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Crime

Première réédition allemande du « Mein Kampf » d’Adolf Hitler depuis 1945

Depuis son suicide en 1945, le texte n’a pas été réimprimé en Allemagne, sur ordre de l’État fédéral de la Bavière, qui en détient les droits de reproduction. Mais cela va changer l’année prochaine.
Photo par Carl De Souza/AFP/Getty Images

Depuis son suicide en 1945, le texte n'a pas été réimprimé en Allemagne, sur ordre de l'État fédéral de la Bavière, qui en détient les droits de reproduction. Mais cela va changer l'année prochaine.

Ces droits de reproduction vont arriver à échéance à la fin de l'année, et l'Institut d'Histoire contemporaine de Munich entend publier une édition très copieusement annotée, une entreprise guidée par une visée rigoureusement pédagogique. Le but de ce projet est de couper l'herbe sous le pied d'éditions potentiellement favorables aux thèses du texte, qui est tout aussi rempli de haine qu'ennuyeux à lire.

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Au moment où la xénophobie est en train de reprendre du poil de la bête en Europe, une dissection critique et en règle de l'ouvrage peut être considérée comme une piste utile, c'est notamment l'avis de certains membres de la communauté juive qui ont mis dans la balance le fait que le texte est déjà largement accessible. D'autres survivants de la Shoah ont fait part de leur opposition ferme.

Les représentations de symboles du parti Nazi comme la croix gammée sont interdites en Allemagne. Toutefois, Mein Kampf n'y est pas interdit. Des centaines de milliers d'exemplaires datant du Troisième Reich existent toujours.

« Sur Internet, dans les librairies de livres d'occasion, ou quand on cherche des traductions étrangères… Il est déjà possible de lire Mein Kampf sans commentaires ni notes, » dit à VICE News Simone Paulmichl, porte-parole de l'Institut.

L'édition de l'institution comprendra du matériel pédagogique qui fera passer l'original de 700 pages à un total de 2 000 pages dans cette édition commentée. On trouvera également des documents montrant et expliquant où et comment Hitler est allé piocher ses idées.

« Avec ces notes exhaustives, nous avons pour ambition d'opposer les faits aux affirmations d'Hitler, révéler les demi-vérités de son discours, et ainsi démystifier la propagande hitlérienne, lui enlever son aura bout par bout, » explique Paulmichl.

Les droits de reproduction en Allemagne courent jusqu'à 70 ans après la mort de l'auteur. 2015 constitue la dernière année pendant laquelle la Bavière peut bloquer de facto de nouvelles impressions de l'ouvrage dans le pays.

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L'Allemagne compte un réseau très fort de libraires indépendants. Lorsque le droit de reproduction passera dans le domaine public, « Ils choisiront l'édition qu'ils veulent vendre. Et il est probable qu'ils choisissent cette édition universitaire. » C'est l'avis de Fritz Breithaupt, professeur de littérature allemande de l'université de l'Indiana. « Dans cette perspective, c'est une initiative bien pensée. »

Hitler a dicté la plus grande partie de son interminable pavé pendant sa détention. Il était détenu pour trahison, à la suite de sa prise de pouvoir ratée en 1923. Le livre oscille entre récits de moments autobiographiques et passages déroulant une idéologie frustrée. Dans ces derniers, il fait du peuple juif le grand danger qui menace tout à la fois la race aryenne et l'Allemagne.

Ces dernières décennies, le livre est devenu un genre de totem pour différents groupes fascistes ou d'extrême droite à travers le monde. Il est peu certain que tous l'ont lu. On le trouve dans certains pays d'Europe, sur Internet comme dans des librairies. En Grèce, le groupe d'extrême droite Aube Dorée en propose une version traduite dans ses boutiques.

Le meilleur argument contre cet ouvrage, c'est peut-être sa prose.

« C'est un mauvais livre. C'est mal écrit, décousu, plein de pensées très naïves. Et ça a mal vieilli, » explique Breithaupt. « Mettre ce livre dans les mains des gens, c'est peut-être pas si mal. Ils verront que c'est à peine lisible. »

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Kenneth Jacobson, un des pontes de l'Anti-Defamation League (ADL), une ONG qui s'occupe notamment des affaires d'antisémitisme, a indiqué qu'il était impossible d'éviter la publication du texte en Allemagne, tout en remarquant qu'il était important de l'accompagner d'un texte explicatif.

« On a toujours eu un sentiment ambivalent par rapport à ça, » nous a expliqué Jacobson. « On sait que l'intérêt qui y est porté vient de groupes racistes et extrémistes. Mais on sait aussi que c'est un outil important pour comprendre l'histoire, et comprendre ce que l'histoire peut créer. »

Des sondages conduits par l'ADL ou d'autres groupes montrent que de nombreux Européens ont encore des sentiments antisémites. À la suite des attaques de Charlie Hebdo ou de l'Hyper Cacher, la question s'est posée de l'émergence de poches ou de résurgences antisémites dans le débat public européen, par exemple avec la montée de groupes comme Pegida.

Jacobson explique que, en bien des points, juifs et musulmans sont dans le même bateau en Europe. «L'Europe traverse une crise d'identité, » dit-il.

Des membres de la communauté juive en Allemagne, dont des survivants de la Shoah, ont dénoncé avec vigueur la publication de Mein Kampf, quelques en soient les raisons.

« J'ai l'intime conviction que Mein Kampf ne devrait jamais être autorisé à la publication et le public ne devrait pas pouvoir y accéder, sous quelque forme que ce soit, en Allemagne comme dans le reste du monde, » a dit Charlotte Knobloch, ex-patronne du Central Council of Jews d'Allemagne. « Débattre du fait qu'on peut lire le texte pour mieux comprendre le contexte historique, c'est une idée plutôt fallacieuse et certainement pas constructive. »

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L'institution universitaire, dont les membres se consacrent depuis des années pour certains à l'étude du nazisme et du Troisième Reich, a notamment travaillé sur des versions annotées des discours d'Hitler. Ce n'est qu'en 2012 qu'ils ont été encouragés par la Bavière dans leur travail sur le livre d'Hitler dans le but d'une édition critique, année où l'État leur a proposé 500 000 euros d'aide pour mener le projet à bien.

Cette décision a motivé des débats, l'État s'est alors retiré du projet l'année suivante, ce qui a fait encore plus de bruit. Pour sauver la face, on a trouvé un arrangement en 2014, les fonds de la Bavière ont été attribués à d'autres départements de l'université, l'autorisant à financer elle-même, sur son budget propre, le projet de réédition critique de Mein Kampf.

Paulmichl explique que des chercheurs et intellectuels juifs du monde entier en Allemagne, aux USA et en Israël ont apporté leur concours à l'entreprise, qu'elle appelle « une contribution importante à l'antisémitisme. »

« Bien sûr, il est tout à fait compréhensible de notre point de vue que la réédition de Mein Kampf et de sa diatribe antisémite haineuse soit un sujet très sensible pour les victimes de la Shoah, » dit-elle.

Pour Thomas Kuhne, qui dirige les recherches sur le génocide à la Clark University, la version annotée ne sera de toute façon pas lue par beaucoup de ceux qui évoluent dans les milieux fascistes.

« Je n'imagine pas que [cette édition] sera utilisée par des groupes néonazis pour s'emballer à propos d'Hitler. Ils ont d'autres moyens pour ça. »

Suivez Samuel Oakford sur Twitter: @samueloakford