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Culture

Quand les tampons et le sang menstruel servent d’inspiration

Plusieurs artistes militantes bousculent les tabous et la stigmatisation entourant ce moment du mois qui annonce que le Messie n’est pas encore dans notre ventre.
Photo: Lili Murphy-Johnson

Même si la moitié de la population a du sang qui coule et colle aux poils de sa vulve tous les mois, les menstruations restent un sujet tabou à plusieurs endroits dans le monde. En Bolivie, certaines croyances ancestrales sont encore respectées. Les jeunes filles ne jettent pas leur serviette hygiénique à la poubelle, car cela entraînerait le cancer. En Inde, 23 % des Indiennes laissent tomber leur scolarité à la puberté, en raison surtout de l'arrivée de leurs règles. En Afghanistan, lors de leurs menstruations, les femmes se font interdire de prendre une douche, car se laver les parties génitales à ce moment déclencherait le gazag, la stérilité. Au Japon, les femmes ne peuvent rêver à la profession de chef sushi, car leurs papilles gustatives ne seraient pas fiables en raison de leur cycle menstruel. Toutefois, les témoignages abondent de plus en plus à propos des règles. Camille Emmanuelle, dans l'essai Sang Tabou, s'enthousiasme de voir une jeune génération prendre la parole individuellement et collectivement sur les menstruations. Beaucoup d'artistes militantes bousculent les tabous et la stigmatisation entourant ce moment du mois qui annonce que le Messie n'est pas encore dans notre ventre. Aj Dirtystein : la puissance d'un moment où on ne sert à rien Au Québec, Aj Dirtystein utilise l'acrylique, l'encre et le sang menstruel pour faire le portrait de femmes fortes et inspirantes, comme Frida Khalo et Courtney Love, dans sa série Filles de putes et menstruosités. Des cris de rage sont étampés sur leur poitrine, au sang menstruel, pour dénoncer les limites imposées aux femmes. En entrevue avec Camille Emmanuelle, Aj Dirtystein explique que le sang, elle l'utilise non comme symbole de la féminité, mais de l'humanité, car il est le fruit de notre engendrement à tous. Son but n'est pas qu'on trouve le sang beau, c'est plutôt de dire un gros fuck you à l'ignorance et à la mystification : « Mystifier quelque chose, c'est lui donner du pouvoir alors que l'accepter, l'incarner c'est le rendre puissant. Je préfère la puissance au pouvoir. Le pouvoir est un truc extérieur qui peut se renverser, la puissance, elle, est intérieure, intouchable. »

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Daina Ashbee : douleurs cycliques sur scène Arrivée à Montréal en 2013, Daina Ashbee est probablement la première chorégraphe à inclure les menstruations dans un spectacle de danse. Influencée par les Premières Nations — son père est un sculpteur cri —, elle lie les menstruations à la pêche aux phoques. Les deux événements, cycliques, se superposent ainsi dans une montée dramatique intense, afin d'explorer métaphoriquement la douleur et le sang, qui reviennent, sans cesse. En sondant les douleurs intimes et ce qu'elles suscitent émotivement, Daina Ashbee projette sur scène sa propre vulnérabilité, tout en exposant aussi celle d'autres femmes en relation complexe avec leurs règles.


Dwam : photos et fragments de moments pénibles ou célébrés Pour la photographe et tatoueuse française Dwam, les menstruations représentent aussi possiblement une source constante de conflits internes. À travers les portraits et les témoignages de son projet body positive Periods, Dwam montre des femmes qui sont parfois heureuses de leurs règles, parfois horrifiées d'acheter des tampons ou de se rendre chez le gynécologue. Elle brise visuellement le tabou des règles, mais elle réussit aussi à désigner qu'il y a une multitude de façons d'accueillir ce moment.


Jen Lewis : la beauté sublimée des fluides menstruels L'Américaine Jen Lewis récolte son sang menstruel tous les mois dans une coupe, puis le répand dans un aquarium. Elle demande l'aide de son mari pour photographier les mouvements uniques du sang mêlé à l'eau. Le but de la série de photographies féministes Beauty in Blood est de normaliser les fluides menstruels. Les menstruations, ainsi sublimées, rejettent l'image dégradante à laquelle elles sont souvent réduites.

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Si elle travaille avec son mari, c'est pour souligner l'importance que les hommes soient des alliés et promeuvent les droits des femmes.

Lili Murphy-Johnson : des bijoux pour jouer sur nos perceptions

L'anxiété et le stress provoqués par ses menstruations, alors qu'elle faisait des projets de recherche à l'université, ont inspiré la

designer de bijoux britannique Lili Murphy-Johnson

. Dans chacune de ses pièces, que ce soit des bagues ou des bracelets à breloques, elle tente de dévoiler ses émotions reliées aux règles.

La douleur, la frustration, le rapport très physique aux règles se glissent dans sa collection, avec des rouges changeants, des perles stratégiquement cousues sur des chemisiers ou des culottes et des bagues à la forme rappelant les serviettes hygiéniques. Les bijoux, par leur délicatesse et sophistication, jouent le jeu entre la perfection demandée aux femmes, mais aussi l'impression qu'elles sont monstrueuses et dégoûtantes quelques jours par mois. Elonë : militer pour la fin d'un tabou et des injustices vécues par les sans-abri Depuis 2015, Elonë, une étudiante allemande d'origine turque, préconise l'art urbain pour confronter les gens sur la stigmatisation des menstruations et le corps bafoué des femmes. Elle utilise des serviettes hygiéniques pour écrire des messages contre le sexisme, la culture du viol (« Imaginez si les hommes étaient aussi dégoûtés du viol que des règles ») et les menstruations « silenciées ». Elle distribue aussi régulièrement des paquets de serviettes aux femmes sans domicile fixe.

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«Imaginez si les hommes étaient aussi dégoûtés par le viol qu'ils le sont par les menstruations»
Rupi Kaur : normaliser les règles sur Instagram « Mon combat a toujours été celui de célébrer la féminité », entonne Rupi Kaur, une artiste multidisciplinaire torontoise née en Inde dont le nom signifie « déesse de la beauté toujours pure ». Rejetant d'abord les douleurs et l'humiliation que lui occasionnaient ses menstruations, elle en est venue peu à peu à les apprécier. Elle insiste : elle saigne tous les mois pour faire de l'humanité une possibilité. En 2015, avec sa sœur, elle a exécuté une série de photos sur ses règles. Du sang dans la cuvette, dans une douche, ou encore tachant un pantalon. Elle voulait normaliser le cycle menstruel, comme un rituel à partager avec sa sœur et avec tout le monde, contrant la norme du silence, de ce qui est acceptable ou pas. Publiant les photos sur Instagram, elle reçoit au départ beaucoup de commentaires positifs et empathiques, puis des hommes en viennent à la confronter à leur dégoût du sang séché sur un pantalon de jogging gris. Instagram retire les photos puis les accepte finalement, en s'excusant de leur méprise.

Dans son recueil de poèmes Milk and Honey, Rupi Kaur parle aussi du traitement désobligeant dont les femmes souffrent lorsqu'elles ont leurs règles et qu'elles osent en parler publiquement : « apparently it is ungraceful of me / to mention my period in public / cause the actual biology / of my body is too real ».

Je parle plus souvent de menstruations que de température. Si à 15 ans, j'angoissais à l'idée de peut-être tacher les chaises dans une classe de géographie, maintenant je brandis tampons et histoires de texture à bout de bras. Je confie aussi facilement ma difficulté à me mettre un tampon sur Facebook, ce qui donne comme résultat zéro honte, mais plein de suggestions d'achat d'éponges de mer et de coupes menstruelles, ainsi que d'empathie pour mon utérus rétroversé. Si c'est aussi simple que ça de défier le tabou des menstruations, c'est évidemment grâce à ces femmes liées par une ambition artistique et militante ni sage ni sale.