« Johnny & Moi » est une rubrique dans laquelle nous essayons de comprendre le lien passionnel qui unit les Français à Johnny Hallyday au travers de discussions avec des artistes actuels, jeunes et moins jeunes, passionnés, fascinés, perplexes ou intrigués par le personnage et sa musique.
Il y a quelques années j’ai eu la chance de rencontrer Johnny Hallyday. C’était à Los Angeles au printemps 2012. Exilé à Malibu, il préparait une nouvelle tournée (la 181ème selon Wikipédia) et mon vieux copain Yarol Poupaud, engagé comme guitariste et directeur musical (opérant alors un salutaire retour aux sources blues du bonhomme), m’avait invité à assister à leur dernier filage dans une immense salle de répétition, située au cœur de la vallée, qui aurait pu contenir un 747. Une offre que personne n’aurait refusé. Mais lorsque Yarol m’a présenté Johnny avant le show, j’ai franchement eu peur : l’idole des jeunes ressemblait à un boxeur sonné qu’on aurait oublié dans les vestiaires après une défaite cuisante (ou à sa marionnette passée au micro-ondes, si vous préférez). Puis très rapidement le groupe s’est mis en place et sans un regard pour les quelques privilégiés dans l’assistance (sa femme et ses copines, un ou deux journalistes), le vieux loup que j’avais jugé un peu vite usé jusqu’à la corde s’est saisi de son micro et… et je me suis pris un TGV en pleine face.
En un fragment de seconde, Johnny, à quelques mètres, était en effet redevenu ce qu’il n’a jamais cessé d’être: un animal sauvage. Un fauve né d’instinct pour la scène, dirigeant ses troupes de son fameux regard bleu électrique et donnant tout ce qu’il a dans les tripes pour la seule gloire du rock. À la fin du concert, ma copine avait les larmes aux yeux et j’étais totalement terrassé. Johnny venait de nous rouler dessus durant près de deux heures et je mesurais la chance qui m’avait été accordée : un véritable fan se serait mutilé un bras avec un coupe ongle pour être à ma place ce soir là.
Plus tard, nous nous sommes retrouvés dans un sushi en sa compagnie. À l’autre bout de la table Johnny parlait de ses problèmes d’impôts avec une vieille connaissance et de l’élection présidentielle à venir : François Hollande, une fois élu, allait-il les ratiboiser ? Après avoir terminé son saké, il s’est levé pour fumer une Gitane et j’en ai profité pour le suivre. On s’est retrouvé tous les deux sur la parking à regarder en silence les voitures filer dans la nuit en tirant sur nos cigarettes. Je ne savais pas du tout comment l’aborder. Alors j’ai jeté un oeil à la boutique à nos cotés qui vendait des accessoires pour animaux et je lui ai demandé : « Vous aimez les chiens ? », il m’a répondu « Oui », puis, en allumant directement une nouvelle Gitane avec le mégot de la précédente, il m’a parlé de son chien préféré qu’il avait du laisser en France et qui lui manquait terriblement. J’ai alors pensé à cet interview de Robert Mitchum pour 30 Millions d’Amis : l’acteur le plus coriace de tous les temps y devenait un bloc de tendresse, soudain hyper loquace, en évoquant son bichon qui lui sautait sur les genoux comme la dernière des groupies. Puis nous sommes rentré finir nos poissons crus.
À la fin du repas, lorsque Johnny a filé sous les palmiers au volant de sa corvette avec Laetitia à ses cotés, j’ai vu disparaître sur les highways de L.A. le dernier héros du rock français.
Tout a été dit sur Johnny Hallyday, mais nul ne pouvait mieux le faire que Bertrand Burgalat. Si le caïd de Tricatel œuvre de l’autre coté du miroir, comme le prouve son brillantissime dernier album Ces Choses Que L’On Ne Dit À Personne, il est depuis toujours ce fanatique de soul music et de rock’n roll dont le cœur bat au rythme d’une caisse claire. Avant d’aller répéter avec son gang, les fidèles A.S. Dragon, B.B. a arrêtée sa moto face au Canal Saint-Martin pour nous parler de son rapport avec Jean-Phillippe Smet, ce type qui a passé 60 ans dans la peau de Johnny.
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Noisey : Tu as toujours été fan de Johnny où tu as eu un déclic ? J’imagine que quand tu étais jeune ce n’était pas évident de l’aimer…
Bertrand Burgalat : Oui parce que quand j’étais jeune ce qui était français n’était pas assimilé au rock. Johnny quand j’avais 8, 10 ans il n’était pas dans POP2 mais dans les émissions des Carpentiers. C’était une vedette populaire, j’avais rien contre. Au début des années 80, quand il a fait son retour, ça me paraissait super bizarre d’entendre à son propos le mot rock alors que ce qu’il faisait avec Michel Berger était très loin du rock. Je ne le voyais pas comme un rockeur. Mais à ce moment là, j’ai acheté des disques de Johnny avec des morceaux comme « À Tout Casser » et je me suis rendu compte que c’était très fort musicalement en dehors de toute la mythologie autour de lui.
En redécouvrant Johnny, il y a une période que tu as préféré ?
J’adore cette période juste avant les années 70 où il est avec tous ces anglais, Tommy Brown, Mick Jones, Steve Marriot, Peter Frampton… Il fait un truc psychédélique, très électrique, mais j’aime aussi ses morceaux soul. De toute façon avec Johnny le répertoire est tellement vaste et il a tellement misé à un moment sur des modes que tu peux écouter selon tes envies du rock, des ballades, de la variété…
Comment tu expliques ce lien passionnel qui unit les français à Johnny ?
Ce mec a passé sa vie à suer sur scène et je trouve juste qu’il y ait une rétribution, une fidélité du public. Il y a quelque chose que j’ai mis du temps à comprendre avec les concerts. Ce qui m’intéressait c’était de faire de la musique et je ne savais pas quelle forme cela prendrait. Je voyais bien que les choses que je faisais sur scène avait du mal à passer parce que je me demandais si j’étais légitime. Il y a une notion qu’on apprend en sport ou en montagne : c’est la notion d’engagement. Sur scène, il faut y aller. Si on est là à se regarder les pieds en se demandant ce qu’on fait là ça ne marche pas. Johnny au contraire son engagement est total et je trouve réconfortant que cet engagement ait été payer en retour par la fidélité du public. On le voit très bien dans J’ai Tout Donné, le film que François Reichenbach lui a consacré en 1971 ou dans son court métrage À La Mémoire Du Rock qui est pour moi un des plus grands films de tous les temps.
Dans À La Mémoire Du Rock, on sent très bien que Johnny est le symbole de l’émancipation des jeunes du début des années 60 et qu’il y a lors des concerts de rock à cette époque un bouillonnement proche de l’explosion…
Johnny à l’époque c’est le cheval gagnant. Ce qui est marrant c’est de se demander pourquoi ce sont les Beatles qui ont gagné et pas Gerry & The Pacemakers. Pourquoi c’est Johnny et pas Noël Deschamps, Vigon ou Ronnie Bird qui étaient aussi très bonS ? Ça a été Johnny parce qu’il y a un destin. Il y a un entourage, bien sûr : Johnny, le premier mec qui l’a signé c’est Jacques Wolfsohn, un mec génial. Après Johnny c’est émancipé parce que Wolfsohn c’était quelqu’un de minimaliste qui devait lui dire « Tu vas enregistrer chez Vogue rue d’Hauteville avec les mecs sur place ».
J’étais très ami avec Wolfsohn et il m’avait dit que Johnny s’était cassé de chez Vogue parce qu’il avait eu un accident de voiture et Léon Cabat le patron de Vogue était venu le voir à l’hôpital et lui avait offert un pyjama. Six mois plus tard Johnny reçoit son relevé de royauté et il voit qu’on lui avait déduit le prix de son pyjama ! [Rires] Ça a été la goutte d’eau et il s’est cassé chez Phillips. En tout cas on a toujours eu l’impression qu’il avait un entourage toxique mais Johnny a une grâce unique. L’équivalent c’est presque un mec comme Delon de ce point de vue là, des mecs qui viennent de milieux populaires qui ont une espèce d’élégance aristocratique, anti conformistes, des mecs de droite mais beaucoup plus ouverts que certaines personnes qui se définissent de gauche. Delon il est à la fois copain avec Jean Cau et il fait Monsieur Klein, ce sont des mecs de paradoxe, Johnny c’est une somme de contradictions qui le rendent attachant.
À un moment donné, on a senti que pas mal de gens qui étaient passé à coté de lui se sont enfin rendu compte de l’ampleur du personnage…
J’ai toujours trouvé un peu lamentable ces entretiens avec Daniel Rondeau dans Le Monde, des gens un peu snob qui se sont dit « c’est bien maintenant d’aimer Johnny » comme on les a vu s’enticher de football. Bien sûr, ils ont le droit, mais c’est une pose condescendante. Pendant la campagne présidentielle comme je suis dans le syndicat des éditions phonographiques, on a rencontré les responsables des programmes culturels des candidats, dont l’un qui est aujourd’hui directeur de cabinet de la Ministre de la Culture. Le mec nous dit que son candidat aime beaucoup la musique, qu’il joue du piano et qu’avant ses meetings Macron chante « Gabrielle ». Donc Macron aime Johnny. C’était son argument pour la culture venant d’un mec qui sort de la cour des comptes. Donc Johnny aujourd’hui c’est un marqueur, quelqu’un qu’on revendique alors qu’avant c’était plutôt honteux. Mais Johnny, lui, ça le dépasse, il est au-dessus de ça.
Est ce que tu trouves que Johnny a une dimension tragique, sacrificielle ?
Il y a un truc que je trouve malsain avec Johnny et qui est général à la musique, au monde du spectacle aujourd’hui, c’est la souffrance par procuration. De la même façon, pendant des années,on a vu le calvaire d’Amy Winehouse ou de Michael Jackson. Je suis allé voir la semaine dernière Nick Cave au Zénith. C’était un très beau concert mais c’était très étrange. Avant le public venait voir Nick Cave pour assister à la rédemption du junkie et là tu sentais qu’il venait voir quelqu’un qui a perdu son fils. C’était assez atroce. Avec Johnny, ça fait 15 ans que ses paroliers lui font des chansons sur le thème « Je vais bientôt mourir allez-y », ils méritent la prison ces gars là !
Tu aurais aimé écrire une chanson pour Johnny ?
Ça fait 25 ans que je dis que j’adorerais travailler avec Johnny. J’étais très heureux quand Fred Jimenez [ancien bassiste d’A.S. Dragon] a joué avec lui. Dès qu’on a monté A.S. Dragon pour moi c’était évident qu’il aurait eu du plaisir, surtout à un moment -les années 2000- où il était assez mal entouré, à faire de la musique avec nous. J’étais très content quand Yarol s’est rapproché de Johnny mais moi j’aurai adoré faire quelque chose avec ce mec. Pas uniquement musicalement mais humainement parce que c’est quelqu’un pour qui j’ai de l’affection et beaucoup de sympathie. Tout ce qu’il dégage me plait, y compris ses défauts. Ses défauts, je les trouve splendides.
Ce qui est très fort chez lui c’est qu’il a toujours été plus grand que les sarcasmes…C’est marrant ce que tu dis parce que à un moment, il y avait beaucoup de condescendances à son égard, alors que c’est un mec d’une grande intelligence. Ma meilleure amie, la journaliste et écrivain Marie-Dominique Lelièvre a été envoyée par Libé pour lui tirer le portrait. Elle ne le connaissait pas et Marie-Dominique Lelièvre c’est vraiment quelqu’un qui n’a aucune forme d’a priori. Ce qu’elle fait est très subjectif. Elle passe deux heures avec lui et trouve le mec génial et fait un superbe portrait de lui. À Libé, ils étaient emmerdés, ils pensaient que, comme elle a la réputation d’être vache, elle allait lui régler son compte. Elle a tout de suite vu toute l’humanité de Johnny.
Il y a un trait de caractère qui est très touchant chez lui, c’est qu’il n’a jamais été arrogant malgré une carrière hors normes…
C’est vrai. C’est vraiment marrant quand tu vois la génération de ces mecs qui ont commencé au début des années 60 de constater ceux qui sont devenu énormes et ceux qui sont restés sur le carreau. Sur la ligne de départ, il y avait des gens de grande qualité. Vince Taylor c’était un mec qui dégageait un truc génial mais en même temps il pouvait pas tenir la distance parce qu’il faut une force de caractère que Johnny a, malgré tous ses excès.
Et malgré l’exploitation qu’on a fait de lui…
Oui, et il faut pas oublier qu’avant Alain Lévy, Pascal Nègre et Universal, il vendait très peu de disques. Les disques du début des années 80, avant Berger, c’est 15 à 30 000 exemplaires…
On a l’impression qu’à chaque fois qu’il redémarre c’est en revenant à ses fondamentaux, au pionniers du rock…
Et en même temps, ça fait 15 ans qu’il dit qu’il va faire son disque de blues et à chaque fois il le fait pas vraiment. C’est dommage, moi j’aurai adoré faire pour lui en France ce que Rick Rubin a fait pour Johnny Cash aux États-Unis : quelque chose qui soit à la fois respectueux de ce qu’il a fait sans être un pastiche. C’est très compliqué pour les légendes : ils vont pas se mettre à faire du rap ! [Rires] Là, les disques, tu as l’impression qu’il est en pilotage automatique. À chaque fois il dit qu’il veut faire son disque de blues mais je pense qu’il y a tellement d’intervenants derrière qui lui trient les morceaux que c’est impossible pour moi de lui faire parvenir un morceau. J’ai pas le droit.
C’est qui ta femme de Johnny préférée ?
Sylvie Vartan, je crois. Ma femme [la créatrice Vanessa Seward] l’a habillé et on l’écoute beaucoup à la maison. Sinon j’ai fait une fois une chanson avec Nathalie Baye, très sympathique. Leatitia, je ne la connais pas mais ça fait longtemps qu’elle tient la barre, je la trouve touchante. Et puis il y a Babeth qui jouait dans Le Gendarme et les Gendarmettes [Rires]. Babeth elle a le charme de l’inconnue. Les snobs diront Babeth [Rires].
Et si tu devais garder une image de Johnny ?
Johnny il appartient à l’humanité, il appartient à la France : on a tous tendance à se l’approprier selon nos fantasmes, parfois avec condescendance, parfois avec une curiosité malsaine pour ses souffrances. Johnny, c’est un miroir. Ce qu’on peut dire sur lui en révèle au final beaucoup plus sur nous.
Bertrand Burgalat dirige toujours le label Tricatel d’une main de velours et vient de sortir Variations, un album de remixes de son dernier disque, Les Choses Qu’on Ne Peut Dire À Personne, paru en mai dernier.
Quand il n’écrit pas des romans nommés au Prix de Flore, Clovis Goux est sur Noisey.