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Crime

Les jeunes du Pendjab ont l'opium pour horizon

Le nombre de personnes dépendantes aux drogues dures à explosé dans le nord de l'Inde. La jeunesse de la région, sa santé économique, sont menacées le déplacement du trafic d'opium afghan vers le Pakistan et l'Inde.
Photo via Getty/Hindustan Times

Sukhwant Kumar voudrait s'enfuir. Les murs pâles du centre de désintoxication Swami Vivekananda Drug and Treatment Center à Amritsar, une ville de l'État du Punjab, semblent se rapprocher. Il se sent examiné et menacé par ces gens portant des blouses de laboratoire. Il a l'impression que le ventilateur au plafond peut s'écraser sur lui à tout moment.

Ce trentenaire a travaillé dans un restaurant et chez un loueur de voitures. Il avait espéré lancer son propre service de taxis. C'était il y a trois ans, avant que sa femme et ses enfants ne le quittent, avant qu'il ne devienne accro à l'héroïne.

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« Je suis possédé par l'héroïne. C'est comme si j'avais un fantôme à l'intérieur, » raconte Kumar à VICE News. « Parfois, je ne me reconnais pas. »

Comme la fois où il s'est retrouvé à un rond-point, à courir au beau milieu des voitures, pensant qu'il était dans une scène de film. Il y a aussi la fois où il avait tellement envie d'une autre dose d'héroïne qu'il s'est immolé, et ses voisins, affolés, ont dû se précipiter à l'intérieur pour étouffer les flammes.

À présent, on administre de la buprénorphine à Kumar, un opioïde de substitution, dans l'une des dix nouvelles cliniques de désintoxication récemment mises en place par l'État. Ses cinquante lits sont tous occupés, et les services de consultation externe traitent entre 30 et 40 nouveaux patients en ce moment, et en suivent jusqu'à 400 autres d'après le docteur P. D. Garg, à la tête du département de psychiatrie.

Sukhwant Kumar au centre de désintoxication Swami Vivekanand (Photo de Mansi Choksi/VICE News)

Il ne devrait rester à la clinique que cinq jours, et son traitement ambulatoire devrait durer jusqu'à trois mois. Pendant ce temps, on jette les toxicomanes en prison par douzaines.

Au Pendjab, une génération entière semble être la proie d'une telle dépendance à la drogue. Elle est liée au trafic de drogues à la frontière indo-pakistanaise. Le long des quelque 550 kilomètres de frontière qui longent l'État, il est impossible de quantifier la toxicomanie, faute d'études exhaustives. Des études indépendantes ont montré que le nombre de toxicomanes avait beaucoup augmenté, et que près de 75% de la jeunesse du Pendjab est touchée. La région totalise un cinquième des désintoxications du pays. Une estimation suggère que plus de 16% de la population de cet État est accro aux drogues dures.

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En septembre, les saisies de la police du Pendjab depuis le début de l'année s'élevaient à 438 kilos d'héroïne, 8 553 kilos de graines de pavot à opium et 12 695 personnes arrêtées, soupçonnées de vendre de la drogue.

La proximité géographique de l'Inde avec le « croissant d'or »— le principal lieu de production d'opium illicite en Asie qui chevauche trois États, l'Afghanistan, l'Iran et le Pakistan — a toujours rendu le pays vulnérable au trafic de drogues. C'est particulièrement vrai depuis les années 1980, quand le chemin emprunté par ces drogues a été redirigé à travers l'Inde, après que la route traditionnelle était bloquée par la guerre entre l'Irak et l'Iran.

D'après le rapport d'un think tank indien, the Institute of Defense Studies and Analyses, basé à New Delhi, un réseau de trafiquants travaillait déjà à la frontière indo-pakistanaise à l'époque. Lorsqu'un mouvement d'indépendance pour un État Sikh s'est mis en place dans les années 1980, le trafic de drogue à la frontière a servi à financer le soulèvement. Depuis, l'insurrection s'est éteinte, et le marché de stupéfiants a pris son envol.

La toxicomanie au Pendjab a explosé ces dernières années, reflétant à la fois l'économie vacillante de la région — qui souffre d'une production agricole stagnante, d'une détérioration des sols, et des dettes importantes des agriculteurs — et des retombées de l'invasion américaine en Afghanistan, où les efforts inefficaces pour enrayer l'essor des opiacés ont eu pour conséquence de déporter ceux-ci en Inde et au Pakistan.

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« L'invasion soviétique de l'Afghanistan dans les années 1980 a produit des centaines d'accros à l'héroïne rien qu'à Karachi, » a déclaré à VICE News Neelam Deo, le directeur de Gateway House: Indian Council on Global Relations, un think tank de relations internationales basé à Bombay. « Quelque chose de semblable est en train de se produire à Amritsar [au nord-ouest de l'État du Pendjab] et aux alentours. »

À Rorawala Khurd, un village depuis lequel on peut voir le barbelé qui marque la frontière, un garde de sécurité indien louche dans ses jumelles pointées vers une étendue de champs dorés. Il a reçu l'ordre, dit-il, de garder l'oeil sur d'éventuels contrebandiers. N'importe qui pourrait faire du trafic de drogues, un pakistanais infiltré, un agriculteur, même un enfant.

« Les politiques veulent montrer à la population qu'ils s'attaquent au problème sans bouleverser l'économie de la drogue. »

Le gouvernement du Pendjab, une coalition entre le parti au pouvoir Bharatiya Janata Party (BJP) et son allié régional Shiromani Akali Dal (SAD), a lancé en mai dernier le programme Operation Clean, « un mécanisme destiner à empêcher que même 10 grammes de narcotiques ne pénètrent dans l'État. » Le programme a été annoncé seulement trois jours après que les résultats des élections parlementaires ont été annoncés, décevants pour le gouvernement BJP-SAD dans l'État, tandis qu'à l'échelle nationale, le BJP a fait de bons résultats. C'est notamment l'échec de la coalition BJP-SAD en matière de régulation de la drogue qui explique ces mauvais résultats à l'échelle régionale.

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En septembre, les saisies de la police du Pendjab depuis le début de l'année s'élevaient à 438 kilos d'héroïne, 8 553 kilos de graines de pavot à opium et 12 695 personnes arrêtées, soupçonnées de vendre de la drogue, d'après une déclaration sous serment remise aux Cours du Pendjab et de l'Haryana (l'État voisin). En 2003, les autorités n'avaient saisi que 9,8 kilos d'héroïne.

Jagdeep Singh Samra, un célèbre avocat d'Amritsar estime que l'opération de nettoyage à laquelle semble se livrer le gouvernement relève plus d'un exercice de communication que d'un véritable effort pour débarrasser l'État de ce fléau. Plus tôt dans l'année, un ancien commissaire de police appelé Jagdish Singh Bhola avait accusé le ministre des Finances du Pendjab, Bikram Singh Majithia d'être impliqué dans le trafic de drogues. Il avait auparavant menacé de nommer trois autres responsables locaux impliqués selon lui dans le trafic de stupéfiants. D'après ce que Samra a confié à VICE News, les autorités ne ciblent que les revendeurs à la sauvette et les toxicomanes.

Les douzaines d'arrestations de consommateurs auxquelles procède la police tous les jours montrent que les autorités visent la demande plutôt que l'offre. Kumar, l'héroïnomane en cure nous a décrit à quel point il s'était dépêché de se rendre dans un centre de désintoxication parce que la police passait son bidonville au peigne fin à la recherche de consommateurs comme lui.

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En août, on a dit que le gouvernement du Pendjab envisageait d'accorder l'immunité aux toxicomanes qui se rendraient volontairement en désintoxication, comme le prévoit la loi indienne sur les narcotiques et les substances psychotropes, mais cela ne s'est en rien traduit par des faits. Un ancien responsable de la brigade antidrogues du Pendjab qui a accepté de témoigner sous couvert de l'anonymat a dit à VICE News que les consommateurs de drogues croupissaient toujours en prison.

Des toxicomanes dans le centre Swami Vivekanand. (Photo de Mansi Choski/VICE News)

Qu'il s'agisse de saisies de drogues, de délinquants emprisonnés ou de toxicomanes en centres de désintoxication, l'État mène clairement une politique du chiffre.

« Les politiques veulent montrer à la population qu'ils s'attaquent au problème sans bouleverser l'économie de la drogue, » a commenté cet ancien responsable. D'après lui, la pression sur la police pour qu'elle multiplie les arrestations est telle dans le Pendjab que la police n'a pas d'autre choix que d'arrêter les toxicomanes. « La police ne peut pas faire le ménage toute seule. »

La dépendance à la drogue est tellement ancrée dans la région, a-t-il ajouté, que ses propres collègues ont du faire un tour dans les centres de désintoxication quand l'État a mis en place sa politique d'éradication de la drogue.

À Rajoke, un village à la frontière entre l'Inde et le Pakistan, un fermier appelé Virender Singh se tient près d'une barrière électrique, une structure en spirale de barbelés de fer érigée du côté indien afin de fermer la frontière. Elle se met en marche au coucher du soleil pour dissuader ceux qui voudraient s'infiltrer.

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« Si vous la touchez, vous atterrissez directement en enfer, » dit Singh, qui possède un champ de riz de l'autre côté de la barrière. « La nuit, c'est là où la contrebande a lieu. »

Des paquets de drogue et d'autres produits de contrebande comme des faux billets sont acheminés en Inde depuis l'autre côté de la frontière et récupérés à des endroits déterminés à l'avance. Parfois ils sont empaquetés et passent la barrière dans des tubes de caoutchouc, avec un système de poulie pour que quelqu'un puisse récupérer la drogue de l'autre côté.

Les gens qui se lancent dans la contrebande commencent en général par se faire offrir des doses d'héroïne, ou des graines de pavot d'opium, qui peuvent être réduites en poudre et consommées en thé, jusqu'à ce que le consommateur devienne dépendant. S'il ne peut pas payer pour sa consommation, il doit soit s'adresser à un autre dealer, soit récupérer un paquet le long de la frontière et le livrer à quelqu'un d'autre. D'après la police, les coursiers d'Amritsar acheminent les marchandises à destination de New Delhi et de Bombay, leur point de départ pour les marchés occidentaux.

« La personne qui récupère les paquets ne sait pas à qui il est adressé ni quelle est la destination finale des paquets, » explique Singh. « Ils le font parce qu'ils veulent une autre dose à tout prix. On les voit souffrir, trembler d'anxiété. »

Les fermiers comme Singh sont surveillés de près, et respectent un couvre-feu après le coucher de soleil. Ils ont l'interdiction de faire pousser des graines de plus de 90 centimètres.

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« On vit avec la peur qu'un trafiquant ne dépose sa cargaison sur nos terres et que l'on doive en répondre devant les autorités, » a-t-il ajouté.

La consommation de drogue est, dit-on, beaucoup plus importante que dans les villes. On estime que quatre personnes sur cinq, âgées de 13 à 60 ans consomment des narcotiques à Rajoke. La plupart d'entre eux sont accros à une héroïne qui est impure. La drogue a tellement pénétré la société que d'après Singh, quand un homme politique est en campagne dans la région et qu'on lui demande ce qu'il compte faire pour stopper la consommation de drogue, il répond directement qu'il ne peut rien y faire parce que 80% de ses électeurs sont des toxicomanes.

Le docteur Jaswinder Singh, un anesthésiste qui travaille sur des traitements de désintoxication depuis douze ans a dit à VICE News que la toxicomanie était en train de ronger le futur du Pendjab. Alors qu'au départ, il doutait de l'efficacité d'hospitaliser autant de toxicomanes qui ne sont pas prêts à être aidés, le docteur Singh voit maintenant l'hospitalisation comme le moyen vital d'alerter les toxicomanes sur les dangers auxquels ils font face.

Gurinder Singh, est un toxicomane de 18 ans. Il était assis dans la salle d'attente du centre de désintoxication d'Amritsar, à attendre un lit. C'était sa deuxième admission ces six derniers mois. Il a fini un cycle de désintoxication de deux semaines en juin dans une clinique privée près de Jaito, un village près de cette frontière de barbelés indo-pakistanaise.   En septembre, il s'est injecté avec des amis ce qu'il pensait être sa dernière dose d'héroïne. Ce n'était pas la dernière.

« Quand j'ai vu ma mère se frapper la poitrine, et pleurer comme si j'étais mort, j'ai décidé de venir ici, » raconte-t-il, feuilletant un prospectus intitulé « Aimez la vie, pas les drogues. » « Je vais m'en sortir, et ensuite, je trouverai un travail. »

Suivez Mansi Choksi sur Twitter: @mansi_choksi