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Drogue

Visite du seul labo du Royaume-Uni qui analyse la drogue

WEDINOS est le seul endroit du Royaume-Uni où l’on peut faire analyser des échantillons de drogue. Nous leur avons rendu visite pour voir ce qu’ils trouvent dans la MDMA, le LSD ou la cocaïne.
Various bags of synthetic cannabis.

En 2017, il est plus dangereux que jamais de prendre de la drogue. Les 2,7 millions de consommateurs de l'Angleterre et du Pays de Galles sont essentiellement des cobayes humains à l'ère où les substances se multiplient. On en trouve plus de 300, et en consommer revient presque à jouer à la roulette russe. Bien sûr, la majorité des consommateurs occasionnels s'en tirent sans problème, mais pas tous. Et la chance joue de plus en plus contre eux.

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Selon le gouvernement britannique, nous sommes en train de gagner la guerre contre la drogue. Sa consommation totale, même chez les 16-24 ans, est en constant déclin depuis des années, nous apprend le Crime Survey, une enquête portant sur l'Angleterre et le Pays de Galles. Malheureusement, on ne peut pas en dire autant des dommages que cause la drogue. Le nombre de décès liés à la consommation de drogue a augmenté de 48 % en dix ans et est à son plus haut depuis qu'on a commencé à les comptabiliser, en 1993, d'après les statistiques du National Health Service (NHS). Les intoxications causées par des substances illicites ont augmenté de 51 % au cours de la même période et les admissions à l'hôpital pour des problèmes de santé mentale liés à la consommation de drogue ont augmenté de 11 %.

Un million de jeunes de 16 à 24 ans qui consomment de la drogue – même si le gouvernement assure que la drogue, c'est dépassé – sont donc dans une situation précaire. La première étape pour réduire les méfaits est de savoir ce qu'on prend. Pour l'instant, la seule façon de le faire – si l'on n'est pas dans un festival qui offre le service –, c'est d'envoyer un échantillon par la poste à un minuscule laboratoire de Cardiff, au Pays de Galles.

Comme WEDINOS est le seul laboratoire d'analyse de substances à qui l'on peut envoyer à longueur d'année des échantillons de partout au pays, il dispose d'une connaissance exceptionnelle des habitudes de consommation de drogue des Britanniques. L'an dernier seulement, le labo a analysé environ 1600 échantillons et, à l'heure actuelle, sa base de données compte 4650 rapports.

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Depuis 2013, la petite équipe a identifié 336 substances différentes en vente au Royaume-Uni, une conséquence directe de la prolifération des nouvelles substances psychoactives (NSP) et la raison principale pour laquelle la directrice du laboratoire, Josie Smith, croit qu'il est plus dangereux de prendre de la drogue aujourd'hui que jamais auparavant.

« On a eu affaire aux cinq drogues principales pendant presque toute ma carrière, dit-elle. Maintenant, on voit beaucoup de substances distinctes, et ce sont les combinaisons dans un même échantillon qui sont à mon avis plus dangereuses. »

On en sait peu sur les effets moléculaires des NSP, pour la simple et bonne raison qu'elles n'ont généralement pas été analysées. Elle ajoute que la prolifération des nouvelles substances dans les sept dernières années a coïncidé avec une hausse de la pureté des classiques – la MDMA, la cocaïne, l'héroïne – sans précédent. C'est pourquoi on voit en ce moment beaucoup d'avertissements à propos de comprimés hyperpuissants.

La directrice de WEDINOS, Josie Smith et le responsable de projet, Dean Acreman

Le portrait que dresse WEDINOS est celui d'un marché de la drogue concurrentiel et diversifié dans lequel circulent des versions très pures de MDMA, de cocaïne et d'héroïne, mais aussi où ces drogues bien connues peuvent avoir été modifiées ou substituées par des NSP (alors qu'avant, on les coupait avec un nombre limité de substances, comme l'amphétamine et des composés inactifs).

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En parcourant les résultats d'analyse des échantillons de WEDINOS, on en apprend beaucoup au sujet des ajouts et substitutions, et ça donne à réfléchir.

Dans les données de 2017, on a noté que la MDMA contenait de l'éphylone (dont les effets indésirables persisteraient plus longtemps); le diazépam (commercialisé sous la marque Valium) contenait de l'étizolam (propriétés principalement anxiolytiques et sédatives); les comprimés de morphine étaient en réalité de l'oxycodone (un opioïde); le Ritalin contenait du modafinil (un psychostimulant bon marché); le cannabis était contaminé avec des cannabinoïdes synthétiques; la méphédrone contenait du mexedrone.

Certaines substitutions ont été fatales. Le fentanyl, un opioïde 50 fois plus fort que l'héroïne, certains contenant du carfentanyl, 100 fois plus puissant, est à l'origine d'une épidémie de surdoses en Amérique du Nord.

« Des échantillons que nous avons reçus qui contenaient du fentanyl étaient vendus comme de l'héroïne blanche », dit Josie Smith. Ils ont causé plusieurs surdoses et un décès à Birmingham. L'héroïne blanche véritable existe, sous forme de poudre, mais elle est rare. Vu la puissance du fentanyl, on ne peut substituer l'un pour l'autre sans causer une surdose. WEDINOS en a découvert dans un échantillon pour la première fois en 2014 et en a depuis trouvé six versions différentes dans la drogue en circulation au Royaume-Uni.

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Le LSD, une drogue avec laquelle les surdoses sont rares, contient maintenant souvent des substances de la classe des NBOMe, une substitution connue et dangereuse avec laquelle le risque de surdose et d'une mort atroce donne froid dans le dos.

La MDMA contenait quant à elle une sorte de psychostimulant. Un échantillon reçu 2013 contenait (en plus d'une bonne quantité de caféine et de sucre) cinq différentes NSP : BZP, TFMPP, 2-Aminoindane, diéthyltryptamine et MDAI. Les comprimés de MDMA sont généralement plus purs (quoique les doses, de 200 à 330 mg, peuvent être neurotoxiques), mais certains contiennent de la PMA, un substitut bien connu qui a causé plusieurs décès au Royaume-Uni.

« Nous avons des comprimés vendus comme s'ils étaient les mêmes, mais qui contiennent des substances différentes », dit Josie Smith.

Les NSP sont aussi utilisées comme additifs aux classiques pour en décupler la puissance. Le Saint Graal des revendeurs a longtemps été un substitut synthétique de la cocaïne. Vous n'avez sans doute jamais entendu parler de l'éthylphénidate, un psychostimulant qui agit rapidement, mais c'est une substance que l'on retrouvait fréquemment dans les substituts de la cocaïne comme le Benzofury, avant son interdiction en mai 2016.

« On a cessé d'en voir pendant un moment », dit Dean Acreman, responsable de projet chez WEDINOS, « puis, quand ça a recommencé, c'était dans les échantillons de cocaïne. »

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« Les gens achètent la cocaïne et l'éthylphénidate séparément et la vende sous le nom de "cocaïne-plus" », ajoute Josie Smith. L'éthylphénidate est analogue au méthylphénidate, mieux connu sous le nom commercial de Ritalin. Ce qui ne veut pas dire qu'il est sans danger. Parmi ses effets les mieux documentés, il y a les douleurs chroniques aux testicules.

Pour chaque drogue actuellement sur le marché, il existe au moins une nouvelle substance psychoactive vendue à sa place. Et dans tous les cas, que ce soit les NBOMe pour le LSD, le PMA pour la MDMA, le fentanyl pour l'héroïne, l'éthylphénidate pour la cocaïne, la substance de substitution est plus dangereuse.

Soumettre un échantillon à WEDINOS est simple et anonyme. Il suffit d'imprimer et remplir un formulaire, et de l'envoyer par la poste avec une infime quantité de la substance. La directrice explique qu'il est permis de transmettre un échantillon à condition de ne pas savoir hors de tout doute de quoi il s'agit : il est illégal d'envoyer de la drogue par la poste, mais, si l'on n'est pas certain qu'il s'agit bel et bien de cocaïne, il est possible de l'envoyer sans craindre de répercussions.

Un échantillon de cannabis synthétique

Beaucoup des échantillons reçus par WEDINOS proviennent de prisons, qui connaissent des problèmes avec plusieurs stupéfiants, en particulier les cannabinoïdes synthétiques, notamment vendus sous le nom commercial de Spice.

Jusqu'à ce que la Loi sur les substances psychoactives entre en vigueur en mai 2016, leur vente était légale et on en trouvait dans des boutiques spécialisées. Dean Acreman, un ex-agent de police, me montre un dossier plein d'emballages colorés de Spice contenant jusqu'à six cannabinoïdes synthétiques chacun.

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« C'est mon préféré », dit-il, en me montrant un emballage avec les mentions « biologique » et « 100 % naturel ». « On lit ça et après on voit qu'il y a trois cannabinoïdes synthétiques dedans. »

La présentation du produit donne l'impression qu'il est conforme aux normes. Mais le Spice est une drogue artisanale fabriquée au Royaume-Uni par des amateurs qui vaporisent des herbes sèches d'une solution chimique composées de différentes poudres importées de Chine. Spice n'a pas de plantation. Spice n'a pas de spécialistes qui conçoivent les meilleurs mélanges maison pour la consommation de masse. Une combinaison de plusieurs cannabinoïdes synthétiques ne peut avoir qu'une seule fonction : faire complètement perdre la tête au consommateur.

« Ce n'est pas du tout comme le cannabis légal. C'est une classe de drogues extrêmement inhabituelles », dit Josie Smith.

Avec l'émergence de nouvelles tendances, WEDINOS est le canari au fond de la mine. « Je pense qu'on observe et qu'on va continuer d'observer une hausse de la circulation des analgésiques opioïdes et une consommation plus fréquente et plus prolongée de ces médicaments, mais pas pour des raisons médicales », poursuit-elle, donnant en exemple l'augmentation de la consommation de tramadol.

Toutefois, à la récente présentation de sa nouvelle stratégie en matière de drogue, le gouvernement du Royaume-Uni a décrit son approche de réduction des méfaits fondée sur des données factuelles. Il va sans dire que l'analyse des substances n'en fait pas partie.

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WEDINOS se compose de seulement quatre employés à plein temps et dispose d'un budget annuel dérisoire, 100 000 livres sterling, entièrement octroyé par le gouvernement du Pays de Galles.

Theresa May ne demandera jamais aux Britanniques d'envoyer leur drogue par la poste, mais WEDINOS, discrètement, survit et renforce empiriquement l'idée selon laquelle le service d'analyse des substances est l'un des meilleurs moyens de réduire les méfaits.