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Crime

Anthony Gignac, le faux prince saoudien devenu roi de l'arnaque

Chronique d’un professionnel de la fraude au cœur de la capitale du faux-semblant, Miami.
Composition : Lia Kantrowitz

Cet article a été initialement publié sur VICE US.

Toute sa vie ou presque, Anthony Gignac a joué le rôle d’un prince saoudien. Nuits gratuites dans des palaces, accessoires de luxe, contrats fonciers, bourses universitaires juteuses : autant de portes que son art consommé du mensonge lui a ouvertes. Toutes les bonnes choses ont pourtant une fin, et en 2014 le quadragénaire d’origine colombienne a annoncé au juge fédéral Steeh qu’il ne se présenterait plus jamais sous le nom de Khalid bin Al-Saud.

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Un rapport du greffier du tribunal de Detroit détaille ses propos : « Je ne suis plus le même votre Honneur. D’accord, j’ai fait des bêtises. De très grosses bêtises. La pire, c’est de m’être fait jeter en prison sans pouvoir venir en aide à ma mère mourante. Sur son lit de mort, elle m’a fait promettre que jamais je ne retournerais derrière les barreaux. »

Ce petit homme ventripotent, coupe au bol et petits yeux noirs, avait été libéré en 2012 après avoir purgé une peine de cinq ans pour imposture et fraude fiscale. Sous conditionnelle, il s’était rendu dans les Keys au sud de la Floride sans en avertir son agent de probation et risquait de nouveau la prison.

Mais Gignac insistait : s’il était allé là-bas, c’était pour soigner sa dépression et pour voir son frère, seul membre de sa famille encore en vie. La procureure fédérale Mohsin n’en démordait pas. Pour elle, Gignac restait l’arnaqueur qu’il avait toujours été et son voyage n’était qu’un prétexte pour pister de nouvelles proies : « Il passe son temps dans le Sud à rencontrer du monde et à mentir sur son identité. Il promet des millions qu’il n’a pas à des propriétaires crédules et signe des contrats plus frauduleux les uns que les autres. Il faut l’enfermer. Nous ne parlons plus d’une mesure punitive, mais préventive : il constitue un danger réel pour le portefeuille de ces gens. » L’avenir lui a donné raison. Tous ces milliardaires badigeonnés de crème solaire à flouer, c’était bien trop tentant. Même si ça impliquait de retourner en prison.

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« Miami, c’est la capitale mondiale de l’argent facile » Roben Farzad, auteur du roman Hotel Scarface

Quatre ans plus tard. Selon le Washington Post, le professionnel de l’arnaque attend sa condamnation, à Miami, après avoir plaidé coupable d’usurpation d’identité, d’imposture et d’escroquerie. On lui reproche entre autres d’avoir soudoyé les propriétaires d’un resort de Miami Beach et de leur avoir extorqué des objets très onéreux, ainsi que d’avoir dépouillé 26 personnes à hauteur de 8 millions de dollars. Passé maître dans l’art du toujours plus, Gignac s’est aussi rendu célèbre pour sa Ferrari immatriculée « SULTAN ».

Le sud de la Floride a tout d’un paradis terrestre pour des cracks de l’arnaque comme Gignac. Avant lui, de grands noms tels que Jimmy Sabatino ou Haider Zafar y ont fait leurs armes. Ce dernier fait figure d’exemple, avec son personnage ubuesque de milliardaire pakistanais. Résultat de l’opération : 7,5 millions de dollars soustraits à des basketteurs du Miami Heat. Miami est donc l’endroit rêvé pour grimper les échelons quatre à quatre et aller humer l’air raréfié des sommets à grand renfort de diamants en plastique et de djellabas synthétiques.

Auteur du roman Hotel Scarface sur la grande époque des Cocaine Cowboys, Roben Farzad explique : « À Wall Street ou même à New York en général, vous avez toute cette culture de la procédure. Rien de tel à Miami. Quand on a un projet et qu’on trouve quelqu’un prêt à aligner rubis sur l’ongle, on prend la thune et on ne pose pas de question. Miami, c’est la capitale mondiale de l’argent facile. » Une tendance au laxisme qui rend la région propice aux arnaques. Les mécènes et les dignitaires étrangers sont les premiers visés, avant d’ouvrir les yeux et de prendre eux-mêmes pour cibles les pigeons de l’immobilier. L’écrivain poursuit : « Quand on assume sa propre malhonnêteté, l’endroit est tout indiqué pour faire chanter tous ces enfoirés persuadés de tirer les ficelles. Les arroseurs finissent toujours arrosés, je trouve ça génial. »

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Gignac a donc commencé par se faire passer pour un membre de la famille royale saoudienne auprès des propriétaires d’un palace floridien. Fort de la promesse d’un investissement de 440 millions de dollars, il a obtenu de la famille Soffer des cadeaux toujours plus somptueux. L’un d’entre eux a néanmoins fini par voir rouge le jour où le « prince » a dévoré devant lui une assiette de bacon grillé.

Ce n’est pas pour rien que la Floride tient une telle réputation de terre promise pour escrocs. Au cours des deux dernières années, Miami s’est vue classée première puis seconde dans le classement des plaintes pour usurpation d’identité. Selon un rapport de la Commission fédérale du commerce, on compte dans le Sunshine State 993 plaintes de fraudes pour 100 000 habitants.

Photographe spécialiste des prises de vues sous-marines à Key West et cible privilégiée de Gignac, Annette Robertson affirme que c’est l’absence de méfiance des Floridiens qui permet de telles dérives : « N’importe qui peut débarquer dans les Keys sans crainte de se faire juger sur son apparence. La norme n’est pas dans notre dictionnaire. Ici, c’est l’Île des excentriques. »

Gignac a rencontré Robertson en 2014, selon son propre témoignage, lors du procès de sa violation de conditionnelle. Celle-ci a confié dans une interview l’avoir rencontré en compagnie de son petit ami Wyland, artiste spécialiste de la vie aquatique : « Il nous a dit être sultan. Avec ses diamants en veux-tu en voilà et son sens de la démesure, il était très crédible. »

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Robertson, son compagnon et Gignac ont donc passé les deux mois suivants à visiter trois propriétés que l'arnaqueur avait repérées, dont le fameux Cheeca Lodge & Spa d’Islamorada. Robertson se rappelle « C’était un escroc de génie. Le manager du Cheeca Lodge avait rencontré des cheiks à Palm Springs en Californie. Il en a cité quelques-uns et Gignac les connaissait très bien. Il n’avait pas fait les choses à moitié. »

Quelques détails lui ont toutefois mis la puce à l’oreille. Elle se rappelle par exemple avoir fait livrer un tableau de Wyland à une adresse censée appartenir au frère de Gignac. À ses yeux, c’était une œuvre de très grande valeur, d’où sa surprise face au dénuement des lieux. « Il n’y avait pas la moindre œuvre d’art dans cette maison. Ou si, des horreurs quoi. Et puis cette soi-disant tête couronnée me faisait des câlins sans arrêt, il serrait même la main de Wyland. Je n’avais jamais vu un cheik faire ça. Je lui ai avoué mon étonnement, mais il répondait toujours “L’étiquette, c’est bon pour les lavettes”. »

Il a pourtant fallu qu’un des associés du couple googlise le nom d’emprunt de Gignac pour que son subterfuge soit découvert. La dernière fois que Robertson avait entendu parler de lui, c’était lors de son arrestation en 2014. Elle n’avait jamais su pour ses projets immobiliers à Miami Beach.

« Pourquoi ça ne m’étonne pas ? »

Francisco Alvarado est sur Twitter.