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Niger

La France face aux terroristes du « sanctuaire » libyen

Ce jeudi, le ministre de la Défense a fait une visite surprise dans le nord du Niger, nouveau front français contre les djihadistes sahéliens, ouvert cette fois face au sud de la Libye, une zone déstabilisée par des groupes armés.
Pierre Longeray
Paris, FR
Soldats de Barkhane au Mali ©Armée de Terre/EMA

Le ministre de la Défense français Jean-Yves Le Drian a atterri ce jeudi sur une base de l'armée française en construction dans le nord du Niger, un nouvel avant-poste dans le cadre de la mission Barkhane, opération de l'armée française qui couvre le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad et qui vise à repousser les djihadistes actifs dans le sud de la bordure sahélienne.

Redoutant la formation d'un « sanctuaire djihadiste », le ministre de la Défense avait la veille, dans une déclaration depuis une base tchadienne de Barkhane, alerté la communauté internationale sur l'importance de mener une action commune en Libye : « Ce serait une erreur profonde pour la communauté internationale de rester passive face au développement d'un tel foyer de terrorisme au coeur de la Méditerranée. Il ne faut pas l'accepter. » Des djihadistes maliens — mais aussi algériens — chassés par l'armée française auraient trouvé refuge dans le désert libyen qui borde la frontière nigérienne. Cet appel est lancé quelques jours avant une réunion de dialogue sur la Libye organisée par les Nations Unies le 5 janvier.

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Les profils et moyens dont disposent les groupes visés par Le Drian restent cependant flous et méconnus.

Un chercheur de l'Institut allemand des affaires internationales et de sécurité vient de publier un rapport sur le sud de la Libye. Wolfram Lacher indique que la région compterait en réalité un nombre limité de djihadistes qui n'auraient pas su se structurer en groupes et réseaux, contrairement aux factions présentes dans le nord-est (milices rebelles, islamistes radicaux, fidèles de Kadhafi) qui se disputent le pouvoir et l'argent du pétrole d'un pays qui s'est enfoncé dans le chaos et l'insécurité, bientôt quatre ans après la révolution libyenne, et la chute de son dictateur Muammar Kadhafi.

Ces « sanctuaires » sudistes serviraient de « base arrière aux djihadistes chassés dans le cadre de l'opération Barkhane » selon le français Jean-Dominique Merchet, spécialiste des questions de défense pour le journal l'Opinion et auditeur de l'Institut des hautes études de défense nationale , contacté par VICE News. « C'est devenu un pôle où se concentrent les gens auxquels on fait la guerre ailleurs » résume l'expert. Pour Merchet, les 3 000 soldats de Barkhane repoussent les djihadistes dans cette zone où ils s'adonnent à « des trafics assez divers, de drogue, de trafic humain ».

« Les frontières sont incontrôlables, vous êtes au milieu de rien, au milieu du désert, »explique Merchet. « Il y a quand même des points de passage, des pistes par lesquelles les gens peuvent passer. » Quant au profil des terroristes, il indique que « ce sont des groupes, des bandes qui sont là depuis longtemps. Il y a des Algériens, de l'époque du GIA. Sont venues se greffer là dessus des logiques régionales. Ce n'est pas le même phénomène que la Syrie et l'Irak où il y a un flux d'internationaux qui viennent faire le djihad. Ici, il faut être un homme du désert et ça, ça ne s'improvise pas. » Le spécialiste explique qu'il est difficile de jauger les effectifs qui sont très mouvants, ce qui fait que la France en appelle à une solution plus régionale que nationale.

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On retrouve ainsi dans la zone les groupes rattachés de plus ou moins loin à AQMI comme les Algériens de l'émir Mokhtar Belmokhtar — ancien chef d'AQMI réfugié dans le Sud libyen — mais aussi Iyad Ag Ghali, le leader d'Ansar-Dine ou encore les membres d'Ansar al-Charia — rattachés à Al-Qaïda et basés à Benghazi.

Près de 300 000 Toubous, une ethnie hostile aux djihadistes, sont aussi présents dans la région (Tchad, Libye, Niger). En décembre, ces nomades pastoralistes se sont opposés aux islamistes dans les villes de Koufra et Sebha — la plus grande oasis du Sud libyen — au cours d'affrontements sanglants.

L'organisation Etat islamique renforçant et structurant sa présence dans le Nord libyen, le ministre de la Défense française craint que l'EI ne dresse un pont avec les djihadistes sahéliens par le biais du sud de la Libye. En effet, l'organisation Etat islamique s'est largement implantée dans le Nord avec la récente allégeance d'un « califat » de la ville côtière de Derna et la revendication de son premier attentat à la voiture piégée dans le centre-ville de Tripoli.

L'inquiétude française sur l'évolution de la situation libyenne ne date pas d'hier. En janvier dernier, l'amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major de l'armée française, craignait déjà l'apparition d'un « nouveau centre de gravité du terrorisme » au sud de la Libye. « C'est vraiment la continuité de ce que le ministère de la Défense dit depuis des mois et surtout depuis la rentrée. Il n'y a pas grand-chose de nouveau, ce qui est nouveau c'est que le ministre fasse cette annonce à la frontière avec la Libye, il y a un côté spectaculaire dans le fait de le dire à cet endroit-là, » note Jean-Dominique Merchet.

Il y a quelques semaines, le ministre de la Défense français Jean-Yves Le Drian avait appelé depuis Dakar également à une coalition, demandant au Nigeria et ses voisins d'agir sur le plan militaire de façon cordonnée contre Boko Haram.

Suivez Pierre Longeray sur Twitter @p_a_l_

Mélodie Bouchaud a participé à la rédaction de cet article 

Photo © Armée de Terre/EMA