L’afflux de migrants en Italie ces dernières semaines se répercute logiquement à Calais, au nord de la France, dernière étape pour les migrants désireux de rejoindre l’Angleterre. Le ministre de l’Intérieur, en déplacement à Calais ce lundi pour la troisième fois en six mois a fait l’état des lieux, rencontrant associations et migrants. Il a encouragé ces derniers à demander l’asile en France plutôt que de tenter de rejoindre l’Angleterre à tout prix par des voies illégales et dangereuses. Son déplacement, deux semaines après le pire naufrage en Méditerranée qui a coûté la vie à environ 800 personnes, traduit la politique annoncée par le gouvernement français pour endiguer l’immigration : offrir de meilleures conditions aux migrants sans créer d’appel d’air, favoriser l’asile politique plutôt que l’immigration économique, réformer le droit d’asile et lutter contre les filières de passeurs.
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« Trop de migrants qui pourraient bénéficier de l’asile en France hésitent encore », dans l’espoir de gagner l’Angleterre, a affirmé Bernard Cazeneuve lors d’un discours. « Nous devons leur faire comprendre clairement que l’asile en France est la meilleure chance pour eux, » a-t-il ajouté. Le ministre a réitéré cette injonction en anglais aux migrants qu’il a rencontrés lors de sa visite : « C’est la meilleure chose à faire pour régler les problèmes, pas de payer des passeurs pour tenter de traverser. »
Bernard Cazeneuve s’est rendu sur le camp de la « new jungle », un bidonville situé à plusieurs kilomètres du centre de Calais, sur lequel les migrants ont été déplacés par les autorités au début du mois d’avril. Les associations ont dénoncé un « Sangatte à ciel ouvert », faisant référence au centre d’accueil du même nom, qui a accueilli des migrants de 1999 à 2002 dans un ancien hangar d’Eurotunnel. Pendant plusieurs semaines, les différents bidonvilles où vivaient les migrants ont été vidés — par la force, dénoncent certaines organisations — et cette nouvelle jungle, sans infrastructure, est désormais le seul lieu où ils sont tolérés.
D’après la préfecture du Pas-de-Calais, entre2300 et2400 migrants clandestins vivent en ce moment à Calais. La sénatrice-maire (UMP) de la ville, Natacha Bouchart, s’est félicitée de ce nouveau campement qui aurait « déchargé » Calais et permis selon elle de « juguler les problèmes de sécurité dans le centre-ville ». Mais pendant la visite du ministre de l’Intérieur, les associations ont attiré l’attention des autorités sur les risques sanitaires que présentait cette nouvelle jungle. « Il y a un début d’épidémie de gale. Ils défèquent dans les buissons. Quand nos bénévoles vont sur ce terrain, les gens disent qu’ils ont faim et soif, » a dénoncé Martine Devries, de l’association Médecins du monde.
Le nouveau bidonville est situé à un kilomètre environ du centre d’hébergement de jour Jules Ferry, qui fonctionne en pleine capacité depuis deux semaines. Le ministre de l’Intérieur, qui avait annoncé la réhabilitation de ce centre aéré en espace d’accueil à l’automne dernier est aussi allé « vérifier les conditions dans lesquelles ce que l’on fait est mis en ?”uvre, » selon ses mots. Les migrants peuvent y recharger leurs téléphones portables, prendre une douche, et une centaine de places accueillent femmes et enfants. Tous les jours, près de 1 300 repas chauds y sont servis.
Bernard Cazeneuve a demandé à ce que « la pression sur les passeurs et les filières » soit maintenue. Cette déclaration coïncide avec la condamnation ce lundi d’un jeune passeur irakien à seize mois de prison ferme par le parquet de Saint-Omer. Le jeune homme, âgé de 19 ans, a été arrêté dans la nuit du 30 avril au 1er mai à l’avant d’un fourgon Ford Transit transportant 19 réfugiés syriens. Refusant un contrôle de gendarmes, il a été poursuivi sur 150 kilomètres avant d’être finalement arrêté. D’après le ministère de l’Intérieur, 30 pour cent de filières ont été démantelées en plus en 2014 par rapport à 2013.
Toujours selon le ministère de l’Intérieur, en 2014, 885 demandes d’asile ont été déposées en France, et depuis le début de l’année 2015, elles s’élèvent à 455. Mais quand il a déclaré aux migrants qu’ils feraient mieux de demander l’asile en France plutôt que de tenter la traversée de la Manche, l’AFP rapporte que ceux-ci ont rétorqué qu’ils avaient peur s’ils restaient en France d’être renvoyés en Roumanie ou en Italie, pays dans lesquels ils sont rentrés dans l’Union Européenne (UE). Or selon le règlement Dublin II, qui pose le cadre juridique des demandes d’asile dans l’UE, les migrants doivent demander l’asile dans le premier pays dans lequel ils arrivent (dans lequel ils sont tout du moins repérés pour la première fois par les autorités). Beaucoup des migrants de Calais sont ainsi des « dublinés », c’est-à-dire que leur demande d’asile est de la responsabilité d’un autre État membre que la France. Ils doivent donc vivre dans la clandestinité six à huit mois avant de voir leurs dossiers de demande d’asile examinés par la France.
Bernard Cazeneuve s’est dit conscient de ce problème, en déclarant qu’il était « urgent de doter l’Union européenne d’une politique migratoire et d’une politique de l’asile qui soit à la hauteur des enjeux. » Il a annoncé qu’il rencontrerait ses homologues au Niger le 14 mai prochain pour discuter de nouvelles stratégies pour juguler flux migratoires et développement.
Suivez Mélodie Bouchaud sur Twitter : @meloboucho