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Punchlines, Porsches et procureurs : on était au procès de Sofiane

«​ Quand Mariah Carey sort du Georges V, et que la foule entrave la circulation, on ne l'emmène pas au tribunal ! »​

Sofiane et les siens arrivent en bande, lui devant et ses co-accusés derrière, maître Ruben au flanc. Quelques caméras saisissent l'instant. Ce lundi 22 janvier, entre la sortie de « Lundi » et du clip « Sous Contrôle », le rappeur d'Aulnay-sous-Bois comparait devant la onzième chambre du tribunal de Grande Instance de Bobigny pour deux affaires similaires. Deux clips, ceux de « Toka » et « Pégase », tournés sans autorisation sur l'autoroute A3 et à la Cité des 3000, à Aulnay, les 6 et 24 avril 2017, lui ont en effet valu d'être poursuivi pour entrave à la circulation. Jugé en comparution immédiate pour le clip de Pégase, le rappeur était parti libre suite à l'annulation d'une partie de la procédure pour vice de forme.

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« Ça a aussi créé un bad buzz » Le tribunal expédie rapidement les deux premiers dossiers tandis que Sofiane et son avocat tournent comme des lions en cage. Enfin, les choses sérieuses commencent et Fianso prend place sur les chaises des accusés. Autour du rappeur, quatre proches, cheveux gélifiés et doudounes imposantes, des amis du rappeur qui apparaissent régulièrement dans ses clips. D’autant plus proches « après 24 heures de garde-à-vue ensemble », précisent-ils. Les faits reprochés sont limpides : les cinq comparassent après avoir arrêté la circulation sur l’A3 pour les besoins d’un tournage. Difficile de contester : clipées, les images ont été publiés sur Youtube et la vidéo de « Toka » culmine à plus de 32 millions de vues.

Deux visions pourtant s'opposent. Si le rappeur assume l'entrave et son rôle de leader, il réfute avoir prémédité le délit. Sa version ? L'équipe se rendait à Bobigny pour tourner et s'est retrouvée coincée. « J'ai eu la mauvaise inspiration de demander à s'arrêter là », justifie Sofiane. Parce qu'il a ensuite profité du scandale pour se faire connaître, la magistrate peine à croire que ce n'était pas prémédité. « Ça a aussi créé un bad buzz », se défend Sofiane. La juge, un brin ironique : « Vous avez eu des critiques négatives ? - La presse par exemple. - J'aimerais bien les voir ». La juge déroule l'enquête de personnalité et revient sur le passé judiciaire des cinq accusés. « Pas de formation scolaire particulière », dit Sofiane, se décrivant comme « un semblant d'autodidacte ». Point casier : quelques mentions pour l'artiste, la plus récente pour une conduite sans permis, il y a huit ans. Même chose pour les autres accusés : surtout des délits mineurs. Une exception, l’un d’un eux a reçu 13 mentions liés à la conduite et « quatre permis de conduire depuis 2010 ».

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La procureur prend la parole. D'emblée, elle se défend de toute cabale. « Il n'est pas question de liberté d'expression, lance-t-elle, mais d'ordre public ». Elle commence à coup d'hypothèses. « S'il y avait eu un accident sur le tournage, ou un peu plus haut dans le bouchon… » Puis durcit la charge. « Pour moi, c'est une provocation. Le problème, c'est quand on joue la provocation, il faut ensuite assumer devant la justice. Je ne me contente pas de la version que vous donnez. » Pour les proches de Sofiane, elle requiert entre 5 mois ferme et 3 mois avec sursis. Pour le rappeur, 4 mois avec sursis. « Le parquet a envie de vous faire croire une autre histoire, de vous murmurer quelque chose à l'oreille », balance Maitre Ruben à la juge avant de mettre en avant la version de ses clients. S'il reconnaît que le sursis semble justifié, il interroge une responsabilité plus large. « Sofiane n'est que le rouage d'un très gros système. Bien sûr qu'il y gagne, un peu, avec le buzz. Mais il n'est pas seul et il manque peut-être une partie des responsables aujourd'hui. » Il est plus vindicatif pour les autres accusés. « Les peines de prisons fermes me semblent inappropriés. » Il demande à ce qu'ils soient condamnés à des jours-amendes.

« Quand Mariah Carey sort du Georges V, on ne l'emmène pas au tribunal » Deuxième affaire. Cette fois-ci, Sofiane comparaît seul. On lui reproche une obstruction lors d’un tournage à la cité des 3000. Sofiane conteste. Il explique s’être rendu pour une photo et quelques rapides prises de vue. « Je me suis retrouvé à pied, au milieu de cent personnes, c’était intenable. On a vite décidé d’arrêter de tourner ». Pas sa faute, dit-il en substance, si les gens se rassemblent sur son passage. Punchline : « Quand Mariah Carey sort du Georges V, et que la foule entrave la circulation, on ne l'emmène pas au tribunal. » Le dossier dont dispose le tribunal est mince. Même le clip de « Pégase », le tournage en question, n’en fait pas partie. Instant surréaliste : le juge, la procureure, Sofiane et son baveux le visionnent ensemble sur un petit écran de téléphone. La juge sourit. Au fond de la salle, un spectateur fait les backs.

La procureure attaque ses réquisitions. Jusqu’alors, les prises de paroles étaient exemptes de clichés ; à elle seule, la magistrate remplit la moitié des casses du bingo des stéréotypes appliqués aux rappeurs. Se défendant de tout acharnement, elle regrette que le rappeur soit allé tourner « dans un quartier sensible où ça peut dégénérer. » Elle dénonce un clip ou l’on retrouve « les codes de l’industrie du rap comme le disque d’or, les caïds, les Porsches » et voit dans ce tournage une marque de « défiance par rapport à la justice. » Et cela quelques semaines seulement après l’affaire de l’A3. Sans compter, bien sûr, le mauvais exemple que serait Fianso. Elle requiert trois mois de prison ferme.

« On entend des choses merveilleuses ! », s’insurge maître Ruben avant de tacler : « Le rap ne se limite pas à un disque d’or et à des Mercedes. » Il continue sur sa lancée et enchaîne suffisamment de punchlines pour mériter son propre Planet Rap. « Pour nous », reprend-t-il, « C’est juste dingue que Sofiane provoque un tel attroupement. Mais pour des centaines, des milliers de personnes, c’est quelqu’un d’important. » Il pointe les lacunes de l’instruction. « Le dossier est vide. Et on vient m’expliquer que Sofiane Zermani est coupable de tout : des gens qui viennent faire de la moto sans casque, de ceux qui viennent avec des Porsches. Tout !? ». Il conclut : « Le seul intérêt de cet audience aura été d'écouter la chanson « Pégase », c'est pourquoi je demande la relaxe ». Mic drop.

Les délibérés des deux affaires seront rendus le 5 février 2018. Clément Pouré tente des punchlines sur Twitter.