L’impression 3D de médicaments à la demande soulève de sérieux problèmes

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L’impression 3D de médicaments à la demande soulève de sérieux problèmes

Quand le marketing de l’impression 3D rencontre le marketing biomédical, on n’est plus à un mensonge près.

Depuis plusieurs dizaines d'années, l'industrie pharmaceutique rencontre des difficultés croissantes pour produire de nouveaux médicaments efficaces. L'une des raisons universellement invoquées pour expliquer ce phénomène est le durcissement de la réglementation sanitaire émanant des autorités de santé : la FDA (Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux) en particulier serait moins encline à autoriser la mise sur le marché de médicaments que par le passé.

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Pourtant, si l'on en croit les études récentes réalisées par des organismes non affiliés à la FDA, comme le service BioMedTracker, le taux d'acceptation de nouveaux médicaments est en train d'exploser, atteignant 98% en 2015. Cela ne signifie pas pour autant que la FDA est devenue négligente et qu'une partie des médicaments approuvés présente un risque pour la santé humaine ; le journaliste Matthew Herper a d'ailleurs publié des explications très éclairantes sur le sujet. Non, on doit plutôt s'attendre à voir une nouvelle vague de médicaments redondants ou carrément scandaleux envahir le marché, au gré des inventions de départements marketing dont les employés passent probablement leurs journées à pleurer de rire en se donnant des tapes dans le dos.

Quel est le meilleur allié du commercial pour enrober sa molécule du parfum de la nouveauté ? Le futur, bien entendu. Hélas, les gélules holographiques, les suppositoires qui jouent le thème de Star Wars ou les suspensions buvables à base de poussière martienne ne sont pas encore au point. Alors, il a fallu envisager une autre stratégie.

En août 2015 la FDA a autorisé en août 2015 la mise sur le marché de Spiritam, un médicament anticonvulsif à base de lévétiracétam. Il est destiné à diminuer la fréquence et l'intensité des crises chez les patients épileptiques, en association avec d'autres médicaments. Mis au point par Aprecia Pharmaceutics, Spiritam se distingue de ses concurrents par son mode de production : l'impression 3D.

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L'utilisation de l'impression 3D dans le domaine biomédical a désormais si bonne presse qu'on pourrait la croire désirable et nécessaire en toutes circonstances. La recherche sur les tissus bioimprimés destinés à la recherche clinique ou à la transplantation se développe considérablement. De plus, le développement de membres bioniques open source, de prothèses personnalisées et autres bras modulables en Lego atteint des sommets de raffinement. Nous avons tendance à voir d'un bon œil tout dispositif destiné à améliorer le quotidien des personnes souffrant d'un handicap. C'est bien normal, et pourtant, cela risque de créer un rapport affectif avec la technologie en question, nous prédisposant à accueillir avec enthousiasme toute annonce fracassante sur le thème de la santé et de l'impression 3D.

Il n'est donc pas étonnant que l'autorisation de mise sur le marché du Spiritam l'année dernière ait suscité les vivats de la presse. Le médicament étant destiné à être commercialisé cette année, replongeons-nous dans le dossier. Quel est l'intérêt de l'impression 3D pour la production de médicaments ?

Aprecia Pharmaceutics affirme qu'elle a ici deux avantages. D'une part, elle permet un dosage précis du médicament, afin d'adapter la quantité de lévétiracetam au patient (âge, poids, sévérité de la maladie) et à l'évolution de ses crises : le médecin pourra moduler la dose à l'envi en modifiant les instructions données à l'imprimante.

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D'autre part, la technique de compression utilisée par la plateforme d'impression permet d'obtenir des comprimés très poreux, qui sont dissous et absorbés plus vite que des comprimés produits de manière conventionnelle.

Dosage personnalisé d'une part, rapidité de dissolution d'autre part. Lorsque l'on examine en détails la description de ZipDose Technology, la plateforme d'impression propriétaire d'Aprecia, les recommandations de prescription ainsi que la base de données de la FDA, la force de ces arguments ne saute pourtant pas aux yeux.

Pour commencer, le comprimé de Spiritam n'a rien de personnalisé pour le moment. Il sera possible de le produire selon quatre dosages standard : 250mg, 500mg, 750mg, 1000mg, comme nombre de comprimés sur le marché. C'est le comprimé de 1000mg, le plus volumineux, qui est l'objet de toutes les attentions. En effet, la difficulté à avaler un comprimé peut augmenter le risque de non-observance d'un traitement, notamment chez les seniors et les jeunes enfants. Pour éviter de mettre en danger des patients qui n'arrivent pas à avaler leur comprimé, Spiritam doit se dissoudre vite et bien. Or, le comprimé se désintègre dans la bouche à l'aide d'une gorgée d'eau en onze secondes en moyenne, soit quatre fois plus vite qu'un comprimé classique. Sur ce point, le médicament semble tenir ces promesses et la prise sera probablement facilitée.

Mais est-ce suffisant pour justifier l'impression en 3D ? Rappelons que celle-ci entraine la délocalisation de la production du médicament, avec tout ce que cela implique. De plus, contrairement à ce que laissaient entendre les communiqués de presse, le patient épileptique n'est pas pris par le temps : il prend ses comprimés à intervalles réguliers au cours de la journée, et non en cas de crise.

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Qui contrôlera la qualité du médicament ? Qui fera les frais d'une possible non-conformité, et qui en assumera les conséquences ?

Si l'intérêt de la technologie développée par Aprecia est vague, si ce n'est douteux, plus tangible est le nombre de brevets déposés par la société sur sa technologie ZipDose (cinquante, selon leur site web). Enfin, dans la Big Pharma, il est toujours possible d'avoir le beurre et l'argent du beurre ; l'entreprise a l'intention de diffuser Spiritam à l'aide d'imprimantes propriétaires exclusivement. On peut imaginer que les pharmacies, les cabinets médicaux, les hôpitaux et les cliniques seront les premières cibles commerciales pressenties, car l'impression 3D domestique poserait trop de problèmes de logistique, d'accessibilité et de rentabilité.

Promotion de la personnalisation, réinvestissement du pharmacien dans la préparation des médicaments… on pourrait croire que l'ambition d'Aprecia est de revenir au temps béni des apothicaires, qui réalisaient des préparations médicales sur mesure au sein même de leur boutique. Des apothicaires qui devront toutefois composer avec les impératifs de l'industrie pharmaceutique contemporaine : production de masse, sécurité, qualité.

Rappelons que pour qu'un médicament soit efficace et sans danger, le respect de la composition est essentiel, mais les normes concernant le processus de production et le design du comprimé ne le sont pas moins : pureté, stabilité physico-chimique sur des périodes prolongées, forme, densité, etc., autant de contraintes qui pesaient jusque là sur le fabricant, qui risque ici de se délester d'une partie de sa responsabilité. Qui contrôlera la qualité du médicament ? Qui fera les frais d'une possible non-conformité, et qui en assumera les conséquences ?

Comme le fait remarquer David Hodgson, consultant en risque sanitaire chez Deloitte, le casse-tête juridique est inextricable : « Doit-on réguler la production de la plateforme d'impression ou des composés pharmaceutiques ? Doit-on encadrer les pratiques du fabriquant, du distributeur, du personnel de santé ? »

Pharmaciens, techniciens et soignants risquent d'ailleurs de froncer les sourcils en comparant l'encombrement d'une plateforme d'impression et celui d'un lot de comprimés, et le nombre d'employés désormais nécessaire pour en assurer la distribution.

Même si les imprimantes 3D sont démocratisées, la législation susceptible d'encadrer ce genre de pratiques n'a pas suivi le mouvement. Pourtant, c'est dans l'intérêt des pouvoirs publics que de se pencher sur le sujet. S'il ne suffit que d'un blueprint et d'une imprimante 3D pour imprimer un médicament en toute légalité, il faut s'attendre à ce que les producteurs de drogues récréatives s'investissent à plein temps dans cette activité.