Pourquoi la bouffe des années 70 était-elle aussi dégueulasse?

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Pourquoi la bouffe des années 70 était-elle aussi dégueulasse?

Les bananes au jambon nappées de sauce hollandaise, c’est NON! On revient sur l’histoire derrière les horreurs culinaires d’après-guerre.

Avec la période des Fêtes qui approche à grands pas, on commence à se mettre en appétit pour les nombreux festins qui nous attendent. Dans toute l’Amérique du Nord, les familles planifient déjà les mets traditionnels qu’elles prépareront. En discutant avec des amis et collègues, je me suis vite rendu compte d’une chose : il y a à chaque table de Noël au moins un plat d’un goût douteux, que l’on apprécie par tradition. Des sandwichs et salades étagées, des aspics, des combinaisons culinaires qui inspirent l’horreur autant que les rires et l’incompréhension.

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Il suffit de feuilleter n’importe quel livre de cuisine d’après-guerre pour y trouver des monstruosités, comme des bananes enroulées de jambon et nappées de sauce hollandaise ou une tarte au thon et au Jell-O. Aujourd’hui, on trouve ça dégueulasse. Pourtant, ces plats étaient, à l’époque, révolutionnaires. Rien de moins.

Ça nous amène à nous poser la question : pourquoi est-ce que la bouffe des années 70 était aussi dégueulasse?

Les subtilités, une tradition médiévale

Comme pas mal des maux du monde moderne, la source historique des plats dégueu d’après-guerre remonte au Moyen Âge. À l’époque, alors que les riches accaparaient la plupart des ressources nutritives, préparer un repas n’était plus simplement un moyen de se nourrir : c’était un moyen de flexer ses muscles et montrer tout l’argent et le pouvoir qu’on avait.

La mode de l’époque était à ce que l’on appelait des « subtilités », un art qui consistait à prendre des aliments et leur donner une autre apparence ou de recréer leur environnement naturel. Les chefs de châteaux devaient donc redoubler d’ingéniosité, ce qui a donné lieu à des rôtis de porc déguisés en porc-épic ou le célèbre exemple du chef de Philippe le Bon qui, en 1454, a caché un orchestre complet dans une croûte à tourte. Comme l’explique l’historien Nicola McDonald dans son livre Pulp Fictions of Medieval England: Essays in Popular Romance, ce genre de plats force les invités à reconnaître que, même par plaisanterie, l’hôte qui les reçoit a le pouvoir de conjurer la vie et, du même coup, la mort. »

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Poisson en aspic. Image via WikiCommons

À plus petite échelle, les chefs moyenâgeux se plaisaient souvent à encastrer des poissons dans des aspics, afin de donner l’illusion que les poissons nagent dans l’eau. Les aspics sont des gelées faites à partir de bouillon animal, clarifié et saturé en collagène, un gélifiant naturel présent dans les os. À l’époque, il était inconcevablement compliqué de réussir un aspic, c’était donc une manière pour un chef de démontrer ses habiletés culinaires. On suggère dans certains livres d’histoire que certains de ces plats ne se destinaient même pas à la consommation : ils ne servaient qu’à montrer que l’on avait l’argent nécessaire pour se payer les ingrédients, engager toute une savante équipe pour les réaliser. C’est le tout début de la nourriture comme forme d’art, comme performance.

Le règne victorien des conserves

Ces repas extravagants resteront populaires tout au long de la Renaissance et se propageront en Europe et en Amérique du Nord, où l’élite tentera d’adapter à ses goûts les courants culinaires des vieux pays. Progressivement, les temps changent et on en arrive à la révolution industrielle.

Au début des années 1800, durant les guerres napoléoniennes, Nicolas Appert se rend compte qu’en cuisant des aliments dans un récipient hermétique en verre, ils se gardent plus longtemps. Ainsi, il invente les conserves pour nourrir les troupes. Après la guerre, la population commence à s’enrichir. Une nouvelle classe sociale se forme, composée de personnes qui ne savent pas encore comment vivent les gens (relativement) aisés. Une myriade de guides sur l’étiquette et de livres de cuisine apparaissent, et ainsi se forment l’idée des cocktails dînatoires comme on les connaît aujourd’hui, avec les sandwichs pas de croûtes et les crudités.

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Pour le plat principal, bien entendu, on veut impressionner. Les auteurs de guides culinaires font donc appel aux techniques du Moyen Âge, et les subtilités refont surface. La révolution industrielle en cours apporte aussi son lot de nouvelles techniques culinaires. La gélatine est de plus en plus abordable, des légumes saisonniers sont disponibles à l’année grâce aux conserves, même chose pour les fruits exotiques, surtout l’ananas, auquel prend rapidement goût l’Occident.

Vers la fin des années 1800, l’industrialisation bat son plein. Après la Première Guerre mondiale, les maisons moyennes ont maintenant l’électricité. De plus en plus de ménages disposent d’un poêle au gaz et d’un réfrigérateur. Tous ces nouveaux appareils allègent la tâche de la femme au foyer, pour qui les deux choses les plus importantes sont la rapidité et la propreté. Les plats en gélatine sont parfaits pour elle : ils permettent de créer des plats associés à un rang social élevé, en utilisant des restes et des produits en conserve. C’est abordable, plaisant visuellement (selon les standards de l’époque) et vite fait. D’où l’étrange popularité des salades en gelée.

Les traumatismes culinaires de l’après-guerre

Si les compagnies de production alimentaire tentaient constamment d’innover afin de nourrir à petit prix les citoyens durant la Grande Dépression, la Seconde Guerre mondiale les a forcées à passer en troisième vitesse. Les produits en conserve comme le Spam et autres immondices étaient le moyen parfait de nourrir les troupes. C’était dégueu, mais réconfortant à la fois; ça rappelait aux soldats leur chez-soi et c’est vite devenu un truc hyper sentimental pour eux.

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À la fin de la guerre, toutes ces corporations qui s’étaient fait une fortune en nourrissant les armées n’avaient pas envie de ralentir leur production. Quoi faire, donc, avec leurs surplus? Et, surtout, comment s’assurer de continuer à vendre leurs produits qui, soyons francs, pouvaient difficilement concurrencer avec les aliments frais? Heureusement pour eux, l’air du temps était de leur côté. Les soldats reviennent de la guerre avec un nouveau goût acquis pour leurs produits et les femmes intègrent le marché du travail à un rythme fulgurant. Économiques et vite prêts, les produits qu’offrent les compagnies comme Heinz, Jell-O et Hi-Liner sont parfaitement adaptés à cette nouvelle réalité.

Par contre, les fabricants constatent, par des études de marché, que si les temps changent, les mentalités restent les mêmes. Si la femme n’a plus besoin d’être au foyer, elle demeure celle qui prépare les repas familiaux. Les femmes ne veulent pas être de mauvaises épouses et de mauvaises mères en ne servant que des produits pré-préparés.

Vous vous êtes déjà demandé pourquoi il faut ajouter un œuf et de l’eau aux préparations pour gâteaux Betty Crocker? Au début, il suffisait d’ajouter de l’eau, mais les consommatrices de l’époque ne sentaient pas qu’elles pouvaient affirmer avoir préparé un gâteau. En ajoutant un œuf, elles étaient à l’aise et satisfaites de leur achat.

C’est dans cette optique qu’est apparue la bouffe dégueu de l’après-guerre : pour que les mères ne soient pas gênées d’acheter des produits pré-préparés, il fallait leur compliquer la tâche juste un peu. Ainsi, des livres de recettes commandités par des géants de l’alimentation apparaissent par douzaines. Jell-O, particulièrement, a pu capitaliser sur les bas prix de ses produits et sur la nostalgie que ces femmes éprouvaient par rapport aux aspics préparés par leurs grand-mères à l’époque victorienne. Spam a pu profiter du fait que les soldats s’étaient habitués aux goûts de leurs produits. Et, par-dessus tout, on misait sur l’exotisme. De manière sagace, on effectuait un retour aux subtilités du Moyen Âge. À prix modique et avec une fraction de l’effort d’antan, on pouvait recevoir des invités et épater la galerie avec des mets exotiques, des techniques spectaculaires et des plats inusités. Le problème, c’est qu’à force de vouloir mousser les ventes de tous leurs produits à la fois, les industries proposaient des trucs insensés, comme des chandelles comestibles en gelée de canneberges.

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On est ce que l’on mange, dit l’adage, et les mets populaires d’une époque sont le reflet de la société qui les a laissés se propager. Autant que les années d’après-guerre nous laissent maintenant des souvenirs atroces de pains de viande déguisés en igloos et d’aspics repoussants, c’est aussi l’époque qui a permis la floraison de cuisines étrangères en Amérique du Nord. C’est grâce à elle si on se retrouve aujourd’hui avec des plats comme les pâtes italiennes et les mets chinois. Les plats que nous trouvons dégueulasses maintenant ont pour nos grands-parents (qui ont grandi à la première époque où, enfin, on pouvait manger pour le plaisir plutôt que par subsistance) la même importance qu’ont pour notre génération les Dunkaroos, le Pepsi Bleu ou le Double Down de PFK.

Donc, gardez ça en tête quand votre grand-mère sortira le sandwich étagé à Noël. Ce n’est peut-être pas assez esthétiquement plaisant pour votre Instagram, mais ça reste néanmoins une merveille culinaire moderne.

Billy Eff est sur internet ici et .