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On a rencontré le type qui rappait sur « Black Or White » de Michael Jackson


Bill Bottrell à Berlin en 2014.

Il y a deux ou trois ans, j’ai entendu « Black Or White » de Michael Jackson sur mon autoradio alors que je roulais en voiture. Quand le passage rappé est arrivé (« See, it’s not about races, just places, faces, where your blood comes from is where your space is, etc »), j’ai réalisé que je n’avais aucune idée du mec qui rappait. Après un tour sur Google, j’ai vu que le passage était crédité au nom d’un certain L.T.B., qui, au vu de ce qu’Internet stipulait, n’avait produit aucune autre oeuvre que ce rap universel.

Un pote à moi à qui j’en avais vaguement parlé avait contacté le producteur du morceau en question, Bill Bottrell, également crédité comme l’auteur des lyrics du rap, afin de lui demander plus d’infos sur ce L.T.B.

Bottrell répondait le jour-même en nous faisant suivre l’adresse Gmail du rappeur fantôme, auquel je m’empressais de demander une interview. Je n’ai jamais eu de réponse.

Le mystère L.T.B. est resté dans un coin de mon cerveau les mois suivants, se rappelant à mon souvenir dès que j’entendais à nouveau le titre. Quand ça arrivait, je me replongais dans les méandres de la toile pour voir si de nouvelles infos sur ce rappeur fantôme circulaient, mais à chaque fois, c’était vain. Malgré le fait que le type avait rappé sur une chanson qui avait été n°1 des charts dans plus de 20 pays, appuyée par un clip qui avait cassé tous les records, touchant plus de 500 millions de personnes sur les écrans en 1991, la présence en ligne de L.T.B. se limitait aux crédits du morceau ou à des threads Yahoo restés cruellement sans réponses.

Et puis, la semaine dernière, après avoir entendu une nouvelle fois le titre, je me suis dit ‘et merde‘, j’ai recontacté Bill Bottrell pour qu’il me parle de ce rap. Il m’a répondu : « Ouais, c’est jouable, ce n’est pas une histoire très compliquée. »

Quand je l’ai eu au téléphone, il m’a avoué que c’était en fait lui qui avait rappé, caché derrière le pseudonyme de L.T.B. Il m’a expliqué qu’il nous avait donné une autre adresse email, prétendant appartenir à ce L.T.B., tout simplement parce que ça le faisait marrer. « Je voulais vous faire une ruse » m’a t-il avoué, mais il est revenu sur sa blague quand il s’est rendu compte qu’elle était, réflexion faite, plutôt nase. « Beaucoup de gens connaissaient déjà le secret et la blague n’aurait de toute façon pas fonctionné très longtemps. »


Le clip de « Black Or White », le rap arrive vers 4:35.


Bottrell est devenu, d’une certaine façon, l’un des rappeurs les plus populaires du début des années 90, tout simplement parce que « Black Or White », un morceau qu’il avait co-écrit et produit avec Michael Jackson, avait un gros trou au milieu. « Après les premiers jours de boulot, on avait vraiment le noyau du morceau, les couplets, le refrain et Michael commençait à chanter très tôt dessus. Tout ce qu’il nous restait à combler était ce gros blanc dans la section du milieu, c’est resté comme ça, en plan, et dans nos esprits, pendant des mois. »

L’idée du rap est venue à Bottrell alors qu’il était chez lui, inspiré par les lyrics de Jackson qui étaient abordés dans le reste du morceau. Bottrell a alors enregistré une première version de son rap qu’il avait incorporé de façon temporaire au morceau et l’a fait écouter à Jackson, « Michael l’a adoré d’entrée ».

Le plan initial de Bottrell était d’embaucher un vrai rappeur pour repasser sur sa partie pré-enregistrée et il avait conseillé à Jackson de prendre LL Cool J ou Heavy D, qui étaient tous les deux au studio pour bosser sur d’autres morceaux de l’album.

Jackson ne l’a pas écouté et a insisté pour qu’ils utilisent la session de Bottrell, un truc avec lequel le producteur n’était pas entièrement à l’aise. « Comme tu t’en doutes, je suis un compositeur et un producteur, je ne suis pas un rappeur, et je ne voulais pas être le mec blanc qui rappe sur un titre de Michael Jackson. »

Mais la volonté de Sa Majesté était scellée, sûrement parce que, de l’avis de Bottrell lui-même, il était justement Blanc et ce n’était pas un rappeur. « Le fait que je sois Blanc et que je sois l’auteur de ce rap faisait en quelque sorte écho aux paroles de la chanson. Dans l’esprit de Michael, tout collait parfaitement. »


Do you feel the rap ?

Donc Bottrell accepta, mais décida en contrepartie d’utiliser un psuedo, L.T.B., en référence à la sitcom Leave It to Beaver. « C’est un gamin blanc des suburbs, c’était une manière de me moquer de moi-même. »

La confiance que Jackson a accordé à ce rap s’est trouvée bien vue. Après que le morceau se soit écoulé à des millions de copies et soit resté 7 semaines au top des charts US, Bottrell m’a dit que son manager commençait à recevoir des couos de fils proposant à L.T.B. d’enregistrer un album complet.

Alors que j’avais été déconcerté pendant des années par le mystère du rap de « Black Or White », Bottrell m’a affirmé qu’il avait pourtant déjà révélé publiquement qu’il était L.T.B.. Le secret était paru dans une interview de 2001 pour le magazine Sound on Sound, une publication qui se décrit comme le « premier magazine de technologie d’enregistrement musical au monde ». Bottrell reconnaît que la révélation était un peu passée inaperçue en raison de la nature très technique du magazine. (Une citation au hasard : « J’ai juste branché une guitare Kramer à un ampli Mesa Boogie, relié à un micro Beyer M160, ce qui m’a permis d’obtenir ce son âpre quand je backais ses vocaux. »)

Je ne suis pas un expert musical, mais je ne pense à aucun autre exemple antérieur de pop star s’octroyant un rappeur en invité pendant une bonne partie de son morceau (ce qui est devenu quasi habituel aujourd’hui, du « Umbrella » de Rihanna au « Beauty And A Beat » de Justin Bieber). J’ai demandé à Bottrell s’il avait été la première personne à le faire, il m’a répondu qu’il n’y avait jamais réellement pensé, mais qu’il ne connaissait aucun titre avec la même configuration sorti avant le leur.

Il m’a aussi expliqué que quand la chanson est sortie, il a dû en livrer une version éditée sans la partie rappée, les stations de radio mainstream avaient des clauses anti-rap et ne l’auraient pas diffusé autrement. « Je crois que ce disque a pu ouvrir quelques portes. On apprend à chaque sortie, pas vrai ? Tout a changé très rapidement ensuite, durant les deux années qui ont suivies. »

Quand j’ai suggéré que Bill Bottrell était peut-être, sans qu’il le réalise, un des rappeurs les plus influents de tous les temps, il m’a coupé aussitôt en riant. « Stop » m’a t-il lancé. « Non. Ne t’aventure même pas sur ce terrain-là. »


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