Culture

Des carcasses chevalines, du sel et de l’urine

La première chose face à laquelle vous vous retrouvez dans l’exposition de Berlinde De Bruyckere est une vitrine de verre dans laquelle trois carcasses de chevaux sont sanglées les unes aux autres. « No Life Lost » est une méditation chevaline sur l’abattage, le renouveau et la dualité de la condition humaine.

Dans les murs de la galerie de Manhattan Hauser & Wirth, les œuvres à la beauté repoussante de De Bruyckere serpentent entre la mythologie, l’histoire et les rencontres personnelles avec ses installations de cire, peaux et métal. De sa série de peintures (Met tere huid, ou Of Tender Skin) à un moulage de 18m d’un orme mort occupant une pièce entière (Kreupelhout – Cripplewood), chaque œuvre touche le spectateur avec des images de contorsion, de beauté, de massacre et de vulnérabilité.

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Avant de pénétrer dans la salle où repose Kreupelhout, les visiteurs rencontrent des représentations d’animaux morts, étrangement bien imités, principalement des chevaux, avec cinq œuvres. Les trois destriers de cavalerie, No Life Lost II, reflètent la mort au combat, une réflexion que le Belge De Bruyckere explore dans son œuvre depuis 1999. Les corps sont recréés avec de la peau de cheval, du bois, du cuir, des tissus et du fer.

Vue d’installation, Berlinde De Bruyckere. No Life Lost, Hauser & Wirth New York, 2016 © Berlinde De Bruyckere. Kreupelhout – Cripplewood, 2012-2013. Photo : Mirjam Devriendt

Les autres pièces sont imprégnées du même sentiment morbide de mélancolie. Dans To Zurbaran, un jeune poulain gît sur une table de poids, les pattes liées, faisant à la fois référence au sacrifice de l’agneau de la tradition chrétienne et à la crise des réfugiés syriens qui a marqué les esprits du monde entier avec les petits corps d’enfants déversés sur les rives de la Méditerranée. Les toiles de Met tere huid mêlent des teintes douces et âpres pour rendre compte de l’imagerie cruelle et de la douceur de la chair animale. Penthesilea II est une reproduction en cire d’une peau écorchée, une représentation conceptuelle tirée d’un opéra basé sur le mythe antique de Penthésilée, reine des Amazones, et du guerrier Achille.

Vue d’installation, Berlinde De Bruyckere. No Life Lost, Hauser & Wirth New York, 2016 © Berlinde De Bruyckere. To Zurbarán, 2015. Photo : Mirjam Devriendt

Mais l’installation la plus saisissante est sans doute No Life Lost I, qui se présente comme trois rangées de macabres silhouettes pendues. On pense irrémédiablement aux Détraqueurs d’Harry Potter mais après examen plus approfondi, le spectateur aperçoit des poils, des sabots, un museau : ce sont des moulages parfaitement reproduits en cire, acier et époxy. De Bruyckere a construit ces trois rangées de peaux pendues en cire en souvenir d’une visite dans l’atelier d’un tanneur de cuir. Le communiqué de presse de Hauser & Wirth rapporte sa réaction : « L’odeur d’animaux fraîchement abattus, le sel se mêlant au sang sur le sol… Je ne sais toujours pas quoi mais j’ai vu là de puissantes images. J’étais incapable de détourner le regard… Je savais que j’étais témoin quelqu’un chose que j’avais besoin de retranscrire. Je n’ai jamais autant ressenti la vie et la mort aussi intensément que là-bas. » Elle a ensuite invité Romeu Runa, un danseur contemporain portugais, à vivre la même expérience.

Accompagnant l’exposition « No Life Lost », Runa y a donné une réponse profondément vulnérable et crue. Sa seconde collaboration avec De Bruyckere, Sibylle, a seulement été produite cinq fois, à des heures précises, de janvier à avril 2016.

Vue d’installation, Berlinde De Bruyckere. No Life Lost, Hauser & Wirth New York, 2016 © Berlinde De Bruyckere. No Life Lost I, 2014 – 2015. Photo : Mirjam Devriendt

Afin de rendre compte de la nature de la décomposition et ayant recours à un ingrédient utilisé pour la préservation dans le commerce des peaux, Runa commence sa performance dans le sel — elle s’ouvre sur son corps nu, allongé dans un tas de sel. Au fur et à mesure que son œuvre se déploie silencieusement, il passe de l’élévation à l’effondrement. Durant l’un des rares moments où il se dresse debout, il urine sur le sel. Sibylle échappe à toute description tangible et apporte une dimension inattendue au travail de De Bruyckere.

En conclusion de la performance de Runa, ses pas l’amènent lentement hors de la pièce et de notre vue. L’effort l’a laissé sans voix et c’est avec affabilité qu’il dit « Je suis désolé, je dois sortir, j’ai besoin d’air frais ». Le personnel de Hauser & Wirth décrit la performance comme « clairement émotionnelle et hautement émouvante à chaque fois » — on n’en doute pas.

Romeu Runa performe Sibylle © Berlinde De Bruyckere et Romeu Runa. Publiée avec l’aimable autorisation des artistes et de Hauser & Wirth. Photo : Mirjam Devriendt

Pour en savoir plus sur l’œuvre de Berlinde de Bruyckere, cliquez ici.