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« Jeunes » + « réseaux sociaux » : le combo qui fait flipper la France

Les adultes n'ont jamais rien compris à la jeunesse. Et c'est encore pire depuis l'avènement d'Internet.
Image extraite du film We need to talk about Kevin (Lynne Ramsay, 2011)

Il y a des mots radioactifs. Qu’il suffit de prononcer pour que, d’un coup, les médias s’embrasent. Les termes « jeunes » et « réseaux sociaux » sont de ceux là. Et s’ils sont associés au sein d’une même phrase, c’est la tempête médiatique assurée. Mercredi 19 décembre, on apprenait qu’un nouveau « jeu dangereux » faisait « fureur chez les ados ». Un « phénomène » baptisé « marave challenge » qui « sévissait » dans les cours d’école au point d’y créer un véritable « affolement ». Le principe ? Via un groupe Facebook, des lycéens défieraient leurs potes d’aller agresser des inconnus contre une récompense : 10 euros le mec tabassé ; 30 euros si c’est une fille. Et les éditorialistes de se déchaîner contre cette jeunesse décérébrée, prête à se battre à mains nues pour 10 malheureux euros et un peu de buzz…

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Pourtant, la réalité est moins flippante. En fait de Marave Challenge « généralisé », l’affaire n’implique – pour l’instant – qu’une poignée d’adolescents, tous scolarisés dans la ville de Metz. Deux d’entre eux ont été interpelés. Certes, il existe bien un groupe Facebook intitulé « Marave Metz », mais il ne réunit qu’une petite soixante de personnes. Harcelé par tous les médias de France, la police a été contrainte d’organiser une conférence de presse. Devant un impressionnant parterre de journalistes débarqués pour l’occasion, Hervé Niel, le directeur départemental de la sûreté publique, a assuré que le « Marave challenge » ne concernait que quelques ados scolarisés à Metz. Et qu’aucun comportement de ce genre n’avait été observé ailleurs.

Mais puisque les médias affirmaient que les lycéens de ville étaient « terrorisés », on a cherché à vérifier. D’abord, difficile de trouver un témoin visuel d’une quelconque agression. Avec Julie*, 15 ans, c’est un peu l’homme qui a vu l’homme qui a vu le loup : « Je connais une fille qui m’a dit qu’elle aurait vu un garçon qui s’est fait mettre au sol par quatre inconnus…. » Théo*, 18 ans, est franchement sceptique : « On en parle beaucoup en cours…surtout depuis mardi. Mais autour de moi, personne n’a rien vu. En vrai, je pense que ce truc est hyper amplifié. C’est des petites embrouilles qui ont fait peur à tout le monde. » Puis Eric* donne le coup de grâce : « Avant qu’on en parle dans les médias, je ne savais même pas que ça existait. »

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Comment expliquer que ces quatre agressions aient pu faire les gros titres, quand on se rappelle que le ministère de l’Intérieur en a recensé 215 000 en France rien que pour l’année 2016 ? La réponse tient en deux mots-clés : jeunesse et réseaux sociaux. Grégory Michel, professeur de psychologie clinique et de psychopathologie à l’université de Bordeaux et spécialiste des conduites à risques, avance plusieurs raisons qui poussent les médias à s’inquiéter si bruyamment des « jeux dangereux » pratiqués par les ados : « La violence, combinée au ludique, cela échappe à la compréhension des adultes. Ils sont désemparés face à ce mode d’expression propre aux ados et pré-ados qui transgressent les interdits des parents et de la société. Ce qui inquiète, c’est qu’ils créent du lien entre eux et forment des groupes en dehors des normes sociales. Ce genre de pratiques, c’est forcément une machine à fantasmes pour les médias. »

Machine à fantasmes

Une machine qui avait déjà tourné à plein cette année avec le Blue Whale Challenge, ou jeu des 50 défis, dont le dernier n’était autre que le suicide. L’affaire avait affolé les médias : du jour au lendemain, n'importe quelle altercation entre ados se retrouvait immédiatement liée à ce jeu. Quelques années plus tôt, le New York Times avait également remis en cause la popularité du Knockout game, l’oncle d’Amérique présumé de notre « Marave game », en montrant qu’il était difficile d’établir avec certitude que les agressions répondaient à la logique du jeu.

De la même manière, le « Marave challenge » surfe sur les angoisses des adultes qui ne voient trop souvent les jeunes qu’à travers les documentaires anxiogènes sur le binge-drinking, le jeudi soir sur W9 : « Ce qui fait peur là-dedans, c’est que ce genre de jeu dessine les contours de deux personnalités inquiétantes parmi les jeunes : les manipulateurs, qui trouvent une satisfaction dans le fait d’arriver à faire faire quelque chose à quelqu’un ; et ceux qui se laissent embarquer dans ces défis, qui sont attirés par des comportements un peu violents ou à risques », explique Grégory Michel.

Des blousons noirs à Youtube

Rappelons que la jeunesse française a toujours mis en spectacle ses « jeux interdits », histoire d’affirmer leur différence face au monde des adultes. Et ce, bien avant les vidéos Youtube et l’avènement d’Internet. Ainsi, les blousons noirs des années 60 enregistraient déjà leurs mauvais coups sur magnétophone histoire de pouvoir se la raconter auprès de leurs potes. Mais impossible de nier qu’Internet a changé la donne : « Ça a été un accélérateur de particules. Le regard extérieur et l’assentiment des pairs sont devenus encore plus importants et surtout, les likes et les commentaires des réseaux sociaux poussent à la surenchère », conclut Grégory Michel. La preuve que, des conneries de Romain Duris aux vidéos Youtube d’aujourd’hui, le péril jeune a bien évolué, mais fait toujours autant flipper papa.

*À la demande des personnes et pour préserver leur anonymat, les noms ont été changés