Un diagnostic de leucémie, c'est toujours inquiétant, mais c'est pire quand on est noir
Tammi / Photo fournie par Héma-Québec

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Héma-Québec

Un diagnostic de leucémie, c'est toujours inquiétant, mais c'est pire quand on est noir

Au Québec, comme à l’étranger, les registres de cellules souches comptent très peu de donneurs noirs, asiatiques ou hispaniques.

Pour faire un don de sang ou vous inscrire au registre de donneurs de cellules souches, visitez le site d’Héma-Québec .

Pendant ses traitements, Tammi oubliait provisoirement ses ennuis devant Edward Scissorhands et la filmographie complète de Johnny Depp. Elle prisait aussi la puissance des textes de Kendrick, de J. Cole et de Jay-Z. Et elle raffolait des ateliers d’art-thérapie proposés par l’hôpital Sainte-Justine, qui lui permettaient de se défouler sur un canevas en évacuant tout ce qui lui tourmentait l’esprit. En cet après-midi de janvier d’un froid sibérien, Tammi me reçoit chez elle à Montréal-Nord pour me raconter tout ce qu’elle a surmonté avec grande détermination dans un passé pas si lointain.

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Aujourd’hui âgée de 19 ans, Tammi a reçu son premier diagnostic de cancer à 11 ans, alors qu’elle entamait la sixième année. À l’époque, elle a reçu des traitements de chimiothérapie et n’a pas eu besoin de greffe, « car le cancer n’était pas à un stade avancé », me dit-elle d’emblée. Mais le coup a été plus difficile à encaisser lorsqu’on lui a appris, dans le cadre de tests ponctuels, que le cancer était revenu à l’aube de ses 15 ans. « J’étais carrément dévastée, reconnaît Tammi. Juste d’en parler… C’est peut-être parce que j’étais plus vieille, que j’étais en train de vivre de nouvelles expériences, ou que je me rendais compte que je pourrais cette fois en mourir. »

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Sur-le-champ, son équipe médicale lui annonce qu’elle recommencerait la chimio et la radiothérapie la semaine suivante afin d’affaiblir son système immunitaire pour recevoir une greffe de cellules souches. « Puisque les traitements sans greffe n’avaient pas fonctionné la première fois, on m’a dit que j’étais obligée cette fois d’en recevoir une. D’habitude, c’est de la moelle osseuse qu’ils te greffent, mais dans mon cas, ce fut du sang de cordon ombilical. » Elle ne se souvient pas de délai ou de grandes difficultés à trouver un donneur compatible, et s’est donc fait greffer le 1er août 2014, « date que je n’oublierai jamais, car ce fut un moment d’ultimatum, précise-t-elle. J’allais rapidement savoir si la greffe avait fonctionné. » Sa rémission complète depuis près de cinq ans témoigne du succès de cette dernière procédure chirurgicale.

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Le taux disproportionné de donneurs blancs

Tammi a pourtant eu de la chance en ce qui concerne sa compatibilité avec les cellules souches d’un donneur anonyme de sang de cordon, car il existe un grave problème de sous-représentation de donneurs non blancs dans les registres internationaux. (Et il faut savoir que la compatibilité repose en grande partie sur l’ethnicité.) En novembre dernier, le Huffington Post Canada sonnait l’alarme : « Des gens meurent, car le registre de cellules souches du Canada est trop blanc. » Les défis observés sont sensiblement les mêmes au Royaume-Uni et aux États-Unis, tel que le rapporte le National Cord Blood Donor Program. La fondation Swab the World révèle que 70 % des donneurs inscrits à divers registres à l’international sont blancs, alors que 88 % de la population mondiale ne l’est pas. Les conséquences de ce déséquilibre sont alarmantes : les Asiatiques, les Hispaniques, les Autochtones et les Noirs ont beaucoup moins de chances de trouver un donneur compatible.

Les conséquences de ce déséquilibre sont alarmantes : les Asiatiques, les Hispaniques, les Autochtones et les Noirs ont beaucoup moins de chances de trouver un donneur compatible.

De plus, les recherches de donneurs par des patients non blancs augmentent chaque année, un défi qu’Héma-Québec juge prioritaire. « Comme les caractéristiques des cellules souches greffées doivent être aussi proches que possible de celles du malade, on cherche un donneur dont les origines sont les mêmes que celles du malade », explique Vanessa Jourdain d’Héma-Québec. « C’est pourquoi nous déployons des efforts pour améliorer la représentativité de l’ensemble des communautés et favoriser les chances de trouver ces donneurs si précieux qui sauvent des vies. »

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Afin de mieux refléter la composition de la population québécoise dans le registre, Héma-Québec s’y prend par plusieurs moyens pour mobiliser davantage de donneurs de la communauté noire, entre autres. On parle notamment d’un partenariat avec l’Association d’anémie falciforme du Québec, du lancement prochain d’un programme d’ambassadeurs au registre et de collectes de sang ciblées, comme celle organisée récemment en collaboration avec la Table ronde du Mois de l’histoire des Noirs.

Le cas SOS Mai Duong

Les conséquences d’une sous-représentation de certains groupes de donneurs peuvent être dramatiques, comme nous le rappelait la campagne SOS Mai Duong, qui a pour bon nombre de Québécois mis un visage sur le drame vécu par plusieurs patients. En 2014, alors qu’elle combattait une rechute de leucémie et tentait de trouver un donneur compatible d’origine vietnamienne, cette ancienne directrice média chez Touché! a mis en branle une vaste offensive de visibilité sur les réseaux sociaux à partir de son lit d’hôpital, se prêtant aussi à quelques interventions dans les médias remarquées (notamment son passage à Tout le monde en parle). N’ayant pas le luxe d’attendre, cette jeune maman a ainsi mobilisé de nombreux donneurs potentiels qui n’avaient pas été sensibilisés à la cause. Résultat : 2000 Canadiens d’origine asiatique se sont inscrits au registre d’Héma-Québec pendant la campagne, faisant grimper en flèche leur proportion, qui est passée de 1 % à 4,2 %. Trois personnes au Canada et aux États-Unis ont d’ailleurs pu se faire traiter pour des maladies du sang grâce à ces nouveaux inscrits.

Mai Duong, quant à elle, n’a pas trouvé de donneur pour une greffe de moelle osseuse, mais le sang de cordon d’une maman compatible a pu la sauver. Et tout récemment, cette survivante au parcours impressionnant a fondé la plateforme Swab the World pour démystifier le don de cellules souches et encourager les jeunes non blancs à s’inscrire au registre d’Héma-Québec. L’experte en communication y est allée d’un message simple mais évocateur : l’image d’un jeune couple noir figé dans une étreinte passionnée, accompagné du hashtag « partagez votre ADN ». Comme Mai Duong le soulignait l’automne dernier à The Gazette, « nous sommes tous créés égaux, jusqu’à ce que nous devions lutter contre le cancer du sang ». En se basant sur des projections de la population publiées par Statistique Canada en 2017, les besoins ne deviendront que plus criants à moyen terme, puisque les immigrants représenteront entre 24,5 % et 30 % de la population du Canada dans moins de vingt ans, par rapport à 20,7 % en 2011.

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Vers l’avenir

Pour sa part, Tammi a appris à accepter l’épreuve qu’elle a traversée, une expérience qui dans son cas a permis de guérir complètement, bien qu’elle s’accompagne de certains obstacles. « C’est sûr que ça m’a beaucoup affectée émotionnellement, mais pas au point de ne pas m’en remettre, souligne-t-elle d’une voix sereine. C’est sûr que ça m’a empêchée de faire certaines choses et de vivre une adolescence normale. Ça se peut aussi que je ne puisse pas avoir d’enfant. Mais je considère que ç’a été un chapitre dans ma vie et que je suis maintenant ailleurs. »

« Je veux maintenant ouvrir mes horizons, découvrir de nouvelles cultures et changer d’environnement » - Tammi

Avec son regard résolument tourné vers l’avenir, Tammi rêve aujourd’hui de travailler comme agente de bord. Alors qu’elle était malade, elle s’est fait offrir un voyage en famille aux Bahamas pour nager avec des dauphins par la fondation Fais-Un-Vœu, qui œuvre à la réalisation de vœux d’enfants dont la santé est gravement menacée. Ce séjour lui a donné la piqûre du voyage et de l’exploration. « Je pense que ça a aussi rapport avec le fait que j’ai longtemps été confinée dans une chambre d’hôpital, et que je veux maintenant ouvrir mes horizons, découvrir de nouvelles cultures et changer d’environnement », résume-t-elle. On lui souhaite de tout cœur, tout autant qu’on souhaite à d’autres personnes en attente de greffes de trouver, comme Tammi, des donneurs compatibles, ce qui leur permettra à eux aussi de se projeter dans le futur.

Pour faire un don de sang ou vous inscrire au registre de donneurs de cellules souches, visitez le site d’Héma-Québec .

Michael-Oliver Harding est sur Twitter.