La mystérieuse science derrière les menus des chaînes de restaurants

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La mystérieuse science derrière les menus des chaînes de restaurants

J’étais consultante pour l’industrie de la restauration. Voici le secret de la sauce.

Le présentoir de chaque pizzeria parle. Chaque stratège le sait très bien. De l’affichage aux pizzas elles-mêmes, aucun élément dans le champ visuel du client n’est donc laissé au hasard, en particulier chez ce client : une chaîne de vingt pizzerias de style new-yorkais dont le siège social est à San Diego. Le PDG était très fier de l’harmonie de la déco et de l’absence d’impression d’être dans un resto d’une chaîne.

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Six différentes pizzas reposent sur les supports de métal poli, ponctuées de calzones, de strombolis, de salades et de boissons. On avait testé des recettes pendant trois semaines pour arriver à ces pizzas parfaites et enfin dignes d’être servies. Pour chacune, au moins six versions précédentes avaient été jugées insatisfaisantes : croûte pas assez croustillante, mozzarella pas assez élastique, pepperoni qui s’enroule sur lui-même dans le four, créant de petites cavités inondées de gras. (J’étais la bénéficiaire de ce travail; les pizzas imparfaites s’accumulaient dans mon congélateur.)

Sur de miniatures tableaux noirs, j’ai écrit le nom des pizzas : la Triboro (pour les amateurs de viande), la Whitestone (sauce blanche), la Bronx (garni de tout et n’importe quoi). Le statut new-yorkais dans l’univers de la pizza était essentiel à l’identité de marque de ce client, à tel point qu’il s’était équipé de systèmes de purification de l’eau à osmose inverse pour que l’eau utilisée pour la pâte ait le même pH qu’à New York.

Quand tout a été prêt, le directeur de l’agence est venu évaluer mon travail.

En touchant délicatement un des supports à pizza, il s’est émerveillé de sa robustesse. Il commençait son rapport. « Voici mon point de vue sur le stromboli : les deux côtés de la pâte devraient à peine se toucher, pas se superposer comme ça, et il a l’air trop à l’étroit sur un plateau à pizza rond. Est-ce qu’on a une autre option, un plateau carré avec des rebords? »

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« Allons-y aussi avec une plus petite carafe pour le vin », a-t-il poursuivi en examinant le dernier tiers du présentoir. « On ne veut pas induire les clients en erreur à propos de la quantité. »

Au moment de conclure, il a croisé les bras et froncé les sourcils. « Ces IPA me donnent l’impression qu’il pleut et que je suis à Portland. Quelle serait la bière typiquement new-yorkaise, qu’on pourrait trouver dans un bar de quartier? »

J’ai proposé la Brooklyn Lager. Il m’a demandé ce que je pensais de la Blue Point. « C’est un peu plus branché. »

J’espérais qu’il ne perçoive pas la note de sarcasme dans ma voix. J’aimais les avantages de cet emploi (pizzas gratuites), même si tout n’est pas positif. J’ai passé huit ans à étudier la politique du festin de venaison au 18e siècle, et je me retrouvais à chercher sur Google des images de contenants à frites en haute résolution. Mais c’était mieux que de donner des cours dans une lointaine université bas de gamme. J’essayais de voir ma chance.

Le directeur n’a pas noté ma légère exaspération. « Excellent, a-t-il simplement dit, assurons-nous d’aller en chercher quelques-unes avant la dégustation de demain. »

Il est relativement récent que des professionnels de firmes de stratégie examinent des pizzas ou des wraps au poulet. Jusqu’à il y a une vingtaine d’années, les chaînes de restaurant coexistaient dans un monde plus simple. On avait d’une part le modèle de la restauration rapide, sans dentelles, qui proposaient des repas faciles comme des burgers avec frites, et d’autre part le modèle des restaurants décontractés et familiaux depuis les années 70 ou 80.

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La montée du segment des restaurants décontractés-rapides à la fin des années 90 et au début des années 2000 a bouleversé ce statu quo. En proposant des plats de qualité et une bonne ambiance sans les charges opérationnelles d’un restaurant plus complet, ils sont à la fois le produit et la source d’un changement des attentes dans le marché de la restauration. On veut que ce soit accessible, mais aussi que l’endroit fasse bonne impression. On veut le plaisir, mais aussi des plats sains. On veut du choix, mais à un prix raisonnable. Même les chaînes les plus établies doivent maintenant se pencher sur le bien-être, la consommation durable et la vie communautaire si elles veulent garder leurs investisseurs heureux.

Les consultants en restauration représentent la solution à ce besoin. Travaillant auprès d’entreprises variées — restaurants, mais aussi sandwicheries, comptoirs, cinémas —, ils veillent à rendre appétissant et ergonomique ce qu’offrent leurs clients. Armés de tableaux blancs, de mots à la mode et de post-it multicolores, ils appliquent les principes du design thinking — empathie, conception, création, et ainsi de suite — dans l’industrie de la restauration américaine. Prix des ingrédients, organisation des cuisines, fournisseurs : ils se penchent sur chaque détail logistique pouvant se révéler déterminant.

Hors-d’œuvre ou accompagnements? Entrées au choix ou trios? Un menu personnalisable pour que les consommateurs puissent choisir chaque élément de leur repas ou des combinaisons fixes d’entrée, de plat principal et de dessert?

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Avec leurs propres services de l’innovation et du marketing, la plupart des chaînes n’ont pas besoin de consultants en restauration. Néanmoins, l’agence reçoit des demandes de clients par dizaines qui sont aux prises avec toutes sortes de problèmes. Certains ont pensé à un nouveau groupe de produits (déjeuners, tacos, smoothies de saison) qu’ils voudraient soumettre à d’autres palais que les leurs. D’autres voudraient ajouter un service de traiteur pour entreprises, mais ne savent pas où commencer. D’autres encore n’étaient pas réellement dans la restauration, comme une entreprise qui offre des espaces de travail pour travailleurs autonomes, mais cherchent un moyen de retenir plus longtemps les consommateurs. Puis il y a ceux qui viennent nous consulter en dernier recours. Ce sont des chaînes en chute libre, sur le point de tomber dans l’oubli, en pleine crise d’identité. Nous appelons ces projets des « revitalisations de concept ».

À l’agence, chaque projet débute par la phase analyse, dont le moment fort est une longue entrevue avec le client, face à face, afin de mieux comprendre ses objectifs. Ces rencontres ressemblent parfois à de longues séances de thérapie. On pose des questions sur les succès et échecs passés. Pourquoi est-ce qu’un partenariat a pris fin? On pose des questions sur les changements qu’ils songent à effectuer. Vous voulez investir dans l’équipement? Vous voulez consacrer plus de temps à la préparation des aliments? Par-dessus tout, cette phase a pour but d’établir une langue commune entre l’agence et le client, ce qui n’est jamais facile. Chaque chef d’entreprise a son propre vocabulaire.

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« Pour distinguer notre marque de Panda, poursuivait le PDG, le conseil a voté pour l’adoption d’un menu plus léger, plus brillant, plus frais, et pour un repositionnement de la marque. »

« On utilise un acronyme », a renchéri son directeur marketing. « Un LBF. »

Le directeur de l’agence est sûr de lui, parle vite, n’est pas très grand, a un penchant pour les vélos de route en carbone et les vestons européens sur mesure. De sa façon bien à lui de poser une question — il penche la tête d’un côté, ralentit son débit et prononce distinctement chaque syllabe —, il a alors dit : « Permettez-moi de vous poser une question. Est-ce qu’il y a un plat de votre menu actuel qui représente la nouvelle direction que vous voulez prendre? »

Le PDG et le directeur marketing se sont regardés. « Le poulet au caramel », ont-ils ensuite répondu en chœur.

Le poulet au caramel avait été créé par l’agence cinq ans plus tôt. C’était alors l’un de ses premiers projets. Ce n’était pas le plat qui rapportait le plus, mais il avait un score étonnamment élevé au chapitre de la satisfaction d’après les sondages menés auprès de la clientèle. Après avoir lu plus de 12 000 lignes de commentaires, le PDG nous avait informés que c’était le plat préféré de nombreux clients. Compte tenu des récentes études sur l’adaptation de la cuisine asiatique au marché de masse américain — la constante acculturation du phô, le flirt prudent avec la fermentation, la fusion éhontée des cuisines lancée avec les tacos coréens —, il n’était pas difficile de comprendre pourquoi. Dans un menu composé de saveurs simples et familières (porc aigre-doux, bœuf à la mongole), presque seulement agrémentées de quelques arachides et de rondelles de carottes, le poulet au caramel (bien que son nom donne l’impression qu’il y a présence de saccharine) était la seule entrée accompagnée de légumes et fruits frais : salade de carottes, poivrons rouges et ananas, rehaussés de coriandre.

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Surtout, l’agence avait estimé que le poulet au caramel attirerait l’attention de la clientèle cible : une « femme aux saines habitudes de vie âgée entre 24 et 39 ans ». Elle est instruite, perspicace, peut-être mariée, peut-être pas. Les études ont montré qu’elle privilégie les aliments frais plutôt que sucrés ou gras, la surprise plutôt que l’authenticité, le savoir-faire plutôt que la commodité, les nutriments plutôt que les calories. Mais elle s’était aussi montrée énigmatique : les gurus du marketing avaient essayé de l’attirer en ajoutant du riz brun et des sushis au menu, mais elle n’agissait qu’en fonction de sa propre économie morale. Pire, les changements pour satisfaire ses capricieux désirs risquaient de faire fuir les habitués de la chaîne, plus âgés et plus conservateurs. C’était là toute la difficulté. On a vu des clients s’attaquer continuellement à une compagnie, s’en prendre à sa direction et faire chuter la valeur de ses actions après une augmentation des prix, le retrait d’un plat aimé ou la réduction de la taille d’une boulette de viande.

On avait du pain sur la planche.

Si dans la phase analyse, on clarifie la vision du client, à la phase identité, on met les mains à la pâte. On détermine objectivement les forces et les faiblesses d’une chaîne, d’abord par une « immersion » sur le site d’un ou de plusieurs restaurants du client. On inspecte le garde-manger et l’équipement, on compte le nombre de gestes dans la préparation des plats. On commande tout ce que propose le menu pour en évaluer la présentation et le goût. On reste à la table des heures durant pour observer le comportement des consommateurs : à quelle heure ils arrivent et avec qui, ce qu’ils commandent, comment ils mangent, combien de temps ils restent.

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Dans ce cas, il y avait des signaux d’alarme partout. Le restaurant se disait « panasiatique », mais le menu comprenait surtout des mets chinois. (Et le pad thaï débordait de sauce soya à tel point qu’on le confondait souvent avec un chow mein trop liquide.) Il payait un fort prix pour des oranges de première qualité et parfaitement symétriques alors que les cuisiniers ne faisaient qu’en prélever le zeste pour l’ajouter au poulet avant de jeter le reste. Par ailleurs, ces derniers découpaient eux-mêmes la viande et préparaient les dumplings à la main, sans que ce soit reconnu nulle part : le menu n’en faisait pas mention et la présentation peu soignée des plats n’en donnait aucune indication.

De retour au bureau, notre équipe a mis en commun sur un grand tableau blanc les observations notées sur des post-it multicolores. « Il n’y a aucun indice de fraîcheur. » « La présentation n’incite pas au partage. » « Le pad thaï en entrée ne répond pas aux normes. » « Les noms donnés aux plats sont désuets. »

« Ils parlent sans arrêt de cette jeune femme aux saines habitudes de vie, s’est exclamé notre directeur, mais où sont les mamans branchées? Où sont les vêtements de yoga? »

Pour répondre à ces questions, l’agence a organisé une tournée : une enquête soigneusement préparée portant sur les plus récentes tendances en matière de cuisine et de design qui se propageaient dans les grandes villes. Nous avons visité 12 restaurants, ce qui était modeste en regard de nos standards. Parfois, l’agence en visitait 30.

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Au deuxième arrêt, le PDG a pointé avec sa grande main ridée et hésitante un wrap ssam au tofu assaisonné aux cinq épices. « J’aime ce wrap. Est-ce que c’est une feuille de riz? La transparence donne l’impression que c’est santé. »

Notre directeur a vigoureusement approuvé de la tête. « Maintenant, regardez ce plat », a-t-il enchaîné en nous montrant un plat de nouilles de riz. « Vous avez vos protéines contemporaines : pas en sauce, mais marinées puis grillées. »

Le PDG et son directeur marketing ont ensuite jeté un œil sur un steak en croûte, soigneusement tranché de façon à révéler quatre centres tendres et rosés. « Portez attention à la salade de concombres, qui apporte de la fraîcheur, et l’échalote croustillante, pour la texture », a poursuivi notre directeur. « Cinq différents systèmes de goût dans un seul ensemble. Mais les clients choisissent comment ils les veulent. »

Captivé par ce qu’il venait lui-même de dire, il a fait un geste théâtral en direction de la salle à manger bondée. « Regardez. Ils utilisent de vrais ustensiles et des bols en céramique. Les plats du jour sont inscrits sur un tableau noir plutôt que numérique. Il faut reprendre une partie de ça dans vos restaurants. Il faut offrir une expérience de fine cuisine décontractée. »

Le PDG a soupiré. « Quand on me parle de fine cuisine décontractée, je vois une baisse de la fréquence des visites », a-t-il dit avec sa voix traînante. « Et ça me rend nerveux. »

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La phase identité culmine avec une présentation en 80 diapositives présentant l’information recueillie au cours de l’immersion et de la tournée, et se concluant par une série de mesures à prendre.

« Élargissez votre définition de la cuisine asiatique. » « Soyez un modèle de restaurant asiatique soigné. » « Simplifiez le menu. » « Soyez empathique envers les clients seuls. » « Allez au-delà de l’aura traditionnelle d’alimentation santé de la cuisine asiatique. »

Le PDG en a été insatisfait. Il était impatient de voir son nouveau menu, et pas un seul nouveau plat ne lui avait été proposé. L’agence l’a encouragé à faire preuve de patience. Le menu viendrait.

Le jargon des consultants en restauration est froidement objectif et technique. On appelle les menus des « offres », les périodes de repas sont divisées en « parts de la journée », le poulet et le bœuf sont regroupés sous la même étiquette de « protéines ». Les « touches de fraîcheurs » et la « valeur ajoutée en texture » rendent un plat photogénique. C’est sur ce vocabulaire que repose le succès de la composition d’un nouveau menu, soit la phase création.

Mais la plus grande qualité que l’on peut attribuer, c’est « l’irrésistibilité ». C’est un mot que l’on emploie beaucoup, et chacun en a sa définition personnelle : « un goût sensationnel », « une bombe umami », « de la bouffe qu’on ne peut pas s’arrêter de manger », « un orgasme gustatif ». L’irrésistibilité est inhérente au bacon croustillant, au parfum de l’huile de truffe, à la façon dont l’extérieur caramélisé d’un kouign-amann se désagrège et fond dans la bouche, exposant l’intérieur moelleux au doux goût de beurre.

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Si l’irrésistibilité stimule l’appétit, l’empathie dicte la configuration de l’expérience. Un « menu empathique » donne un début de journée efficace à l’homme d’affaires; bonne conscience à la mère qui souhaite que ses enfants aient un repas sain; un remède à l’étudiant qui veut soigner sa gueule de bois; du matériel à l’adolescent qui veut alimenter son compte Instagram. Servir la nourriture dans un bol plutôt qu’une assiette est aussi empathique, parce que c’est chaleureux et plaisant à l’œil, comme si la nourriture était dans un nid. Même mettre le poulet général Tao au menu est empathique, car, à de nombreux Américains, il rappelle la première expérience de ce qu’ils croyaient être la cuisine chinoise.

Le texte du menu vient en dernier. C’est un exercice de gymnastique verbale qui vise à exprimer tout le travail fait à l’arrière, en cuisine — le lent braisage, le grillage sur le feu, le pétrissage à la main, la cuisson au wok —, ainsi que les aspirations changeantes de l’établissement. Chaque mot compte. Des mots comme nori apportent une touche de sophistication, mais peuvent dissuader des clients plus conservateurs. La description des plats doit donner l’impression que ce sont des spécialités, des exclusivités, en faisant appel aux fermes locales, aux îles tropicales, à l’humour et à la mélancolie.

La phase développement, c’est le moment où l’on passe enfin à l’action. Une formidable étape de recherche de fournisseurs, de fixation des prix, d’élaboration des recettes. On installe l’équipement, les chefs du service de recherche et développement créent, les dégustations se suivent à un rythme effréné, produisant continuellement des restes de bols multicolores et de dumplings de crabes dans la salle de conférence. La répétition est le mot d’ordre du directeur. Même s’il s’agit de tacos ou de rouleaux de printemps, il y a un million de possibilités, de la préparation à la présentation dans l’assiette ou l’emballage pour les plats à emporter.

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Tout ce travail mène à la dernière étape : une dégustation soigneusement chorégraphiée des plats créés dans la cuisine laboratoire. C’est un moment qu’attend avec impatience l’agence entière : tous les prétextes sont bons pour passer près de la salle de conférence dans l’espoir de décoder les expressions faciales et les gestes des clients qui se trouvent de l’autre côté de la cloison de verre. À l’occasion, je donnais un coup de main en distribuant des fourchettes ou en remplissant des verres d’eau, je débarrassais la table de crachoirs utilisés. Il m’arrivait alors d’entendre des bribes de conversations.

« On n’accorde plus automatiquement à la cuisine asiatique une aura d’alimentation santé », disait le directeur alors que je vidais des assiettes de rouleaux de printemps mutilés. « On n’accorde plus de crédibilité à la perception voulant que le riz brun et les hors-d’œuvre servis dans des feuilles de laitue soient santé. Aujourd’hui, les clients associent des vertus santé à la densité nutritionnelle, aux grains anciens, à l’avocat, aux microlégumes. »

C’était mon signal. J’ai alors présenté le houmous d’edamame entouré de bâtonnets de légume et de chips de wonton servis dans des bols peu profonds. J’ai déposé une version parfaite de ce plat au centre de la table – pour le plaisir des yeux – avant de distribuer des portions individuelles aux goûteurs.

« C’est notre réinterprétation de la trempette classique », a poursuivi le directeur avec enthousiasme. « On s’écarte de l’ancien menu, mais nous sommes convaincus que ce plat est à tout le moins dans la bonne direction. » Il a ensuite frappé sur un tambour imaginaire avec une chips de wonton. « C’est plus ludique. »

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Un collègue a renchéri. « Nous avons vu ça encore et encore dans l’étude de marché. De plus en plus d’ingrédients asiatiques se retrouvent dans des concepts non asiatiques. Même le chef Bobby Flay utilise du kimchi dans son pain de viande! »

Ce à quoi le directeur a ajouté : « Tout en renforçant l’association entre la cuisine asiatique et l’alimentation santé. »

Le collègue a approuvé. « Exact. Le houmous d’edamame n’est pas une expérience soustractive. On ne perd pas l’irrésistibilité, mais la cliente pense qu’elle fait un choix sain pour elle. »

Toute l’agence savait qu’il était important de ne prendre qu’une bouchée de chaque plat. Comme on en goûte une vingtaine en trois ou quatre heures, c’est un vrai marathon. Les clients ne sont pas toujours aussi avisés.

« C’est tout à fait crédible », s’est exclamée la représentante de la mise en marché du client, en raclant le fond de son bol avec une chips de wonton. « Je commanderais certainement ça dans un cinq à sept. »

Son enthousiasme ne m’a pas surprise. L’ancien menu du client souffrait du paradoxe de l’abondance : il donnait une illusion de diversité, alors qu’en réalité, presque toutes les entrées étaient des variations sur le thème de la concoction américano-chinoise de protéines dans une sauce sirupeuse servie avec riz. Pour résoudre ce problème, l’agence a remplacé les vieux piliers — poulet impérial, le bœuf à la mongole, et ainsi de suite — par de cosmopolites « bols de riz » que les clients pourraient personnaliser avec des légumes et des grains. Pour compléter, il y avait une série de plats inspirés d’autres cuisines de l’Asie : chirashizushi au saumon et à l’avocat, bibimbap au steak barbecue, un dérivé des ramens, un dérivé du phô, un menu pour enfant débordant de fèves vertes et de brocoli au sésame, un menu de boissons avec café vietnamien et thé glacé thaïlandais.

« Notre menu est complètement transformé », a enfin commenté le directeur marketing. « Mais ces changements sont alignés avec le repositionnement de la marque. “Plus léger, plus brillant, plus frais”, on adopte un nouveau style de vie sain, pas juste un nouveau plat au menu. »

« Quelle va être la durée de vie de ce nouveau menu? » a demandé le PDG. « Combien de temps ces plats resteront populaires? »

On ne le sait jamais.

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L’agence est dans le domaine de « l’évolution des menus », une affaire délicate. Il faut fouiller dans le bric-à-brac à la recherche d’une pépite d’or, en polir la surface pour qu’elle soit plus brillante, plus étincelante, même si le résultat — des bols aux garnitures en passant par les hors-d’œuvre à partager choisis avec soin — est en fin de compte plus semblable à ce qui précédait que différent. Rien n’est jamais gagné d’avance. Parfois, un client revient cogner à la porte de l’agence pour la création d’un autre menu, un accroissement de sa chaîne ou la réalisation d’un nouveau projet. D’autres fois, il ne donne plus jamais signe de vie.

Quant à ce client, il continue de chercher la bonne voie. Sans l’agence, mais, de temps à autre, j’apprends que des nouveautés se sont ajoutées à son menu. D’abord, il y a eu le quinoa (révéré pour sa qualité de « grain ancien », même s’il n’a jamais été cultivé en Asie). Ensuite, le poke (pour faire comme tout le monde, j’imagine). Plus récemment, il a ravivé son ancienne rivalité avec Panda Express en présentant sa propre version, prétendument meilleure, de la spécialité de Panda : le poulet à l’orange. Composé de morceaux de poitrine de poulet « découpée au restaurant », « trempés dans la pâte à tempura », « grillés au wok » et servis avec des oranges fraîches, le plat (qui contient 43 grammes de sucre!) est un évident retour du client à ses racines américano-chinoises.

Qui sait combien de temps il va tenir et s’il trouvera le secret de la sauce. Après tout, ce n’est pas vraiment une science.