une partie de leur prestige aux casuals. Si les communautés casuales sont encore très vivaces dans certaines régions du royaume, elles existent surtout sur le Net, sur les forums de fans, les sites de ventes en ligne de fringues et les réseaux sociaux.

L’un des phénomènes les plus intéressants à observer sur ces forums et autres sites dédiés, c’est que la plupart d’entre eux sont administrés par des fans étrangers, vivant dans d’autres pays d’Europe, voire même aux Etats-Unis ou au Canada. La boucle est ainsi bouclée, car le style casual de la jeunesse anglaise des années 70 s’était inspiré de la mode continentale européenne. Aujourd’hui, les Européens admirent à leur tour les lads britanniques. Prenons l’exemple du compte Casual Ultra, géré par un supporter hollandais du SC Cambuur, qui a accepté de parler à VICE Sports de sa passion pour le mouvement casual.

« Être casual, c’est un moyen de s’affranchir des autres supporters à travers ton style de vie et tes fringues. C’est un mouvement qui se développe à grande vitesse dans toute l’Europe. On est très nombreux à avoir choisi le style casual au SC Cambuur. Je pense que les Pays-Bas accueillent la deuxième plus grosse communauté de casuals du monde derrière l’Angleterre », plastronne notre interlocuteur, qui a choisi de rester anonyme. Sur ce compte, vous trouverez des photos de fumis et autres merveilles pyrotechniques, des vidéos de bastons mais aussi des déplacements d’ultras ainsi que quelques fringues mises en valeur. La violence est assez présente sur les photos postées, nul doute d’ailleurs qu’une partie du succès de ce compte repose là-dessus.

L’administrateur du compte affirme que ses posts ont déjà été signalés ou censurés à plusieurs reprises car considérés comme trop violents ou indécents. On est en droit de se demander si la facilité avec laquelle les hools postent des vidéos ou des photos de leurs bagarres sur le Net n’a pas contribué à façonner cette image radicale et marginale dont souffre le mouvement casual aujourd’hui. Comme si l’existence de cette sous-culture dépendait uniquement de quelques affrontements les jours de matches. C’est en tout cas le message que les réseaux sociaux et les médias traditionnels font passer au grand public, quitte à déformer et dénaturer l’esprit originel du mouvement. Dites-vous bien qu’aujourd’hui, la plupart des hooligans impliqués dans les bagarres ne sont plus casuals. Entre la prolifération des caméras de surveillance et la spécialisation des services de police dédiés à la lutte contre le hooliganisme, il est devenu presque suicidaire pour les hools de sa balader en arborant leur look de casual.

La culture casuale est interprétée différemment selon les gens qui s’en emparent, mais tous les membres de la communauté partagent une passion commune : celle des marques de fringues des années 70/80, ce qui peut d’ailleurs s’avérer très coûteux de l’aveu de notre casual batave. Pour nous parler de l’esthétique casual, on s’est adressé à Daniel Wilson, propriétaire d’une fripe baptisée Casual Cultures, à Derby, une ville située au nord de Birmingham, en Angleterre. Dan est fan de Derby County depuis toujours. Grâce au club et à l’influence familiale, il a toujours baigné dans l’esprit casual.

« Mon grand-père m’emmenait au stade toutes les semaines quand j’étais gamin, rembobine-t-il, ramené à ses doux souvenirs d’enfance. J’ai immédiatement adoré cette ambiance. Il collectionnait les vêtements et écoutait la musique casual, c’est là que j’ai développé ce goût pour cette esthétique particulière. Je me souviens qu’il me faisait découvrir Oasis, Black Grape, The Charlatans et The Verve. On se mettait ça avant d’aller au stade. On portait des t-shirts Stone Island, Henri Loyd et CP Company. Ces fringues coûtaient jusqu’à 120 euros, mais à l’école, personne ne s’en rendait compte. »

Dan s’abonne pour la première fois à 14 ans, et commence à investir dans une nouvelle garde-robe : « Je voyais les potes sortir leur casquettes Burberry et leurs écharpes Aquascutum. Je voulais leur ressembler. Heureusement, mon grand-père bossait dans le prêt-à-porter. Je lui ai emprunté quelques fringues, tout est parti de là. C’est comme ça que j’ai commencé à me créer ma nouvelle identité. »

La nouvelle identité “casual” de Dan est faite de mode, de musique, mais surtout de camaraderie : « Je n’ai jamais été impliqué dans des bagarres ou dans quoi que ce soit de violent. Après, c’est vrai que je connais quelques mecs qui tirent prestige et fierté de faire partie d’une firm qui se bastonne. » Alors que les interdictions de stade ont plu sur les hools anglais ce quinze dernières années, il est devenu presque impossible pour les têtes brûlées du royaume de se rendre aux matches de Premier League. Résultat, la plupart d’entre eux se rabattent sur des clubs et des rencontres de moindre importance, plus facilement accessibles. Mais tous ces débats n’intéressent que très peu Dan, qui s’intéresse plus aux nouvelles marques en vogue, tout en ayant lancé la sienne, Lombes.

A l’origine, Dan prenait plaisir à vendre les marques du passé qui connaissaient une nouvelle vague de succès comme Lyle & Scott ou Fila. « Mais après quelques mois, je me suis rendu compte que je préférais me concentrer sur les petites marques indépendantes, pour privilégier les vêtements produits artisanalement. Je me suis intéressé à des marques comme Casual Connoisseur, Basläger, The Beautiful North ou encore Stand. Toutes ces marques sont anglaises et ont été créées ou emploient des vrais fans de foot », se réjouit Dan.

Lombes, la marque de Dan, rentre dans cette catégorie. Il ne propose qu’une cinquantaine de produits différents, ce qui signifie que chaque acheteur a un vêtement unique qu’il pourra garder toute sa vie. Les marques “casual” se livrent une concurrence féroce pour le titre de référence en la matière, sur ce mini-marché, c’est un peu à celui qui aura la marque la plus confidentielle.

Une logique qui rentre un peu en contradiction avec l’esprit de camaraderie et de fraternité qui est censé régner dans le mouvement, et unir tous les membres. Vaios, porte-parole de la Casual Factory, un site de vente de vêtements en ligne, explique à VICE Sports : « Chacun donne au mouvement casual un sens personnel, mais je pense qu’il y a un trait commun, celui de se sentir en marge de la société, voire en opposition à elle. Il y a un respect mutuel entre ces membres d’une même communauté qui se pose en rejet de la norme.» Cela renforce l’idée selon laquelle le monde casuale est difficilement pénétrable, d’autant plus qu’il traîne également une réputation de misogynie qui ne plaide pas en sa faveur.

Malgré tous ces écueils, la culture casual est toujours bien vivante. Pour expliquer cette formidable résilience, Dan avance un argument : « La jeunesse se cherche toujours une identité ou une cause à défendre. Je pense que le mouvement casual répond à ces attentes. Son héritage s’est transmis de génération en génération. Tu as des mecs comme Drake qui portent du Stone Island et des marques comme Supreme ou Engineered Garments sont devenues cultes. »

Image via Real Clobber Magazine // TOMOD Photography.

Luke Taylor apporte un autre éclairage sur la question de la concurrence qui peut régner au sein du mouvement casual. Rédacteur en chef de Real Clobber Magazine, il s’est spécialisé dans la mode et critique « ce monde où il n’existe aucun lien entre les gens qui achètent et portent les mêmes vêtements. » A propos de l’importance de la mode dans la construction du mouvement casual, Luke explique que ces vêtements de sportswear classiques et discrets ont été adoptés par les casuals pour éviter de se faire repérer par la police à l’origine. Avec le temps, la notion d’habillement casual a évolué vers quelque chose de plus raffiné et aristocratique : « Les gens ont commencé à se regarder de travers, à se dire “ma veste coûte plus cher que la tienne” et ce genre de trucs. Je pense que c’est aussi un moyen pour les gens des classes les moins favorisées d’avoir l’impression d’échapper à sa condition en descendant au pub du quartier avec une veste à 400 euros. C’est une fuite aussi, mais ça fait vivre de se demander qui a la plus belle fringue. »

Cette idée de « snobisme casual » peut sembler ironique dans le contexte de ce mouvement principalement implanté chez les Anglais les moins riches. Il dessine néanmoins les contours des évolutions sociologiques des casuals, dont certains, qui appartiennent à la classe moyenne voire aux élites, ont plus de moyens que d’autres. Le désir de grimper dans cette hiérarchie, de se voir adoubé par ses pairs pour son bon goût et ses dépenses en fringues. A leur manière, les casuals ont réinventé une forme de mondanité hors des normes classiques de la société. C’est finalement un comportement très humain, qu’il ne nous appartient pas de juger, et qui permet à ceux qui suivent cette mode de se sentir appartenir à un groupe. C’est pour cela que malgré les amalgames établis avec le phénomène de la violence dans le foot, le mouvement casual a encore de beaux jours devant lui.