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Culture

En Outre-mer, on ne rigole pas avec les telenovelas

« C’était une messe : la vie s’arrêtait à chaque épisode de Marimar. On entendait le générique résonner dans chaque maison. »​
Marimar
 Marimar ©Televisa  

Bien dénigrées dans l’Hexagone, les telenovelas, ces soaps opéra sauce latine apparus dans les années 1950, font des cartons d’audiences dans les Outre-mer depuis vingt ans et la diffusion de Marimar sur la chaîne ancêtre de France Ô. Ce phénomène audiovisuel est aujourd’hui devenu une véritable affaire de famille dans les territoires ultramarins.

« Han, j’espère qu’elles vont se battre ! Les scènes de combat, c’est les meilleures ». Dans un café place de la Sorbonne à Paris, du haut de son mètre 80, Alexis 21 ans frétille devant sa tablette tactile en sirotant sa menthe à l’eau. 13 h 15, c’est le moment du Prix du Désir sur France Ô. Diffusée depuis janvier 2019, la telenovela brésilienne raconte les aventures professionnelles et amoureuses de Bibi « sulfureuse et passionnée », m’explique Alexis, de Jeiza « qui met sa carrière de policière avant l’amour » et de Ritinha « plus insouciante ».

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Rubi ©Televisa

Arrivé de Guadeloupe à Paris en septembre après deux années de prépa littéraire, l’étudiant en licence de communication et médias décrète, connaisseur : « C’est ce qu’on fait de mieux en ce moment », puis repose son verre, concentré. « Là, c’est la scène la plus importante de l’épisode. Celle de la méchante, Irène. C’est là où tu vois que la scénariste Gloria Perez a fait un travail incroyable, elle a révolutionné ce personnage type ». Anecdotes de tournage, bio des acteurs, décors : Alexis, incollable, me décrypte tout. Et il peut : je débarque après 52 épisodes, complètement larguée. Comme dans toute telenovela qui se respecte, regarder cette saga produite par le mastodonte réseau de télévision brésilien Globo, c’est se plonger dans des secrets de familles, des alliances et des passions inavouées. « Bibi, n’est pas vraiment amoureuse de Ruben, elle est attachée à l’attention qu’il lui porte », analyse Alexis comme s’il parlait de son amie d’enfance. C’est chez ses grands-parents en Guadeloupe qu’il est « tombé dedans » alors qu’il avait 4 ans. Ce qu’il préfère ? L’ascension spectaculaire de ces « femmes fortes et splendides ». Les pauvres (les gentilles) réussissent et les riches (les méchants) sombrent pour carrément disparaître le plus souvent dans d’atroces souffrances.

L’étudiant en communication a des airs d’encyclopédie sur pattes des Telenovelas, au point d’avoir lancé en 2012 une page facebook, Actus Telenovelas FR, avec Yason, un Réunionnais de quatre ans de plus. Les deux passionnés fédèrent aujourd’hui 89 000 fans. Depuis son île, Jason est en contact avec des boîtes de doublage qui lui permettent d’avoir des informations en exclusivité mais « on ne peut pas trahir ses sources », rebondit Alexis.

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« J’avais 13 ans au moment des premières diffusions de Marimar. Si en métropole on se moque de ces feuilletons, en Guadeloupe, c’est pris très au sérieux. Les personnages de cette fiction faisaient partie intégrante de notre vie », Sam, 28 ans

La passion des Outre-mer pour ces soap latins remonte à la première diffusion de Marimar en 2001. Le feuilleton retrace l’ascension d’une jeune mexicaine Marimar, fleur bleue et analphabète, qui vit dans une cabane sur la plage avec ses grands-parents, son chien Sac à puces et sa poule. L’héroïne tombe rapidement et follement amoureuse de Sergio, fils du propriétaire d’une Hacienda, grande exploitation sud américaine .

« J’avais 13 ans au moment des premières diffusions de Marimar. Si en métropole on se moque de ces feuilletons, en Guadeloupe, c’est pris très au sérieux. Les personnages de cette fiction faisaient partie intégrante de notre vie », se souvient Sam, designer de 28 ans qui habite aujourd’hui dans l’Hexagone, à l'initiative du Mwakast, un podcast sur la culture antillaise. « C’était une messe : la vie s’arrêtait à chaque épisode de Marimar. On entendait le générique résonner dans chaque maison ». Fils d’intellos qui n’approuvaient pas la série un brin culcul, Sam devait se planquer pour suivre les péripéties de la jeune mexicaine. « Marimar apportait du grain à moudre à nos discussions. Il y avait le côté cancans, potins avec des amours cachés, de l’infidélité. C’était plus un truc de meufs, mais les garçons étaient tous amoureux de l’héroïne. C’était un gros phénomène dans la cour de récréation, un peu comme les pokémons ». Selon lui, c’est la possibilité d’identification du téléspectateur aux personnages qui a provoqué ce succès : « C’était une des premières fois où l’on voyait des personnages racisés à la télévision. Des héros qui nous ressemblaient physiquement qui évoluaient dans des décors qu’on connaissait ».

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En 2007, la Maître de Conférences en Sciences de l’Information et de la Communication du CNRS à la Réunion, Eliane Wolff, avait planché sur les raisons du succès de ce programme. « La proximité historique et socioculturelle de La Réunion avec les pays producteurs de telenovelas nous apparaît comme fondamentale», analysait-elle dans une étude disponible en ligne. Selon la chercheuse, dans le cas de la Réunion, qui fait écho à celui des antilles, le public se projetait aussi dans cette fiction parce que leur société et celle d’Amérique latine « ont connu l’importation d’Afrique d’une main d’oeuvre servile et expérimenté un système d’organisation sociale particulier ». Les haciendas, décor de Marimar rappellent par exemple les « habitations » réunionnaises qui mêlent logement des maîtres et des travailleurs et les terres de culture.

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Fatmagül ©KanalD/NovelasTV

Depuis le triomphe Marimar, La 1ère, réseau de télévision public diffusé dans les Outre-mer, programme six novelas inédites par an qui fédèrent le plus souvent 29% de part d’audience. En 2016, c’est Canal + qui a lancé sa chaîne Novelas TV, devenue première chaîne en durée d’écoute en Guadeloupe et en Martinique. Les chaînes locales comme Antenne Réunion ont, elles aussi saisi l’impact de ces feuilletons et se sont lancées dans la course aux soaps.

Dix-huit ans après les aventures de la candide Marimar, depuis Malakoff, dans les locaux métropolitains de La 1ère, Rémi Festa, directeur de la prospective et du conseil éditorial du pôle Outre-mer et James Labbé responsable des achats des programmes pour l’outre-mer, décryptent le succès des telenovelas dans les territoires ultra-marins. « Chez les non connaisseurs, et les métropolitains souvent, ce genre a un côté niais mais ces fictions ont énormément évolué, avec un doublage de plus en plus qualitatif », explique James Labbé. Une mauvaise réputation que j’ai pu moi-même constater en lançant divers appels à témoins pour cet article. La majorité des réponses peuvent se résumer à des critiques assassines contre ces programmes, tandis que si, certains m’ont dit être accros aux telenovelas, ils avaient « beaucoup trop honte » pour m’en parler.

« C’est un phénomène de masse. Le genre fonctionne comme les contes de fées avec des épreuves et une résolution. Il suffit d’ingrédients clé pour la faire fonctionner comme la romance, la vengeance et la conquête sociale », continue Rémi Festa qui a lancé une étude sur ce genre pour France Télévisions en 2012. « Le public reste essentiellement féminin mais ces programmes ponctuent des moments où la famille se recompose devant l’écran comme après l’école par exemple », poursuit-il avant de préciser : « Selon l’intensité de l’intrigue, le public diffère autant qu’il existe de variétés de novelas ». Depuis 2010, par exemple, les telenovelas colombiennes et brésiliennes s’emparent du narcotrafic, jusqu’à parfois se faire reprocher de glamouriser le crime organisé.

« Ma mère va devenir FOLLE », affirme Alexis. Dans le café place de la Sorbonne, l’épisode du Prix du Désir s’achève sur la rencontre orageuse entre Bibi et Jeiza dans un commissariat. En une heure, Alexis a pris mes a priori sur les telenovelas et les a laminés. Il conclut : « La rumeur dit que Dilma Rousseff aurait annulé une réunion pour voir le final d’Avenida Bresil ». Dans ce cas, je peux bien me faire un petit épisode ce soir.

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