Club échangiste humide moon
Illustration: Timju Jeannet pour VICE FR 

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Life

Ma première fois dans un club échangiste « humide »

Ici pas de jolis sous-vêtements ni de talons de douze, pas besoin de passer des heures à se demander quelle sera la tenue la plus sexy pour emballer.

Il est 21h30. Est-ce trop tôt ou trop tard ? À vrai dire je n’en sais rien, celui-ci est ouvert de 10 heures à 5 heures. C’est ma première fois dans un club échangiste dit « humide ». Le qualificatif me fait sourire, il est tellement empli de sous-entendu qu’il est difficile de faire l’impasse sur le mauvais jeu de mots. Il pleut dehors et surtout je ne suis pas très à l’aise avec le fait de devoir attendre sous le porche avant que l’on daigne m’ouvrir. Un interrupteur fait office de sonnette, au-dessus, une caméra. Je l’observe, la porte s’ouvre enfin.

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Le « Moon », j’y suis, enfin.

Il y a un vestibule à l’entrée avec un jeune homme qui distribue une serviette et un paréo en échange d’une somme d’argent. Le cul est définitivement une machine à sous : c’est 68 euros pour un couple, gratuit pour les femmes et 148 euros pour les hommes seuls. Une fois cette étape logistique passée, le jeune homme me souhaite une « bonne détente » et je me dirige au vestiaire situé à l’étage.

Dans un décor toujours aussi kitch, s’accumulent des plantes en plastique, des statuettes que l’on croirait tout droit sortie d’un temple bouddhiste, de la pierre apparente et des boiseries en veux-tu en voilà, le tout mis en avant grâce aux multiples lampes bleues planquées ici et là derrière les décorations. Une ambiance exotique à souhait pour ceux qui aiment. Pour ma part, le côté archi-fake me fait sourire.

En haut de cet escalier se trouvent tout un tas de casiers en bois bleu, il va falloir se mettre à poil. Ici pas de jolis sous-vêtements ni de talons de douze, pas besoin de passer des heures à se demander quelle sera la tenue la plus sexy pour emballer, ce sera la tenue d’Eve avec un paréo.

Un paréo similaire pour tous, hommes et femmes – voilà enfin la parité – à nouer là où bon vous semble. Je décide de me la jouer pudique et de mettre à profit la totalité du tissu qui m’est fourni pour cacher le plus de peau possible. Le casier refermé, c’est un bracelet à scratch qui m’a été donné et qui me servira de pochette pour la soirée. Il contient des préservatifs offerts par l’établissement et des jetons utilisables au bar du club. Je le positionne au niveau de ma cheville, cela laissera mes poignets libres. Je redescends, passe devant la caisse où se trouvent désormais des couples en attente de leurs serviettes et paréos. Je me dirige vers les portes battantes en bois – comme dans les films de western – et arrive enfin dans la place.

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Un bar, quelques fauteuils, un buffet – on ne baise pas l’estomac vide, c’est bien connu. Le lieu est rempli, beaucoup de couples de tout âge et une multitude de corps. Je n’ai pas pour habitude de zieuter les gens avec autant d’insistance et de précision mais je ne peux m’en empêcher. Nous sommes là pour ça après tout. S’observer, se vouloir et se prendre. Les regards ne sont pas malaisants ils sont justes plus directs que d’habitude. Il y a quelques couples posés sur les fauteuils, une assiette en plastique à la main, dégustant leur dîner. Pour le moment l’ambiance est soft, assez banale même, pas de sexe sur les canapés, ni d’attouchements trop osés. Ce à quoi je m’attendais à vrai dire.

« Les habits ne sont que l’apparat d’un personnage, que l’on n’osera peut-être pas aborder alors que la nudité est animale, instinctive, elle rapproche »

Ce qui me frappe tout de même c’est le petit côté « Les Bronzés » avec la cahute, le rhum, des femmes et des hommes en tenues légères… C’est un peu l’image que l’on a du Club Med après avoir vu la fameuse trilogie et avec beaucoup de fantasmes ajoutés par-dessus.

On prend une bonne dizaine de degrés supplémentaires, les chauffages sont rois ici, totalement intégrés à la décoration. Le but étant de nous mettre à l’aise, il est certain que la chaleur désinhibe, en tout cas elle a cet effet sur moi et je ne pense pas être la seule. C’est une chaleur moite qui m’envahit, elle me donne envie de m’enivrer. Histoire de me détendre un peu, je commande un verre du cocktail maison avant d’entamer ma visite du lieu. Ici, on ne se soucie pas de son apparence. Pas d’accessoire coquin pour attiser le regard, ni de bas résille, on est dans la décontraction, le feeling et le lâcher-prise. Je suis toujours assise sur le tabouret en osier au comptoir du bar quand un jeune homme vient me rejoindre, sa compagne l’abandonnant au même moment pour continuer son chemin dans l’établissement. Mon regard dubitatif a dû se percevoir, il finit par me lancer un : « Ce n’est pas ma femme, c’est ma complice ». En réalité, cette jeune femme fait office de passeport pour qu’il puisse rentrer à moindre frais. Lors des soirées réservées aux couples, il est indispensable de venir accompagné lorsque l’on est un homme, pour les femmes seules, c’est diffèrent, elles sont les bienvenues, toujours.

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On commence à discuter, aucun geste déplacé, il me raconte rapidement ce qui lui plaît ici et pourquoi il préfère les clubs humides aux secs. C’est d’abord une question de logistique, difficile de baiser le pantalon aux pieds, la chemise à moitié ouverte… Et puis les fringues inhibent bizarrement, du moins c’est comme ça qu’il le ressent. Ils ne sont que l’apparat d’un personnage, que l’on n’osera peut-être pas aborder alors que la nudité est animale, instinctive, elle rapproche.

« C’est son lieu de décompression, son « afterwork ». Elle ne vient d’ailleurs pas forcément pour baiser, elle vient pour boire un verre, se détendre dans un endroit hors du temps, un ailleurs, et profiter de l’infrastructure : le jacuzzi, le sauna, le hammam »

J’avoue que je n’aurai jamais imaginé avoir une réflexion un temps soit peu philosophique dans ce genre d’endroit, et pourtant. À mes côtés depuis une bonne demi-heure, il y a une autre femme seule, comme moi. Elle vient ici 3 à 4 fois par semaine, c’est son lieu de décompression, son « afterwork ». Elle ne vient d’ailleurs pas forcément pour baiser, elle vient pour boire un verre, se détendre dans un endroit hors du temps, un ailleurs, et profiter de l’infrastructure : le jacuzzi, le sauna, le hammam. Je lui donne la petite trentaine pas plus. Je pense qu’en la croisant en dehors je n’aurais pas imaginé qu’elle puisse s’adonner à ce type de plaisir. C’est d’ailleurs en me faisant cette réflexion que je me sens idiote. Faut-il avoir une tête particulière pour venir prendre du plaisir ? Pour être libérée sexuellement, faut-il en avoir honte ? La plupart de mes amies ne pourraient pas imaginer pénétrer dans ce genre d’endroit et je pense que la raison la plus probable de ce refus est le regard de l’autre et le qu’en-dira-t-on …

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Je fais signe au jeune homme de mon départ pour la visite des lieux, en grand gentleman, il m’accompagne. Nous passons devant le jacuzzi, il est plein de couples qui s’enlacent, de trios qui se forment. Cet endroit est sensiblement le lieu de préambule. Je vois les mains des uns se perdre sur les fesses des autres, les corps se laisser prendre dans des mouvements de balanciers. Certains osent la pénétration, en délicatesse avec beaucoup de tact car tout acte de ce type est interdit dans le jacuzzi – quid de l’hygiène il me semble. On n’a jusqu’alors jamais réussi à empêcher les enfants de faire pipi dans une piscine, comment empêcher des adultes consentants et excités de se laisser aller au plus doux des plaisirs dans un bassin somme toute voué à cet effet.

« J’oublie que je suis dans un lieu libertin, jusqu’à ce que le monsieur qui est à ma droite mette sa main sur ma cuisse pour la caresser, au début timidement puis plus lourdement »

Nous montons les escaliers qui nous mènent à l’étage, ici, se trouvent les fameux coins câlins. Pour la plupart, ce sont des pièces qu’il est possible de fermer, l’isolement permettant d’éviter les dizaines de voyeurs ou de volontaires qui veulent participer à un jeu auquel ils ne sont pas invités. Dans cette partie du club les lumières sont ultra-tamisées, l’expression « à la bougie » serait la plus adéquate pour décrire l’ambiance, encore une astuce pour assurer le sacro-saint « lâcher-prise ».

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Je propose de tester le hammam, là, il faut se mettre nu et laisser les serviettes et paréos à l’extérieur. Comme je suis pudique, du moins comme je pensais l’être, l’acte n’est pas naturel, au début du moins. Se donner à voir totalement, seulement quand tout le monde est nu c’est forcement le contraire qui fait que l’on nous remarque. Il faut dire que cette bienveillance que je ressens depuis mon entrée me rassure, elle me donne envie de m’abandonner à l’expérience. J’oublie l’espace d’un instant que je suis dans un lieu libertin, jusqu’à ce que le monsieur qui est à ma droite mette sa main sur ma cuisse pour la caresser, au début timidement puis plus lourdement. Je lui fais comprendre qu’il n’y aura pas de retour de ma part et qu’il perd son temps.

Au départ, je retire sa main doucement, mais il ne comprend pas ce qui est pourtant un code respecté par tous et toutes. Je me retrouve donc face à ce mec insistant à devoir lui dire que c’est un non de manière assez ferme étant donné son incompréhension. Il la retire de ce pas. Certainement gêné d’avoir été rappelé à l’ordre. C’était ma plus grande crainte en entrant dans ce type d’endroit, que des hommes insistants essaient de me toucher avec lourdeur, on m’avait cependant rassuré à ce propos en me disant que dans ces lieux le respect et l’écoute étaient des évidences, mais comme à toute règle il y a exception, celle-ci elle était pour moi.

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J’entends des râlements, regarde au fond de la salle et aperçoit un couple en train de se donner du plaisir. Je pensais qu’en-dehors des lieux réservés à cet effet, c’était interdit. Le jeune homme qui est toujours à mes côtés saute sur l’occasion pour me dire qu’ici il y a deux règles : la bienveillance et le consentement, à partir de ça tout est possible. C’est bien ce qui m’avait été dit, le consentement est la base du libertinage.

Je me demande bien quelle heure il peut être, sans téléphone et sans montre… C’est véritablement un espace hors du temps. Je descends au bar pour me renseigner en abandonnant à mon tour mon compagnon de route. Il est une heure. Je me prends un autre verre, une part de gâteau (le salé a laissé place au sucré sur le buffet). Une jeune femme me propose de l’accompagner en cabine, je la trouve cash, mais je me rappelle immédiatement les fameuses règles et, en effet, elle les respecte, à présent tout dépend de moi. Je décide de la suivre. Là-haut, la fête bat son plein, les cris d’excitation sont monnaie courante, de la jouissance par-ci, de la jouissance par-là… J’en viens à me demander si c’est réel, si le plaisir est là ou si c’est le lieu qui donne envie de simuler un plaisir, qui lui aussi devrait être public.

Je vois des personnes amassées devant une cabine, ils regardent ce qui se passe à l’intérieur à travers des petites ouvertures créées à cet effet. La jeune femme qui finit par me dire son nom, Aline, me laisse seule pour aller se masturber dans une cabine, son trip à elle, c’est d’être matée jusqu’à ce que des inconnus tant bien hommes que femmes viennent la rejoindre, cette maline a d’ailleurs choisi la cabine la plus ouverte, entièrement recouverte de miroirs – sur les murs et le plafond – c’est l’orgie qu’elle recherche, l’ultime plaisir quand tout le monde s’abandonne. L’idéal romantique du libertinage, les corps encastrés, comprimés, magnifiés. Moi qui n’aime pas particulièrement le voyeurisme, je me laisse prendre au jeu du désir stimulé par cette scène, je n’irais pas jusqu’à me toucher comme le font certains hommes à côtés de moi, caressant leurs verges activement à travers leur paréo, je resterais passive et faut bien l’avouer, impressionnée par tant de liberté.

Mais je dois bien avouer que cette atmosphère ne me laisse pas indifférente. La liberté qui y règne n’est pas sans me rappeler les retours que l’on m’a fait sur les clubs berlinois. Ici, on ne vient pas pour se montrer, comme c’est le cas dans les clubs libertins les plus connus de la capitale tel que les chandelles. En tant que femme, même si on reste des objets de désirs et une denrée rare – il ne faut pas se leurrer, la gratuité pour le « second sexe » n’est pas fortuite - il règne ici le sentiment d’un ailleurs, d’une parenthèse dans un monde normé et genré, une bulle d’audace et d’émancipation fort agréable.

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