Figurines d'un prêtre et d'une mariée sur un gâteau de mariage
Illustration: Nico Teitel

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Sexe

L’Église doit-elle autoriser le mariage des prêtres ?

Certains estiment que cela réglerait la question de la pédophilie et encouragerait davantage d’hommes à devenir prêtres.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR

En 1517, un prêtre allemand, Martin Luther, placarde ses 95 thèses sur les portes de l'église de la Toussaint de Wittenberg, en Allemagne. En 1521, le hors-la-loi se retire au château de Wartbourg pour échapper à ses inquisiteurs. Là-bas, il commence sa traduction de la Bible en allemand, d’abord celle du Nouveau Testament. Il condamne le commerce des indulgences (le salut par les dons d'argent à l'Église) et se positionne en faveur du principe de sola fide (le salut par la « foi seule »).

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C’est ce qui va devenir la distinction majeure entre le catholicisme et le protestantisme. Mais ce que l’on oublie parfois, dans le chaos politique général qui s'ensuit en Europe, c’est que le théologien a abordé la question de la sexualité et du mariage. À Wartbourg, il écrit une lettre à Nicolas Gerbel, juriste et érudit en droit canonique, dans laquelle il expose son point de vue.

« Embrassez et réembrassez votre femme, insiste-t-il. Laissez-la aimer et être aimée. Vous avez la chance d’avoir vaincu, par un mariage honorable, ce célibat dans lequel on est en proie à des feux dévorants et à des idées impures. Le malheureux célibataire, homme ou femme, me révèle à chaque heure du jour tellement d'horreurs que rien ne sonne à mon oreille aussi mal que le nom de moine, de nonne ou de prêtre. La vie conjugale est un paradis, même lorsque tout le reste est insuffisant. »

Comme beaucoup d’aspects de la foi catholique, l'exigence de célibat pour les prêtres est protégée par des siècles de tradition. Mais l'idée est contestée depuis ses débuts. Ces dernières années, alors que l'Église catholique subissait une vague de scandales sexuels (un nouveau est sur le point d’éclater en Allemagne), certains se sont demandé si, dans le contexte de la piété religieuse ou autre, mener une vie de célibat était effectivement possible. Et l’Église étant confrontée à plus de recherches que jamais sur les prêtres pédophiles – ce qui pourrait lui coûter des milliards de dollars – la fin du célibat sacerdotal pourrait être plus proche qu’on ne le pense.

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Après tout, abstraction faite des questions scientifiques relatives à la sexualité, nous savons qu’il est possible pour l’Église catholique de survivre sans contrainte. Elle l’a déjà fait auparavant.

« Le célibat n'est pas une doctrine de l'Église catholique. » – Père Thomas Reese

« Le précédent du célibat dans l’Église catholique remonte à la réforme grégorienne du XIe siècle », explique Julie Byrne, professeure de religion à l'université Hofstra dans l'Etat de New York. « Le pape Grégoire VII a apporté de nombreux changements. Le célibat obligatoire pour les prêtres a été institué à cette époque, et nous parlons bien entendu d'une société très différente de la nôtre – c’était donc en partie pour que les prêtres puissent s'acquitter de leurs tâches et, d’autre part, pour que leurs terres soient restituées à l’Église plutôt qu’à leurs héritiers. Par conséquent, si un prêtre n’avait pas d’enfants, c’était plus avantageux pour l’Église. »

La notion de célibat en tant que question religieuse remonte encore plus loin. Kim Haines-Eitzen, professeure de religion à Cornell, explique que celle-ci est enracinée dans l'émergence de l'ascèse, pratique couramment associée aux moines. Haines-Eitzen a beaucoup écrit sur l'histoire du célibat. Elle en propose une chronologie convaincante, qui va de l'introduction des prêtres dans la hiérarchie de l'Église à l'influence de la philosophie gréco-romaine, en passant par les vues finales des chrétiens sur la souffrance et la persécution. Ce qui est clair, c’est que l’institution du célibat pour les prêtres ne vient pas de nulle part, ni d’un seul moment. « Pour simplifier la portée historique, dit le père Thomas Reese, analyste principal chez Religion News Service et ancien rédacteur en chef du magazine America, nous avons eu mille ans de prêtres mariés, et maintenant, mille ans de prêtres célibataires. »

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Par conséquent, le modèle consistant à ne pas imposer le célibat aux prêtres existe. Pierre, le premier pape, était marié, si l’on prend les Écritures au mot – et plus de deux douzaines d'Églises catholiques orientales, qui sont en pleine communion avec le pape François, permettent l'ordination d'hommes mariés dans le sacerdoce, comme le font de nombreuses Églises catholiques indépendantes qui n'ont aucune affiliation avec le Vatican. Il existe également des dizaines de prêtres catholiques de l’Église épiscopale américaine qui se sont convertis à la religion catholique et ont obtenu un laissez-passer.

La vraie question est de savoir si l’Église catholique veut ou non revenir à sa position antérieure, comment cela se passerait-il, à quoi cela ressemblerait-il, et pourquoi cela pourrait-il se produire maintenant. Les mécanismes de changement ne sont pas aussi compliqués qu’ils le paraissent.

« Il serait tout à fait possible d'assouplir les règles du célibat aux prêtres non mariés, car une discipline est plus susceptible de changer qu'une position doctrinale », a déclaré dans une interview Anthony Petro, professeur de l'université de Boston qui étudie le lien entre la sexualité et la religion. « La discipline du célibat et les choses de ce type peuvent changer. Le concile Vatican II [dans les années 1960], par exemple, a beaucoup modifié la manière dont la messe est célébrée. Doit-elle forcément être en latin ? Comment l’Eucharistie est-elle reçue ? »

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Il existe une différence subtile entre la « doctrine » et la « discipline » catholiques, mais en bref, la « doctrine » concerne les enseignements de l'Église sur la foi et la morale (elle découle de Dieu) et les « disciplines » sont reconnues comme des règles établies par l’homme et sont sujettes, dans la pratique, à des changements potentiels. C'est une différence glissante, quoiqu’importante.

« Le célibat n'est pas une doctrine de l'Église catholique », explique Reese. « C'est une loi. Une loi peut changer. Et certaines personnes, comme moi, par exemple, sont favorables à une transition vers le célibat optionnel, la raison principale étant que nous avons besoin de plus de prêtres. »

En effet, l'Église souffre d'une pénurie de prêtres depuis des années, notamment en Amérique latine et en Amérique du Sud. Comme le rapportait le Wall Street Journal en février dernier : « Dans le monde entier, le nombre de catholiques par rapport au nombre de prêtres a considérablement augmenté au cours des dernières décennies, passant de 3 100 pour 1 en 2015 contre 1 900 pour 1 en 1980, selon les statistiques du Vatican. Cette proportion est particulièrement élevée en Amérique du Sud : 7 100 pour 1, presque quatre fois plus qu'en Amérique du Nord. » La logique est la suivante : si nous laissons les prêtres avoir des relations sexuelles et se marier, davantage d'hommes voudront devenir prêtres. Le pape François a laissé entendre qu'il était favorable à une discussion sur le sujet. En octobre 2019, les évêques d'Amazonie se rendront au Vatican pour un synode qui pourrait enfin mettre le mariage des prêtres à l’ordre du jour.

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« Si la majorité des évêques le demandent, je pense que le pape cédera », déclare Reese. Selon lui, cela pourrait avoir un effet domino et se répandre dans d’autres régions.

Mais l'urgence du débat, bien sûr, ne concerne pas seulement la diminution du nombre de prêtres. Cet été a été particulièrement scandaleux pour l’Église catholique. La discussion sur le célibat et la question de savoir si le fait de permettre aux prêtres d'avoir des rapports sexuels favorise un comportement potentiellement prédateur peut souvent conduire à des conjectures et associations non fondées. (Byrne, la professeure de Hofstra, m'a dit, par exemple, qu'elle pensait que la question du célibat devrait être totalement distincte de la manière dont l’Église gère l'épidémie d'abus sexuels sur les enfants.)

Cependant, la gestion de l'homosexualité dans la prêtrise est au cœur du clivage entre les factions de la foi plus traditionnelles et celle plus progressiste de François. Carlo Maria Viganò, probablement le critique le plus en vue de François sur la planète, a trouvé un moyen de blâmer les homosexuels du clergé pour la saga des abus sexuels et a appelé à la démission du pontife. François, de son côté, semble prêt à reconnaître quelque chose qui ressemble à une conception moderne de la sexualité – et semble éviter de lier à tort homosexualité et pédophilie. (En août, le pape a déclaré aux journalistes que les parents ne devraient pas « condamner » leurs enfants s'ils sont homosexuels, mais qu'ils devraient avoir recours à la psychiatrie. L'Église reste fermement opposée au mariage pour tous.)

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L'argument le moins explosif et le plus nuancé contre le célibat et sa contribution à la crise actuelle est qu'il est fondamentalement contraire à l'ouverture et à la transparence, et qu'il peut donc favoriser les comportements prédateurs.

« Le célibat », écrivait Jason Berry dans le New York Times en 2002, alors que l’archidiocèse de Boston faisait face au scandale Spotlight, « a donné lieu à une culture secrète dans laquelle le comportement sexuel, quelle que soit sa forme, doit être caché. » Selon le Guardian, plus de dix ans plus tard, en 2017, une étude approfondie a révélé que « le célibat obligatoire et la culture du secret créés par les papes et les évêques sont les principaux facteurs des taux élevés d’abus d'enfants dans l'Église catholique. » (Ce rapport a également été critiqué pour avoir laissé entendre que la confusion des prêtres quant à leur orientation sexuelle faisait partie du problème.) Surtout, le regretté A.W. Richard Sipe, ancien prêtre devenu psychothérapeute et l'un des chercheurs les plus éminents sur le lien entre le célibat et les abus sexuels sur mineurs dans l'Église, a affirmé que le vœu de chasteté « crée un système d'hypocrisie et de secret dans lequel les abus de mineurs peuvent avoir lieu. » Selon le New York Times, il a également conclu « que 6 % de tous les prêtres étaient des agresseurs sexuels d'enfants et de mineurs » et « qu'à un moment donné, seuls 50 % des prêtres étaient célibataires », des statistiques que l'Église a jugées exagérées.

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« Je ne veux pas me joindre au genre de rhétorique qui dit que le célibat est un aspect pervers de la sexualité », répond Petro, professeur à l'Université de Boston, quand je lui demande ce qu'il pense de la relation entre le célibat et le secret lié au sexe. « D'un point de vue politique, chacun devrait pouvoir vivre sa vie comme il l’entend. Mais si tout un réseau de secret autour du problème est formé, c’est dangereux. La question n’est pas tant le célibat que l’exigence d'obéissance. »

« L'Église catholique a toujours su, au cours de son histoire, survivre et rester aussi grande qu'elle est, grâce à sa capacité d'adaptation. » – Warren Goldstein

Entre autres choses, ce culte de l'obéissance peut dissuader les victimes de se manifester. Mais quelle que soit la position de l’Église catholique sur les questions de célibat et de pédophilie, il est clair que permettre aux prêtres de se marier ne résoudrait en aucune manière les problèmes d'abus sexuels. D'ailleurs, on ne verrait pas non plus une marée de prêtres potentiels se précipiter aux portes des séminaires. En fait, si même les branches les plus conservatrices de la foi s'opposaient au changement, l'abandon du célibat n'affecterait pas tant la religion elle-même.

Les données d'enquête limitées (et non scientifiques) du début des années 2000 suggèrent que de nombreux prêtres américains sont depuis longtemps ouverts à un dialogue sur le sujet. Et le sujet est sur la table depuis Vatican II, lorsque les disciplines mentionnées par Petro (le latin, etc.) ont été définies, il y avait un espoir que le pape Jean XXIII envisage de les réviser. « La plupart des autres religions n'interdisent pas le mariage des prêtres », me confie Warren Goldstein, directeur exécutif du Centre de recherches critiques sur la religion. « L'Église catholique a toujours su, au cours de son histoire, survivre et rester aussi grande qu'elle est, grâce à sa capacité d'adaptation. »

À son tour, le père Reese reconnaît qu'il existe de véritables arguments contre l'assouplissement de la règle du célibat : le fardeau financier que devraient supporter les catholiques pour subvenir aux besoins de la famille d'un prêtre et l'idée que les prêtres célibataires pourraient être plus sacrés que les prêtres mariés. (« Je n’achète pas cette idée, dit-il. Il existe de nombreux couples plus sacrés que moi. ») Mais il suggère que les petits problèmes – les prêtres qui doivent s’occuper de leurs enfants, par exemple – peuvent être résolus et que le célibat optionnel peut se produire de manière réaliste dans les prochaines années.

« Je ne pense pas que le fait de se débarrasser du vœu de célibat serait aussi problématique qu'il y a cent ans », déclare Kathleen Grimes, professeure de religion à l'université de Villanova, qui étudie notamment les liens entre la théologie et l'éthique. « Parce que je pense que nous voyons désormais la vie conjugale comme une voie positive vers le sacré. »

Que cela se produise ou non et pour quelque raison que ce soit, abolir le célibat représenterait évidemment un pas en avant vers la réforme – un pas en avant de l'Église vers l'ouverture et la transparence. Ce serait une preuve que nous vivons à l'ère moderne. Les prêtres mariés constitueraient une démonstration de progrès et montreraient aux catholiques que leur église répond à une crise existentielle.

« Le pape François a demandé aux prêtres et aux évêques de ne pas se comporter comme des princes, ou comme s’ils étaient meilleurs que tout le monde », déclare Reese. « C'est un changement dont nous avions besoin. Vous êtes les serviteurs du peuple de Dieu, leur a-t-il dit. Vous êtes ici pour servir, pas pour gouverner. »

Alex Norcia est sur Twitter.

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