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Illustration : Bobby Dollars pour Vice FR  

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Comment je suis devenu accro aux armes

« Chaque arme est unique et chaque canon a son identité, les balles creusant un sillon qui laissent des traces », raconte Ronan, propriétaire français d'une vingtaine de fusils et pistolets.
R
par Ronan
Keuj
propos rapportés par Keuj

Illustration : Bobby Dollars pour Vice FR

C’est un paradoxe de plus. Alors qu’elle possède sans doute la législation la plus stricte en la matière, la France est l’un des pays européens les plus armés. Selon les différentes sources, entre 15 et 20 millions d’armes sont en circulation aujourd’hui en France. Un chiffre important, principalement lié à la tradition de la chasse. Ronan, 34 ans, n’est pas chasseur mais collectionneur. Il a accepté d'évoquer sa passion pour les armes à feu.

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« J’ai toujours aimé les armes. Ça a commencé à l’école primaire en jouant aux cow-boys dans la cour. Ça s’est poursuivi à l’adolescence par le biais du cinéma. Il y a aussi eu les histoires de mon père, ancien militaire. Il me racontait comment il tirait à la mitrailleuse et moi je lui demandais ce que voulait dire le « 12.7 mm ». Des récits toujours accompagnés d’une mise en garde : utiliser du mastic, faire fonctionner un détonateur, savoir remonter ton arme de nuit, ne sont jamais des gestes anodins. Toutes ces raisons ont fait que j'ai pris goût aux armes à feu. À l’âge de 18 ans j’ai acheté un pistolet à plomb, en vente libre. C’était pratique pour s’entraîner au tir dans le jardin, sur des petites cibles.

Après m’être fait la main, j’ai acquis une réplique d’un Colt 1851 Navy, calibre 36, utilisé pendant la guerre de Sécession en Amérique. On tire un coup et on recharge par la bouche. Son équivalent français était le Mousquet. Une fois que j’ai commencé à travailler, je suis passé au Remington, calibre 44. C’est typiquement l’arme de western, on en voit pas mal dans Mort ou vif. Certes, il est lourd, mais plus il y a du poids plus le tir est précis.

« La règle d’or c’est les munitions d’un côté et les armes de l’autre. On ne sait jamais ce qui peut se passer »

L’étape suivante a été la licence dans un stand de tir. Pendant les premières années j’y allais chaque dimanche, comme d’autres font leur tour de vélo ou jouent au foot. Au départ, je m’exerçais avec mon Colt et ma poudre noire, mais les autres tireurs m’engueulaient à cause de la fumée. D'ailleurs, le stand de tir est un bon moyen de se constituer un réseau. Au gré des rencontres, on s’échange des conseils.

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À l'époque, ma passion me suivait jusque dans mon travail. Je bossais dans la vente et, sur mon stand, je disposais des obus en miniature. Les gens qui sentaient que j’avais un côté collectionneur venaient me voir pour me refiler des plans. Après, il faut faire le tri. Un gars, par exemple, avait voulu me refourguer une caisse de grenades allemandes encore actives que les pompiers ne voulaient pas aller chercher. L’important c’est de ne pas se faire embarquer par sa passion et poser les limites.

Petit à petit, ma femme en a eu marre de me voir partir au stand de tir chaque week-end. Du coup, elle m’a offert une réplique d’un Walter P88 pour retourner m’entraîner dans le jardin. C’est une arme qui fonctionne avec des cartouches à gaz. Mais ça reste du 300 mètres par seconde. Vers 27 ans, je suis passé au calibre 22 avec un Drulov 75. C’est une arme russe de précision, prisée des stands de tir. C’est parfait pour l’entraînement, assez léger et ergonomique. Elle a une poignée spéciale que tu peux faire fabriquer sur-mesure.

À 30 ans, place aux choses sérieuses. J’ai effectué une demande d’autorisation en préfecture pour avoir une arme de poing digne de ce nom. Il faut fournir, entre autres, ta licence de tir, un avis favorable de la Fédération française de tir, ton carnet de tir avec au moins trois séances contrôlées, un certificat médical de moins d’un mois concernant tes aptitudes physiques et psychiques et le listing détaillé de toutes tes armes. Pour renouveler ton autorisation, il y a un examen de passage pour prouver qu’on utilise régulièrement notre matériel. Ça permet d’éviter que les gens prennent une licence juste pour acheter une arme.

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Comme on l’a vu avec l’affaire Benalla, la détention est différente du port d’arme. J’ai donc obligation de les laisser chez moi dans une armoire forte, sous clés bien évidemment. La règle d’or c’est les munitions d’un côté et les armes de l’autre. On ne sait jamais ce qui peut se passer en cas de cambriolage ou de pétage de plomb du propriétaire. Je sors mon matériel uniquement pour aller de mon domicile au stand de tir, selon un trajet bien défini. Sinon tu t’exposes à des problèmes en cas de contrôle. J’ai le souvenir d’un type qui avait acheté un sabre dans une bourse aux armes. L’arme dépassait un peu dans le coffre de sa voiture, la police l’avait contrôlé à un péage. Persuadé qu’il ne risquait rien, il a raconté qu’il avait également acheté quelques cartouches. Les policiers l’avaient suivi jusqu’à chez lui avant de découvrir un véritable arsenal, partiellement en règle.

« J’ouvre, je coule mon plomb et ça sort une balle, c’est de l’usinage basique »

Il a dû se passer un an avant que la préfecture me délivre l’autorisation. J’ai acheté un Glock 17 calibre 9 à un gendarme pour 800 euros. C’est l’arme des policiers américains actuellement, simple d’utilisation et très légère. Dix-sept cartouches dans le chargeur pour du tir à 20 mètres maximum. Par la suite, j’ai eu l’occasion de me faire plaisir avec un objet mythique, le Python 357. Un 4 pouces, moins connu que le 6 pouces version Yves Montand ou Clint Eastwood dans Inspecteur Harry. L’équivalent français est le MR 73 de la marque Manurhin. Avec le Python on passe clairement du passionné d’armes au collectionneur. Les deux ne vont pas forcément ensemble d’ailleurs. Certains aiment tirer mais ne s’attardent pas sur l’objet et son histoire. Les meilleures collections se trouvent chez des gendarmes même si les plus belles prises se sont faites après-guerre, dans les clochers occupés par les Allemands.

Depuis deux ans je suis passé au fusil pour les longues distances. J’ai un Enfield MK1, utilisé par l’armée britannique au début du 20e siècle. J’ai également un Mauser et une Anschutz avec la lunette. Et pour finir, une réplique de M16, le fusil d’assaut de l’armée américaine. C’est ma seule pièce semi-automatique. Concernant les cartouches, je me suis rapidement mis à les fabriquer moi-même dans un moule dédié. J’ouvre, je coule mon plomb et ça sort une balle, c’est de l’usinage basique. Dans la balle, il y a l’amorce que tu peux utiliser indéfiniment et la douille pour laquelle tu es limité. Tu as le droit à 1000 douilles par an d’où l’intérêt de les récupérer après les séances pour recycler. Mais à terme je pense que les lois changeront par rapport à la présence de plomb qui a des effets néfastes sur la santé. Chaque arme est unique et chaque canon a son identité, les balles creusant un sillon qui laissent des traces. Il y a quelques années certains avaient imaginé une balle entourée de plastique prenant la forme du canon. Au moment du tir, l’ogive partait sans laisser de traces. Du coup sur une scène de crime, impossible pour les experts en balistique de connaître la provenance de l’arme.

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J’ai récemment décidé de ne plus rien acheter. J’estime avoir ce qu’il faut et ça coûte cher à la longue. En même temps je n’en vendrai aucune, je suis trop content d’avoir ça. Peut-être qu’un fusil à pompe pourrait me faire changer d’avis. Sauf que c’est très difficile à trouver. C’est d’abord une histoire d’opportunités. »

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