J’ai survécu à un festival électro
Illustration : Pierre Thyss

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La vie, ça va passer

J’ai survécu à un festival électro

Expérience extrême : quatre jours aux Nuits Sonores, là où toute la sueur du monde se trouve.
Paul Douard
Paris, FR

La dernière fois que je me suis rendu à un festival de musique électro, c’était dans un hangar en banlieue parisienne : il pleuvait de la sueur, les gens vomissaient des hectolitres de bières et les issues de secours étaient condamnées « par mesure de sécurité ». Suite à cette expérience traumatisante, je me suis juré de ne plus jamais y mettre les pieds. Mais pris d’une violente envie de faire mon travail, j’ai décidé d’affronter mes peurs les plus extrêmes. Mercredi dernier, j’étais donc confortablement assis dans le TGV direction le festival Nuits Sonores de Lyon pour y exercer la profession de journaliste pendant quatre jours. Durant les deux heures de trajet qui séparaient la stabilité que je venais d’installer dans ma vie et la destruction la plus totale qui me tendait les bras, je me persuadais que les choses avaient changé, que les gens avaient changé, ou pire, que j’avais changé. Évidemment, je n’ai rien vu venir.

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Quand un festival se déroule dans une ville, nul besoin d’être devin pour s’en rendre compte. À peine sorti de la gare, je croisais de jeunes Français portant des lunettes de soleil avec inscrit « I Love Fuck » dessus. Interloqué, je leur posais la seule question qui vaille : pourquoi ? Leur réponse fut aussi évidente que sinistre : « C’est la fête, mec ! ». Et au cas où le thème du festival échappait encore à certains, on entendait de l’électro partout – et tout le temps. Ainsi, j’ai sombré dans la paranoïa en me rendant chez l’épicier. Alors que je souhaitais simplement acquérir d’une bière bon marché, je me suis retrouvé au milieu d’un véritable dance floor, mais vide. Derrière le propriétaire du lieu, qui mâchouillait mollement un stylo Bic bleu, deux enceintes envoyaient ce qui semblait être une playlist electro - comme celles qui passent dans les salons de coiffure. Il s’était sans doute dit que cela aiderait les clients à consommer. Pris dans une confusion mentale, je me demandais si ce lieu ne cachait pas en fait une soirée underground organisée par des professionnels de l’évènementiel. Du coup, tout au long du festival, l’angoisse m’a taraudé : avais-je loupé LA soirée de l’année ?

Le lieu principal d’un festival électro est souvent identique. Il s’agit soit d’une suite de hangars qui pourrait abriter des avions de ligne, soit d’une usine désaffectée réquisitionnée pour l’occasion. D’ordinaire, je hais ce genre d’endroit. Il y fait chaud, il y est impossible de communiquer et la surpopulation est telle que tout objet est couvert de sueur. Mais en réalité, je m’y suis fait très vite. Car, contrairement à ma vie quotidienne, tout y était rapide et sans contraintes. Une routine s’installait, mais différente de la mienne. La musique était comme une prise sur laquelle je me branchais pour ne plus avoir à réfléchir – et c’était au final très agréable. J’avais de quoi manger, boire et même des saladiers de préservatifs en libre accès. C’était la vie rêvée du parfait adolescent attardé que j’étais. J’ai même réussi à discuter avec des gens.

Le problème fut en fait de quitter ce havre de paix. Comme je vivais au rythme des festivaliers, tout ce qui se trouvait en dehors de ce monde me paraissait d’une lenteur insoutenable. Commander à manger, attendre un taxi ou discuter avec quelqu’un était pour moi d’un ennui dantesque. Chaque pas fait à l’extérieur du festival était comme me retrouver bloqué dans un bureau de Poste pour l’éternité. L’angoisse était telle que je me suis surpris à préférer gesticuler sur une piste de danse plutôt que d’affronter la réalité : la vie est ailleurs. Cela m’amène d’ailleurs à un point problématique : dans un festival, les gens dansent. Je partais donc avec un handicap puisque mon corps ne danse pas. Au mieux, je suis une bâche de pluie qui bouge au gré du vent, au pire un phoque qui tente de rejoindre le rivage en sautillant sur son gros ventre. Pour remédier à cela, j’ai bu davantage. J’ai presque dit oui à la drogue pendant le concert de Rone et donc pris le risque de piétiner sans hésitation la déontologie journalistique sur l'autel du bonheur et de la décadence. Mais ça ne m’a même pas été nécessaire, car au fond, personne ne danse vraiment dans ce genre d’endroit. Ce n’est pas comme être convié à une soirée salsa de 14 personnes. Nous étions 5 000, entassés dans un hangar sombre, à effectuer de simples mouvements de genoux. La gêne était donc moindre. Je crois même avoir apprécié l’instant présent.

Le dernier point auquel je n’étais pas préparé est que tout le monde y est heureux. En quatre jours de festival, je n’ai pas croisé une personne qui faisait la gueule - ou même trouvait qu’il faisait quand même un peu froid après minuit. Dès que j’essayais d’évoquer un point négatif - l’organisation du festival, le temps d’attente nécessaire pour acheter une bière… - je me heurtais à un mur de bonheur. Les gens me répétaient des choses comme « Il n’y a que de l’amour ici ». Je ne comprenais pas bien où ils voulaient en venir, mais sans le vouloir, cela commençait à prendre effet. Au fond de moi, je sentais que quelque chose d’agréable se dégageait de cet endroit. Plus je passais du temps en compagnie de ces gens qui transpiraient le bonheur, plus je commençais à me sentir bien. Mes certitudes commençaient à s’ébranler. Finalement, le bonheur simple de ces milliers de jeunes Français qui avaient tous oublié leur vie le temps de quelques soirées, m’a semblé être la plus belle chose que j’ai vue longtemps. Ils ont même réussi à me faire sourire. Je crois même que je vais mieux. Même si, en quittant la dernière soirée, une amie m’a glissé : « J’ai mis un peu de MD dans ton verre. Cool hein ? »

Paul est de retour à la rédaction. Il est donc de nouveau sur Twitter .