Jeff Le Rennais est né le 24 juillet 1957 à Édimbourg. Rebaptisé Big John Duncan, il a d’abord évolué à la guitare au sein des furieux The Exploited, fer de lance du mouvement « Punks Not Dead ». Après trois albums et quelques singles, John mit crête et cartouchières de côté pour monter son propre projet, Blood Uncles, tombé dans l’oubli malgré une version particulièrement convaincante du « Let’s Go Crazy » de Prince.
Durant son parcours, John Duncan a côtoyé deux futures rock stars : Shirley Manson, la chanteuse de Garbage, dans son premier groupe Goodbye Mr. Mackenzie, et Kurt Cobain, dont il a été le technicien guitare pendant plusieurs années et qu’il a accompagné sur scène avec Nirvana le temps d’un concert en 1993. John est également homosexuel, chose qu’il a toujours souhaité mettre en avant et ne jamais dissimuler.
En ce soir d’hiver, John est fatigué et un peu énervé. Il neige à Amsterdam, lieu où il vit depuis 1999, et John déteste la neige. Cela l’empêche de s’adonner à une de ses grandes passions : le vélo. En Hollande on se déplace beaucoup en vélo et c’est ce qu’il adore dans ce pays. Pour autant John ne s’intéresse pas au Tour de France ( « les hommes sont trop maigres ») et n’a jamais testé le Vélib’. Il apprécie en revanche Les Thugs, qui ont justement écrit une chanson sur le vélo et joué en première partie de Nirvana en Suisse, sur la fin de la tournée In Utero, alors que Duncan travaillait encore avec le groupe.
Noisey : Tu vis en Hollande depuis un certain temps. Pourquoi ce choix ? C’est plus facile d’être punk, écossais et gay là-bas ?
John Duncan : [Rires] Je me suis installé aux Pays-Bas il y a dix-huit ans. C’est juste dû à la façon dont les choses se sont passées à l’époque… J’ai fait ma « midlife crisis » en Écosse et suis devenu un peu fou… Je me suis rendu à Amsterdam pour aider un ami à monter un studio de tatouage et j’ai adoré la ville, alors que je devenais taré au Royaume-Uni. Tout a un sens pour moi ici.
Peux-tu nous raconter tes débuts musicaux, ton implication dans le punk rock ?
Mes racines viennent du blues. J’écoutais les stations de radio caché sous mes couvertures dans ma chambre le soir. Ma soeur aînée disait que je ne devais pas écouter cette musique car c’était de la mauvaise musique, la musique du Diable, et ça m’a donné envie d’en écouter encore plus.
Videos by VICE
Au moment où le punk est arrivé, j’étais à fond dans Be-Bop Deluxe [groupe anglais de rock progressif très théâtral qui a connu un certain succès dans les années 70]. Mais j’avais assez d’agressivité en moi pour écrire des chansons punk. J’ai grandi avec Slade, Alice Cooper et T. Rex, qui ont tous, chacun à leur manière, préparé le terrain au mouvement punk. Je suis donc arrivé dans The Exploited, un groupe dont ni moi ni Wattie [Buchan, le légendaire frontman du groupe] ne faisions partie à leurs débuts. C’est le plus jeune frère de Wattie, Terry et l’un de ses amis qui ont formé The Exploited. Wattie a ensuite pris le micro à la place de Terry et j’ai remplacé Stevie Hayboy à la guitare.
La rumeur veut que tu aurais été viré de The Exploited en raison de ton homosexualité. C’est vrai ?
Non, j’ai quitté le groupe car j’en ai eu assez de jouer avec eux. C’était devenu une corvée et ça me donnait des maux de crâne de faire partie de The Exploited. Le groupe se désagrégeait sous mes yeux… Tout le fun et les bons moments étaient derrière nous, Wattie voulait toujours avoir le dernier mot sur tout et n’était pas vraiment ouvert au raisonnement ou au bon sens… Rien à voir avec mon homosexualité. Je suis en couple avec mon partenaire depuis vingt et un ans, nous nous sommes rencontrés au milieu des années 90 j’avais quitté The Exploited dix ans avant cet événement et j’ai même eu des petites amies jusqu’à ce que je tombe amoureux de mon copain.
En 1993 Slayer et Ice-T ont repris en duo « Disorder » (plus exactement un medley de plusieurs titres, comprenant « Disorder », « War » et « UK 82 », de l’album Troops Of Tomorrow) pour les besoins de la B.O du film Judgement Night…
Une reprise qui me permet de toucher une jolie petite rente. [Rires]
Justement, que penses-tu de l’orientation musicale, plus crossover/metal, prise par The Exploited après ton départ ? Tu as continué à suivre ce qu’ils faisaient ?
Je n’ai jamais réellement écouté ce qu’a fait The Exploited après mon départ du groupe, ça ne me concernait plus… J’étais trop occupé par ma propre musique, de toute façon. Je ne suis pas resté en contact avec Wattie, il refuse de me parler, il pense que parce que j’ai quitté le groupe je ne devrais toucher aucun droit d’auteur sur les chansons que j’ai écrites. Il considère que tant que je n’aurais pas stipulé par écrit que je lui cédais mes droits, il n’aura aucune raison de me parler. Ça me fait de la peine… C’est à la fois triste et drôle.
Qu’as-tu retenu du punk, finalement ?
Le punk, pour moi, c’est une façon d’être soi-même, de ne pas se conformer aux normes, peu importe lesquelles. Lorsque je croise aujourd’hui des gosses dans la rue avec des vestes en cuir cloutées et des Mohawks j’ai juste envie de rire… Je me dis que ce n’est pas ça le punk, ce truc a déjà été fait auparavant. Pour moi le punk c’est le changement, aller de l’avant, inventer, créer, changer les choses, les perspectives et attitudes. Nous devons continuer à apprendre de la vie, Bowie et Madonna sont bien plus punk que n’importe quel groupe considéré comme tel aujourd’hui… Voilà mon humble avis.
Après The Exploited, il y a eu l’épisode Blood Uncles. Peux-tu nous en dire un peu plus sur ce groupe qui semblait te tenir particulièrement à cœur mais qui n’a pas eu la destinée qu’il méritait ?
Nous étions juste trois potes sans rien de spécial en tête, on avait juste envie de faire de la bonne musique. À la base, Jon, le chanteur, devait faire une performance dans le club d’un ami, un truc de spoken word. Il m’a demandé de faire des bruits bizarres derrière pendant qu’il parlait. Colin McGuire, le bassiste, a assisté au spectacle, a adoré et a pensé qu’on pouvait en tirer quelque chose. Une semaine plus tard, nous avions six chansons et nous donnions notre premier concert avec une boite à rythmes.
Entre temps, Goodbye Mr. Mackenzie m’a demandé d’enregistrer une session en studio avec eux avant de me proposer plus tard de les rejoindre. Ça a été la fin des Blood Uncles, d’autant plus que nous avons, au même moment, été largués par Virgin qui devait s’occuper de nous. Bande de cons !
Parlons de Goodbye Mr. Mackenzie, justement. Comment était Shirley Manson à l’époque ?
Ça a été très agréable de travailler avec Shirley qui était une des choristes du groupe et jouait du clavier. On se chambrait pas mal tous les deux, on se disputait comme des chiffonniers. Contrairement aux autres membres du groupe, qui avaient au départ trop peur d’elle pour oser la vexer. Les choses ses ont arrangées avec le temps, on a appris à se connaître et on a fini par tous devenir bons amis.
Shirley est par la suite devenue une incroyable frontwoman avec Garbage et ça m’a pas mal étonné parce qu’à l’époque de Goodbye Mr. Mackenzie, elle était plutôt du genre à avoir la nausée avant de monter sur scène. Mais une fois qu’elle y était, elle devenait chantait et jouait divinement. Je suis resté en contact avec elle, je la croise de temps en temps quand elle passe en Hollande. Pareil avec Martin [Metcalfe, chanteur de Goodbye Mr. Mackenzie], on est toujours en contact via les réseaux sociaux et je tombe toujours sur lui lorsque je reviens à Édimbourg. Rona [Scobie, l’autre choriste/claviériste du groupe] était celle avec laquelle je traînais le plus à l’époque, mais je l’ai perdue de vue pendant plusieurs années, on vient juste de reprendre contact par email.
Dans le clip de « Working On The Shoo Fly » de Goodby Mr. Mackenzie, on aperçoit une vitrine avec inscrit dessus « Hetero Homo Lesbo » à un moment. C’est quelque chose que tu as eu envie de mettre en avant ?
Je me souviens de cette image, on a tourné le clip de « Working On The Shoo Fly » à Paris, vers Pigalle, et on a vu cette inscription sur une vitrine. Mais c’était juste une coïncidence, Goodbye Mr. Mackenzie n’a jamais eu de message politique à faire passer.
Qu’est-ce qui t’a amené à vouloir rester dans l’ombre par la suite, à devenir technicien plutôt que musicien ?
En fait, j’ai toujours alterné les deux, lorsque je ne tournais pas avec un groupe, je m’ennuyais, donc je proposais mes services à qui en avait besoin. J’aime vraiment être sur la route et je déteste rester à la maison. Les gens étaient prêts à me payer pour m’occuper de leurs guitares, un truc que j’adore.
Et lorsque je revenais à Édimbourg, entre les tournées, je travaillais comme tehcnicien dans les salles de concert du coin. Il faut bien payer les factures d’une façon ou d’une autre, acheter des nouvelles guitares… Sans oublier les chaussures, j’ai toujours besoin de nouvelles chaussures !
Justement, en 1992, tu es devenu le technicien guitare de Nirvana et tu as même joué une fois avec eux, le 23 juillet 1993 au Roseland Ballroom de New York. Comment as-tu vécu cette période particulière ?
C’était une époque très mouvementée et très riche. Il ne faut pas oublier que travailler pour un groupe ou jouer dans un groupe est un boulot vraiment difficile, surtout quand il y a une grosse installation à gérer derrière.
Kurt était imprévisible et voulait être en mesure d’utiliser n’importe laquelle de ses guitares, à tout moment. Je devais donc m’assurer que toutes les guitares étaient prêtes et disponibles. Je devais me concentrer à 100 % sur mon job et le groupe devait, lui, donner de bons concerts. Ce qu’il faisait – enfin, presque toujours…
Le concert du Roseland Ballroom était évidemment un moment inoubliable. J’étais sur scène avec Nirvana, FUCKING NIRVANA ! J’étais déchaîné ! Mais il n’a jamais été question que je rejoigne le groupe à plein temps. Pour être honnête, je n’aime pas jouer la musique des autres, je préfère faire mon propre truc.
Entre Wattie et Kurt, qui était le plus difficile à gérer ?
Wattie est un grand frontman, il aime être au devant de la scène et attirer l’attention sur lui mais il cherche à être plus imposant qu’il ne l’est réellement. C’est juste une façade. En réalité, il est peu sûr de lui et se donne en spectacle en criant fort pour que tout le monde le regarde… Mais il n’a aucun talent. Kurt, en revanche, était une personne extrêmement talentueuse et créative, qui voulait juste faire son truc, jouer de la musique, dessiner, peindre et écrire. Il n’aimait pas être le centre de l’attention, il voulait juste être le chanteur dans son groupe.
Il a été manipulé et tué alors qu’il était au sommet, alors que le monde l’observait. Mais je pense personnellement que Kurt était le plus extrême, le plus difficile à gérer, peut-être parce qu’il avait plus de sautes d’humeur et prenait plus de drogues que Wattie. Wattie était un speed freak et buvait un peu. Il n’aimait pas fumer et ne consommait pas de weed et de trucs comme ça, juste des amphétamines… J’ai fumé une bonne partie de ma vie et ai partagé deux ou trois joints avec Kurt à l’occasion mais n’ai jamais été dans une position ou une situation à faire quelque chose d’autre avec lui. Oui, Kurt Cobain était le plus compliqué des deux, mais seulement à cause de la situation dans laquelle il a été plongé.
George Michael, qui est décédé il y a quelques semaines, a attendu longtemps avant de faire son coming out. Toi, c’est quelque chose que tu as toujours assumé et mis en avant.
Ça a été mon choix de ne pas me cacher à l’instant où je me suis aperçu que j’étais gay, ou lorsque j’ai eu un petit ami gay à long terme. C’était le sien de rester caché… Je me serais menti à moi-même si j’avais fait ça. Pourquoi ne pas être toi-même et faire ce qui te rend heureux ? Nous n’avons qu’une vie, il faut en profiter au maximum…
De quoi es-tu le plus fier, dans ta vie de musicien et d’être humain ?
Les meilleurs moments de ma carrière musicale sont sans aucun doute ceux passés avec Blood Uncles, j’ai vraiment adoré ce groupe. Je suis toujours en contact les deux autres membres, nous sommes restés de bons amis… Et concernant ma vie personnelle, je suis fier de ce que je partage avec mon compagnon, nous sommes ensemble depuis vingt et un ans maintenant et nous nous aimons de plus en plus chaque jour… J’aimerais que chacun connaisse l’expérience que nous vivons, je suis sûr que cela ferait de cette planète un meilleur endroit.
Toutes les photos nous ont été gracieusement prêtées par Big John Duncan.