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Comment étoffer sa vie amoureuse et sexuelle avec le MMORPG

Est-ce que se frotter contre un orc dans World of Warcraft, c’est tromper ?

Image adaptée de Magalie A./Flickr

Envoyer des sextos, flirter sur Facebook, tweeter une photo d'une partie du corps évocatrice—les réseaux sociaux ont étendu le concept d'infidélité si vite qu'il n'est pas toujours facile de décider ce qui constitue ou non un adultère. Discuter avec une cam girl ? S'inscrire sur Gleeden, sans jamais oser passer le pas de la rencontre ?

« Il y a peu de temps encore, je savais en quoi consistait le concept d'infidélité. C'était une trace de rouge à lèvres sur un col de chemise, en quelque sorte. Quelque chose de tangible que vous pouviez voir, observer, » explique Rob Weiss, thérapeute sexuel auteur de plusieurs ouvrages sur la technologie et les relations amoureuses.

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Même si notre culture accepte de mieux en mieux le monde du porn et les pratiques qui lui sont associées (selon les estimations récentes, une femme sur trois regarde du porn de façon hebdomadaire), même si l'idée que les pratiques sexuelles puissent avoir un pendant virtuel est de plus en plus répandue, un phénomène somme toute banal continue de révolter les foules : le sexe dans Second Life.

Évidemment, le scandale ne se réduit pas à Second Life. Les mondes virtuels, dans lesquels les joueurs passent un nombre d'heures non négligeable de leur semaine, sont de plus en plus vastes et de plus en plus orientés vers les interactions sociales. Cela crée d'autant plus de possibilités et d'occasions en termes de romances virtuelles, voire, si le concept vous parait avoir un sens, d'adultère numérique. D'ailleurs, ces infidélités virtuelles sont moins anecdotiques qu'il n'y paraît : on ne compte plus le nombre d'histoires où des maris quittent leur épouse pour une fille rencontrée au détour d'un raid sur World of Warcraft.

L'opinion publique sur le sujet n'a pas beaucoup évolué depuis 2006, année où une épouse en détresse a confié au Wall Street Journal qu'elle avait été dévastée d'apprendre que son mari « avait régulièrement des relations sexuelles avec un gros tas de pixels. »

Pourtant, certains joueurs estiment que l'intimité in-game, aussi appelé roleplay érotique, fait partie de l'expérience courante dans un monde virtuel. Et parfois, leur conjoint(e) accepte parfaitement ce hobby peu banal.

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Les relations romantiques sur les jeux en ligne sont hélas, très peu étudiées. D'ailleurs, le fait que de telles études, même très parcellaires, existent, suffit à inspirer la consternation et le dégoût chez le grand public. Il y a quelques années, des chercheurs de l'Université du Wisconsin ont mis sur pied un laboratoire de recherche virtuel sur Second Life, et ont questionné plus de 250 joueurs sur leurs relations amoureuses dans le jeu et dans la vie.

« Ce qui arrive dans le jeu peut-être très excitant, très sexy, sans que ces pratiques soient pour autant transposables au monde réel. »

Ils en ont conclu « que l'image de l'amour virtuel était particulièrement séduisante » chez les participants, après avoir observé que les sujets tiraient tout autant de satisfaction de leurs relations virtuelles que de leurs relations dans la vie. Parfois, la relation virtuelle apparaissait même plus épanouissante que la relation dans le monde civil, ce qui peut s'expliquer en partie : la première ne vient pas avec son lot de tâches ménagères et de réunions familiales obligatoires. Par ailleurs, l'idée que le sexe et les relations en ligne pourraient favoriser le fantasme éthéré au détriment de la réalité complexe des interactions humaines mérite d'être examinée. Weiss évoque une étude montrant que plus de 30% des jeunes hommes japonais se contentaient d'interactions romantiques virtuelles, et que cela leur allait parfaitement.

Lorsque les relations en ligne et les relations réelles coexistent de manière plus ou moins licite, on remarque que les individus déploient des trésors d'inventivité et de stratégies pour ne pas les compromettre. Dans les roleplays sur IRC et sur les forums WoW, les partenaires s'épanchent facilement sur leur vie sexuelle virtuelle, tout en dissimulant leur vrai nom et en évitant le sujet de leurs relations dans la vraie vie.

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Je me suis entretenu avec un type qui, possédait une « amoureuse » sur IRC avec qui il interagissait en roleplay. Les deux partenaires ne considèrent pas que leurs échanges constituent un travail d'écriture à part entière, mais plutôt que les personnages qu'ils revêtent à cette occasion leur permettent d'incarner des fantasmes très spécifiques qu'ils ne pourraient pas réaliser autrement. D'autres s'autorisent à flirter en ligne, tout en s'interdisant les dialogues un peu chauds. Le RP consiste alors à « flouter » de manière narrative les ébats sexuels nécessaires à la bonne tenue de leur histoire.

Julia, une joueuse mariée depuis 11 ans, explique qu'elle et son mari se sont rencontrés sur une communauté roleplay. « Du coup, nous comprenons précisément ce que l'univers du RP implique, et nous faisons très bien la différence entre ce qui est fictionnel et ce qui ne l'est pas. » Il n'a jamais été question que son personnage constitue un miroir de sa personne, surtout en matière de romance. Quand elle a commencé le RP érotique, elle a d'abord craint de tirer plus de malaise que de plaisir de cette activité dans laquelle on tisse nécessairement des liens avec son partenaire virtuel. Elle a donc donné à son mari l'accès complet à ses archives de chat. Des années plus tard, elle admet que le RP « fait partie intégrante de sa sexualité », et même si son époux peut jeter un œil à ce qu'elle écrit quand il veut, il en prend rarement l'initiative.

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« Je pense que nous avons une vision sensationnaliste de ce qu'est la sexualité virtuelle, » explique Ashley M. L. Brown, chercheur et maitre de conférences spécialisé sur les liens entre le jet et la sexualité à l'Université Brunel de Londres. « On entend seulement des histoires caricaturales sur les couples qui se marient ou qui divorcent suite à une rencontre en ligne, mais la réalité est plus intéressante et plus complexe que cela. »

Il y a quelques années, Brown a fait une étude ethnographique sur les couples qui s'adonnent au roleplay érotique sur WoW, soit ensemble, soit individuellement. Ce dont nous n'entendons jamais parler, dit-elle, c'est les histoires où les couples réussissent à faire des compromis admirables pour que chacun puisse vivre sa sexualité pleinement. Par exemple « tu peux regarder autant de porn que tu veux si tu me laisses faire du roleplay érotique tranquillement. » On n'entend pas parler non plus des gens, et ils sont nombreux, qui intègrent les mondes virtuels à leur sexualité de couple.

Chez les sujets d'étude de Brown, et dans les interviews que j'ai menées moi-même, l'idée de l'ouverture des archives de chat était très récurrente ; les couples l'utilisent à la fois comme preuve de confiance et comme outil érotique.

Brown note également que l'une des principales réflexions qui a émergé de ses recherches était que le jeu et le roleplay érotiques, aussi sulfureux qu'ils puissent être, servaient des fantasmes impossibles à réaliser dans la réalité. « Ce qui arrive dans le jeu peut-être très excitant, très sexy, sans que ces pratiques soient pour autant adaptables au monde réel. Ce n'est pas parce que des joueurs s'essayent à un plan à trois dans un monde virtuel qu'ils désirent faire la même chose en vrai. »

Bien que Brown renâcle à aborder les joueurs en tant que classe ou groupe social spécifique, elle évoque dans ses écrits l'influence potentielle des communautés de joueurs ; les tricheurs, dans le contexte d'un jeu, pense-t-elle, sont « ces joueurs qui enfreignent les règles régissant les relations entre personnes énoncées au début du jeu. » Dans ces conditions, il serait plus facile pour un gamer que le reste d'entre nous de tracer des frontières et d'édicter des règles claires sur les fantasmes et les relations en ligne. Comme un joueur de WoW l'a expliqué à Brown, il ne considère pas que ses échanges érotiques constituent une forme d'adultère, « pour la même raison que tuer quelqu'un dans un roleplay n'a rien d'une action violente. »