Iman Achaaray
santé mentale

J'ai survécu à six tentatives de suicide

La Belge Iman Achaaray a tenté d'en finir avec la vie sans jamais arriver à ses fins.

1 Belge sur 9 prend des antidépresseurs et près de 6 personnes se suicident chaque jour en Belgique. C'est le cinquième taux le plus élevé en Europe. Les jeunes figurent parmi les plus concerné·es par ces fléaux. Du coup de blues au suicide, trouvez ici nos articles sur la santé mentale.

Iman Achaaray (22 ans) a été abusée sexuellement pendant son enfance et a connu par la suite des problèmes psychologiques. Plusieurs fois, elle a essayé de se suicider, mais a échoué à chaque fois. Après sa tentative la plus grave, elle s'est retrouvée à l’hôpital psychiatrique. En fin de compte, elle a pu tout remettre en place grâce au soutien de ses amis et de sa famille mais aussi grâce aux nombreux échanges avec d'autres patient·es. Les histoires qu'elle a entendues l'ont inspirée à écrire un livre à ce sujet afin que l’on puisse avoir une meilleure idée de ce que c'est que de vivre avec des problèmes psychologiques. VICE lui a demandé comment elle avait survécu à la période la plus sombre de sa vie.

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Quand j'avais 9 ans, j'ai été plusieurs fois victime d’agressions sexuelles. J'ai gardé ce secret en moi pendant longtemps. On ne peut pas jeter quelque chose comme ça sur la table, entre le plat et le dessert. Et encore moins si on a des racines marocaines. Certains membres de ma famille pensaient même que j'étais possédée, parce qu’en réalité, la dépression n'existe pas dans notre culture.

« Je n'arrivais même pas à réussir mon propre suicide. »

Quand j'ai été violée, je ne l’ai pas tout de suite compris et je n’en ai pas voulu à mon agresseur. Je pensais qu'il me protégeait, qu'il prenait soin de moi. Ce n'est que vers l’âge de 14-15 ans que j'ai réalisé ce qui m'était arrivé. Cela a eu un impact sur mes relations amicales, et avec les garçons, ça ne passait pas du tout. J'ai commencé à énormément douter et je n’avais plus confiance en moi.

Enfant, on ne se rend souvent pas compte qu'on est déprimé·e. Tu es trop jeune pour être capable de mettre des mots sur ce que tu ressens et tu ne sais pas ce qu’est la dépression. Ce n'est qu'à l'âge de 16 ans que j'ai réalisé à quel point j'étais déprimée lorsque j'ai lu la lettre de suicide d’une amie proche, et que j'y ai reconnu mes propres sentiments. Elle s'est suicidée en sautant sous un train. En faisant ça, tu causes beaucoup de dommages financiers à ta famille, et ce n’était certainement pas mon intention. Mais sur le moment, tu n'y penses pas. Tu ne veux plus exister et ce sentiment domine tout. J'ai fait plusieurs tentatives de suicide. Toutes ont échoué. Pour l’une de mes premières tentatives, j'ai voulu mourir de la même façon que mon amie. Je suis restée longtemps assise à attendre que le train passe, mais il n’est jamais arrivé. Je n'arrivais même pas à réussir mon propre suicide. Au total, je me suis retrouvée quatre fois sur la voie ferrée.

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Dessin d'Iman

À 18 ans, je me suis enfuie de chez moi parce que la situation était devenue insupportable. Quand je suis rentrée chez moi, deux semaines plus tard, j'ai parlé à ma mère de l'agression sexuelle et lui ai expliqué que c'était la cause principale de ma dépression.

Ma famille a eu du mal avec ça. Iels ne pouvaient pas comprendre comment cela s'est produit, pourquoi iles n'ont pu l’empêcher ni même le remarquer. La culpabilité d’avoir causé de la douleur à mes proches a pris le dessus et l’idée qu'iels ne me croyaient peut-être pas me rendait folle. Ce qui m'a conduit à une autre tentative, après quoi je me suis retrouvée en psychiatrie.

Ma tentative de suicide la plus intense a eu lieu quand la personne qui m'a agressée sexuellement est morte. J’avais prévu à l'avance la façon dont j’allais m’y prendre. J'ai d'abord écrit une lettre d'adieu - un extrait de mon livre -, nettoyé mes vêtements et tout jeté, même mes dessins. Ma chambre était nickel. J'ai jeté toutes mes affaires, je ne sais plus où. Les news ont même parlé du fait que quelqu’un avait balancé ses déchets. J’ai fait tout ça car je ne voulais pas laisser de souvenirs à la maison. Je voulais vraiment partir. J'ai même pris la peine d'appeler mon stage pour leur prévenir que j’arrêtais. L'étape suivante a été d'aller voir le médecin de famille et de lui demander des tranquillisants. Il m'en a prescrit de très puissants, ainsi que des protecteurs gastriques et un médicament contre les vomissements. Je les ai tous pris en même temps et j’ai conduit jusqu’au canal. J'ai enlevé le frein à main et j'ai directement plongé. Je ne me souviens de rien, si ce n'est que j'ai dessiné quelque chose juste avant dans la voiture. J'ai toujours dessiné des trucs très sombres.

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« C'était horrible de se réveiller et de réaliser que ça n'avait pas fonctionné. »

C'était horrible de se réveiller et de réaliser que ça n'avait pas fonctionné. Chaque fois qu'une tentative échouait, je me sentais déçue. Je ne savais plus quoi faire. Cette envie d'arrêter de vouloir exister n'a jamais disparu, au contraire, elle était de plus en plus présente. Aujourd’hui je me rends compte que c'était très égoïste de ma part. Et je suis contente que toutes ces tentatives n’aient jamais abouti. J'aurais trop blessé mes ami·es et ma famille. Si un bateau ne m'avait pas vu flotter sur l'eau, je n'aurais pas survécu. J'ai vraiment de la chance, et je m'en rends compte maintenant.

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Dessin d'Iman

Bien sûr, j'ai eu recours à la psychiatrie et j'ai beaucoup parlé à des psychologues, mais au final, cela ne m’a pas aidé tant que ça. Quelqu'un qui n'a jamais été à ta place ne peut pas vraiment t'aider je pense. J'ai l'impression qu'iels ont mis une étiquette avec un diagnostic sur mon front et classé mon rapport dans le dossier « abus sexuel ». Je ne veux pas cracher dessus, mais c’est la réalité. Ce qui m'a aidée en psychiatrie, c'est surtout le fait que j'étais assise là avec d'autres personnes qui ont vécu quelque chose de semblable. C’est dans ces groupes de discussion que la vraie guérison a eu lieu. Parce que chacun·e comprenait vraiment la douleur de l’autre.

« Aujourd’hui je me rends compte que c'était très égoïste de ma part et je suis contente que toutes ces tentatives n’aient jamais abouti. »

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Maintenant que j'ai mis tout ça derrière moi, je peux vraiment dire que je suis heureuse. C'est enfin fini avec toute cette merde, même si certaines blessures n'ont pas pu guérir. Je ne serai probablement jamais heureuse à 100%, mais qui l'est vraiment ? Je suis maintenant mariée à quelqu'un qui est très patient avec moi et en qui j'ai vraiment confiance. Tu dois travailler dur pour ça. Tout ne disparaît pas en un claquement de doigts. Si je pouvais remonter le temps, j’en aurais parlé à quelqu'un. Parlez-en à votre famille. Je sais que cela semble très cliché, mais au final, ça marche. Parler aide ! L’environnement est également très important. Il y a toujours beaucoup plus de gens qui se soucient de vous que vous ne le pensez.

Vous pensez au suicide ou connaissez quelqu'un qui y pense ? Vous pouvez en parler en appelant gratuitement la ligne de prévention du suicide au 0800 32 123. Toutes les informations sont accessibles sur leur site officiel, ainsi qu'un espace d'échange et de discussion étroitement modéré.

Regardez aussi notre vidéo : On a demandé aux Belges ce qui leur remonte le moral quand ça va pas trop

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