Noisey

Les sphincters de la nostalgie ont relâché Lil Wayne et blink-182

La collaboration que la tétine qui te sert de cerveau attendait.
Marc-Aurèle Baly
Paris, FR
Lil Wayne, blink-182
capture d'écran du clip « What's My Age Again » de Lil Wayne et blink-182

Il n'y a encore pas si longtemps, des trucs comme la tournée de l'Âge d'or du rap français ou la quarantième saison d'Âge tendre et tête de bois (googlez les millenials, c'est quasiment la même chose) étaient considérés comme, au mieux, incongrus, au pire, tout à fait aberrants pour le commun des mortels. Mais maintenant que la grande lessiveuse de la nostalgie a fait son œuvre et atrophié tout sens critique, non seulement des gens vont voir des soirées britpop au Supersonic sans se cacher, et une production comme Vernon Subutex est annoncée en grande pompe sur Canal + pour satisfaire les pulsions régressives des vieux fans de rock qui veulent se remémorer leur grandeur passée - rions.

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On n'a plus honte de rien, surtout pas de soi, et tant pis si les tétines qu'on nous sert sur un plateau (d'argent) n'ont souvent rien à faire ensemble : tout se mêle, plus rien n'a de sens, l'important est qu'on nous farcisse la gueule avec un entonnoir pour qu'on puisse patauger en enfance pour toujours, sans doute parce qu'on ne se sent plus capable de regarder le présent droit dans les yeux. Trop effrayant, ou peut-être juste compliqué.

Dernier exemple en date de ce babillage décérébré, la tournée commune de blink-182 et de Lil Wayne annoncée lundi par les intéressés avec le clip revisité (et carabiné) de « What's My Age Again » des premiers - suivi de près par un nouveau morceau presque aussi embarrassant aujourd'hui. Passons sur le fait qu'ils n'avaient sans doute rien à faire ensemble sur scène, que leurs principaux faits d'armes respectifs n'aient même pas eu lieu au cours de la même décennie, ou encore que tout le monde se foute à peur près d'eux aujourd'hui – je vous arrête toute de suite, personne n'a écouté Tha Carter V.

Alors d'accord, les genres musicaux n'existent plus, tout ça, mais lorsqu'on regarde les images et écoute la musique ci-dessus, on ne peut s'empêcher de penser que parfois, ils auraient mieux fait de rester à leur place : dans le passé - ou les égouts de l'histoire, au choix. Dans le clip promo, Weezy a l'air d'un fan de 102 ans à qui on aurait accordé la grâce de venir chanter sur scène avec ses idoles, et Mark Hoppus force sa voix sans coffre et sans y croire, pour un résultat encore plus poussif qu'un concert dans un lieu associatif de Pouilly-le-vieux. Rien ne s'accorde - imaginez que vous croisiez le fantôme de Karl Lagerfeld chez Guerrisol – mais surtout personne ne semble se rendre compte qu'il est vieux. Et non putain, ce n'est pas cool d'être vieux, Mark. Ce n'est pas cool de te coiffer comme si tu avais 14 ans dans les années 90 pour finir par ressembler à Pee-Wee Herman qui s'apprête à se faire choper. Tu n'es pas jeune-dans-ta-tête, Mark, tu es juste creepy.

Mais c'est là que ça devient un peu marrant. Quand sortait « What's My Age Again » de blink-182 en 1999, Mark Hoppus se lamentait déjà dans les paroles de se comporter comme un ado attardé, d'aimer l'humour bas de plafond, en somme de faire des trucs déjà plus vraiment de son âge. Blink-182 a toujours eu un côté emo qui s'ignore, amplifié par les arpèges mélancoliques de Tom DeLonge et des paroles comme « Nobody likes you when you're 23 ». Sauf qu'à ce moment-là, Mark Hoppus en avait 28 et le groupe en était à son troisième album, se disant donc sans doute que les blagues sur la sodomie n'allaient pas pouvoir durer encore très longtemps. C'était déjà de la musique de nostalgie à l'époque (comme 87 % de la pop a toujours idéalisé un prétendu passé perdu de toute façon), une ode aux plaisirs de l'enfance et de l'adolescence (à la rigueur de la post-adolescence) qui se faisait passer pour un truc purement potache - ce qu'il était aussi. Là, on a juste affaire à de la nostalgie sur de la nostalgie, un truc vraiment monstrueux qui fait vaguement semblant d'être méta (et encore, vraiment pas sûr) mais qui n'ose surtout pas se regarder dans la glace.

Comme le dit le site parodique The Hard Times, plus le temps passe, plus Mark Hoppus a de grandes chances d'arriver à ses fins en continuant ses conneries, c'est-à-dire de « baiser ta mère ». C'était le but plus ou moins avoué de blink-182 à-la-grande-époque, entre esprit de sale gosse et envie d'en découdre, et ça passait parce que la musique était encore fraiche et les mines réjouies. Sauf qu'ils ont vieilli, et nous avec, et ce n'est pas en nous agitant un hochet sous le nez que ça y changera quelque chose. Là ça fait juste forceur, en plus d'être assez terrifiant niveau Œdipe. Si on avait un conseil à donner à Mark Hoppus, on pourrait lui dire de prendre exemple sur son ex-comparse Tom DeLonge, qui a eu la bonne idée de quitter le navire en 2015 pour s'occuper de sa famille, militer pour le parti démocrate, remettre en cause la version officielle du 11 septembre, puis dire à tout le monde qu'il parlait avec des aliens. Des trucs d'adultes quoi.

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