David Douillet, l'illustre prédécesseur de Teddy Riner
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Judo

David Douillet, l'illustre prédécesseur de Teddy Riner

L'ancien judoka évoque sa carrière achevée il y a 16 ans, l'évolution du judo et son héritier guadeloupéen, qui va tenter de remporter un deuxième sacre olympique à Rio.

Le hall de l'Assemblée nationale, un mercredi. La sonnerie annonçant la fin des questions au gouvernement retentit. Quelques minutes plus tard, un ballet de crânes grisonnants ou déplumés s'échappe de l'hémicycle, interrompu par l'irruption d'une silhouette de déménageur. Celle de David Douillet, actuel vice-président de la région Île-de-France et député des Yvelines. Son éternelle coupe de cheveux a un peu blanchi, mais le judoka, quadruple champion du monde et double champion olympique, impressionne toujours autant. Après avoir débattu de la loi travail avec ses collègues de l'Assemblée, « DD » troque le costard pour le kimono et se replonge dans ses années judo et évoque son successeur, Teddy Riner, qui tentera de remporter un deuxième titre olympique consécutif à Rio.

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VICE Sports : David, il y a 16 ans vous gagniez votre dernière médaille d'or olympique à Sydney…
David Douillet : Seize ans, c'est une éternité, ça fait mal à entendre !

…Vous trouvez que le judo a beaucoup changé depuis ?
Plein de choses ont changé oui : au niveau des règles par exemple, on n'empoigne pas le kimono adverse de la même manière. La fréquence des championnats du monde a changé, avant c'était pas tous les ans comme maintenant. Ça c'est pour le côté sportif, maintenant, économiquement, il y a des prize money dans les grands tournois, ça a bien évolué et tant mieux, parce qu'à mon époque, ça n'existait pas. Quand je gagnais le tournoi de Paris, c'était queudale pour moi !

Comment vous vous débrouilliez à l'époque alors ?
J'ai gagné des sous grâce à la pub parce que j'avais une grande notoriété. Mais si on fait le rapport poids des médailles/poids économique, le judo c'était zéro. Quand on se retrouvait dans les pince-fesses sportifs, on s'asseyait à côté des golfeurs, des tennismen, des footballeurs. On s'entraînait 10 000 fois plus qu'eux et on touchait rien, on était des clochards du sport. Tout ça a évolué et j'en suis très heureux.

Quelle genre de relation vous entretenez avec Teddy Riner ?
Excellente ! Même si Teddy a presque l'âge de mon fils, je l'ai jamais considéré en tant que tel. C'est mon copain, point barre, j'ai horreur de jouer les vieux cons. On parle pas du tout judo quand on se voit en fait, je n'ai rien à lui apprendre. On parle parfois de la fédé, de ce qui gravite autour, je lui réponds quand il a des questions, mais sinon, c'est une conversation à la cool entre deux « gros ».

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Est-ce qu'il existe des similitudes entre Teddy et vous ?
Teddy et moi, nous sommes issus d'un judo technique mais aussi physique, d'un judo audacieux mais aussi créatif. C'est un peu ça le French flair en kimono. Teddy est dans cette continuité-là, avec lui il y a toujours un truc surprenant, un truc d'adaptation et de changement de rythme qui fait sa force.

On peut parler d'une patte de l'école française de judo ?
Totalement. La patte de l'école française, c'est d'avoir toujours quelqu'un qui tire la discipline vers le haut. C'est le cas depuis des décennies. Avant moi, il y a eu Fabien Canu [Double champion du monde en 1987 et 1989, ndlr] et plein d'autres encore. Là, c'est l'ère Teddy Riner et j'espère que demain il y en aura un autre et encore un autre. C'est ce qui fait la force du judo français, et on en a besoin. C'est vital d'avoir une grosse locomotive.

En finale des Jeux olympiques de Sydney, en 2000, David Douillet terrasse la star japonaise, Shinichi Shinohara. Photo Reuters.

Pourquoi ?
Parce qu'on n'est pas un sport avec un championnat tous les week-ends comme le foot ou le rugby, tout simplement. Au niveau de la comm' c'est différent. Pour exister, on a encore plus besoin d'une figure forte qui popularise notre sport.

Comment la France arrive à sortir aussi fréquemment des grands judokas ?
Le judo français a su aller chercher les compétences où elles étaient dans les années 1960, c'est-à-dire partir au Japon. Il y a des Japonais qui sont venus, comme Shozo Awazu [l'un des pères du judo français, décédé en mars 2016, ndlr] et des Français qui y sont allés et qui sont revenus, ce qui fait que le français est le fruit de ces aller-retours.

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Au-delà des seules qualités sportives, qu'est-ce qui fait que Teddy et vous soyez aussi populaires en France ?
Ça doit être le culte des gros. Attention, c'est pas péjoratif d'être gros dans le monde du sport. C'est dans la nature humaine, dans la rue, les gens se retournent plus sur les grands comme Teddy ou moi. Et puis après c'est autre chose, c'est affaire de personnalité. Teddy, ça se voit sur sa bouille que c'est un gentil. Et ça se vérifie dès qu'il parle. Les gens le sentent et l'apprécient.

A 11 ans, vous faisiez déjà 1m80 pour 80 kilos, Teddy était à peu près dans le même cas. Comment on vit ce "gigantisme" étant enfant ou ado ?
C'est l'horreur. C'est chiant. Déjà les gens vous pensent beaucoup plus vieux . Sur la façon de parler, les réflexions que vous faites, vous êtes plus jeune que ce que vous paraissez et les gens ne comprennent pas. Dès que je commençais à parler en public, les membres de ma famille prévenaient à chaque fois : « Attention il n'a que 11 ans, pas 16 pas 17 comme on pourrait le croire. »

Avec les filles, ça peut avoir un côté séduisant non ?
Oula, pas vraiment. Les filles à l'adolescence, elles regardent jamais les plus grands. C'était vraiment le truc le plus pesant, pire que de devoir trouver des chaussures pointure 48 ou des costards taille 64. Elles regardent les gens dans la moyenne et toi, t'es le bon copain à la limite, mais rien de plus. C'est insupportable, c'est long ! Qu'est-ce que c'est long ! C'est un tunnel de 14 ans à 16 ans, puis ça commence tout doucement à diminuer. Après, l'avantage, c'est qu'à partir de 17-18 ans, vous commencez à taper dans le 22-23-24 ans, on se rattrape, la roue tourne.

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Et puis ce physique vous a quand même permis à l'un comme à l'autre de vous construire les plus gros palmarès de l'histoire du judo…
Le physique oui bien sûr, mais le travail surtout ! Le judo est un sport de stakhanovistes. Combien de fois j'ai pu voir des mecs talentueux très jeunes être très vite dépassés parce qu'ils ne bossent pas, ou moins que d'autres. A 16 ou 17 ans, tous les talentueux qui ne travaillent pas sont dépassés, ce sont les besogneux qui continuent à grimper les échelons.

Ça veut dire que Teddy n'était pas le plus doué étant gamin ?
La première fois que j'ai vu Teddy, il devait avoir onze ans. C'était un bon gamin, il était ceinture verte au PSG judo, dans mon club. Je l'avais suivi de loin sans l'emmerder. C'était un petit garçon simple, qui s'éclatait dans son sport. Mais je n'aurais jamais pu dire qu'il allait devenir la machine à gagner d'aujourd'hui. À cet âge-là, c'est ridicule de prévoir qu'un gamin deviendra champion.

Pourquoi ?
Il y a encore tellement d'étapes à franchir, qu'elles soient physiologiques, personnelles ou intellectuelles, liées à l'adolescence à la croissance. C'est vraiment spéculer pour rien. C'est la limite du système sportif actuel, qui entraîne les dérives qu'on observe dans d'autres sports comme le foot où des gamins sont annoncés comme des futures stars et ne percent jamais. Les meilleurs enfants ne font pas les meilleurs athlètes, il faut le garder en tête.

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Vous disiez que le judo s'était bien développé financièrement depuis votre époque, vous craignez que l'argent pourrisse la discipline ?
Pour l'instant, les valeurs du judo ne sont pas salies par le show. J'ai l'impression que les fondations sont sauvegardées. Mais après, je ne vois plus les choses de l'intérieur, ce n'est que mon avis…

Vous entendez quoi par « les valeurs du judo » ? On a communément l'habitude de dire qu'être un bon judoka, c'est pas seulement sur le tapis. Être un bon judoka, c'est aussi traduire les valeurs du sport et du judo dans sa vie personnelle. Par un respect, une attitude… et Teddy fait ça, il ne fait même pas ça en fait, il est comme ça. C'est ce qui explique sa popularité aussi, ce côté naturellement gentil.

C'est vrai que l'un comme l'autre vous avez cette image affable et débonnaire. Mais est-ce qu'on peut devenir un grand champion en restant toujours « gentil » ? Il ne faut pas savoir être méchant parfois ?
Non, il n'y a aucun besoin d'être méchant. Si vous cédez à la colère et à la méchanceté, c'est dangereux. Enfin pour moi, parce que pour certains, c'est un moteur. Certains se sentent obligés d'haïr leur adversaire. Moi pas du tout et Teddy non plus. Je considere que la colère et la méchanceté sont des choses négatives qui ne rendent pas efficaces. Après, dans la vie, je suis comme tout le monde, je gueule quand on me fait une queue de poisson.

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On entend souvent parler de « l'esprit judo », moins des sensations physiques ressenties sur un tatami. Concrètement, ça ressemble à quoi l'effort du judoka ?
On pourrait comparer ça à du fractionné, c'est assez proche de l'effort du 400m. C'est comme si dans un 400 mètres, vous deviez faire des accélérations, c'est très violent, c'est de la résistance pure. Ça s'approche aussi de la boxe, sauf qu'au lieu de sautiller à vide autour de ton adversaire, tu fais ta prise de garde [empoigner le kimono adverse, ndlr] chargée avec le corps de l'autre tout le temps.

Et sur le tapis, qu'est-ce qui donne le plaisir du combat ?
C'est particulier, c'est très spécial et très difficile à expliquer avec des mots. On passe par toutes les facettes du ressenti. Avant de toucher votre adversaire, vous allez visualiser mentalement ce qu'il fait, ce que vous faites, comment ça pourrait se passer. Le combat commence là, à l'avant-match, on se concentre. Puis une fois qu'on touche son adversaire, là, il y a beaucoup d'infos qui circulent.

Comme quoi par exemple ?
On peut tout sentir : si l'adversaire est tendu ou pas, s'il a peur ou pas, s'il est roublard ou pas, s'il est frais physiquement ou pas. C'est un peu comme si on se branchait sur la personne, c'est très étonnant. C'est comme le round d'observation en boxe. Ensuite vous avez le passage où vous appliquez vos systèmes, où vous essayez de mettre votre adversaire dans le vent et de passer votre mouvement favori. Tout ça est empreint de concentration, de froideur et en même temps d'incertitude, de doute, de prise de conscience, de prise de pouvoir sur l'autre ou pas.

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Cela doit être grisant quand on est en position de force, mais frustrant quand on subit…
Quelque fois, ça m'est arrivé d'être désemparé, de ne plus savoir quoi faire. Ces passages-là sont très délicats effectivement, parce que ça va vite 5 minutes [La durée d'un combat senior, ndlr]. Il m'est arrivé de me retourner sur mes coaches qui me faisaient des signes incroyables mais je ne comprenais rien et de n'être pas plus avancé en revenant face au mec. C'est la magie du combat et ce sont cette faculté à gérer ces sensations, ces impressions et ces sentiments-là qui concourent à mentalement être fort ou pas fort.

Quels sont les pires souvenirs de combats que vous gardez ?
Le pire, je pense que c'était mes affrontements avec Ogawa [Quadruple champion du monde à la fin des années 1980, ndlr]. Face à lui, j'avais l'impression d'avoir une grenade dégoupillée entre les mains. Ce mec, il était à la fois droitier et gaucher, il avait tellement de systèmes d'attaque, il était complètement déroutant et imprévisible. C'était très stressant d'être face à lui. C'est ce qui est excitant aussi dans le judo.

David Douillet se retire des tatamis après son second sacre olympique, en 2000, à Sydney. Photo Reuters.

Votre autre grand rival, ça a été son successeur en équipe du Japon, Shinohara…
Il avait moins de systèmes d'attaque, mais il était beaucoup plus puissant.

C'est contre lui que vous avez gagné la finale des JO de Sydney 2000 qui avait été très contestée à l'époque…
À l'époque où je gagne en 2000, Yamashita [Le plus grand judoka japonais de l'histoire, ndlr], qui était commentateur à l'époque, part en sucette complet pendant la finale. Il dit que le mouvement que je fais aurait dû donner la victoire à l'autre. C'est comme si je disais à la télé en France, pendant une finale où Teddy perd : "Il s'est fait voler." Tout le monde vous croit puisque vous incarnez l'expert. C'est ce qui s'est passé, tous les Japonais se sont dit "c'est vrai si Yamashita le dit", alors que c'était faux. Ça a pris des proportions insensées ! Les choses ont seulement été rétablies après les excuses de Yamashita à la télé japonaise. C'était tout un cirque, mais j'ai droit à beaucoup de respect là-bas aujourd'hui.

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Vous gardez quel genre de relation avec Shinohara ? Parce que le mec a quasiment sombré dans la dépression après cette finale perdue…
Il vient me voir la semaine prochaine ! Il passe à Paris bientôt. On s'entend super bien. Il y a le tatami, il y a la compet' et puis il y a la vie. On sait faire la part des choses.

Pourtant, vous l'avez détruit quelque part… Sportivement bien sûr [Shinohara n'est jamais revenu à son niveau des JO par la suite, ndlr].
C'est la vie, c'est la compétition… Mais je suis très heureux d'avoir eu ce compétiteur à mon époque parce que c'était un grand, parce qu'il était dur à battre. Nous, compétiteurs, ce qu'on aime, c'est la dureté de la rivalité. C''est pour ça qu'il y a du respect.

Pour Teddy comme pour vous, ce qui doit être dur quand on écrase la concurrence comme ça, c'est de rester motivé.
Moi j'avoue, j'ai eu des problèmes pour me remotiver et j'admire Teddy pour ça. Il gagne, il gagne, il gagne et il continue sans se plaindre, chapeau. Parce que ce que les gens ne voient pas, c'est que le lendemain de votre victoire, quand vous êtes le meilleur du monde et que vous avez tout gagné, que vous devez reprendre le sac, refaire la même chose, resouffrir sur le tapis de judo, aller se retaper des footings, des séances de musculation dures, lancinantes, le sac est de plus en plus lourd. La vraie difficulté, c'est de continuer à donner la dose de travail qui permet le succès.

Pourquoi la grande majorité des sportifs engagés en politique se retrouvent à droite ?
Tous les sportifs ne votent pas à droite, attention ! Mais après, c'est vrai que les sportifs de haut-niveau représentés au gouvernement ou à l'Assemblée sont de droite comme Jean-François Lamour, Guy Drut ou Chantal Jouanno. Peut-être que les compétitions incarnent des valeurs plutôt de droite, la récompense au meilleur, ce serait intéressant de creuser le sujet.

Vous continuez à pratiquer le judo depuis que vous êtes élu ?
Oui il y a un dojo à l'Assemblée !

Est-ce que certains députés se débrouillent sur un tapis ?
Patrick Ollier est ceinture noire, il y a aussi Patrick Vignal, un copain député de l'Héraut (PS) qui est prof de judo du côté de Montpellier. Mais je n'ai jamais fait de combat avec eux.

Y-a-t-il quelqu'un dans l'hémicycle que vous aimeriez affronter ? Un député que j'aimerais terrasser, qui m'insupporte ? [Il réfléchit] Pour le coup ça va, j'arrive à supporter tout le monde jusque-là. Mais je doute qu'un de mes collègues soit partant pour combattre contre moi !