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Music

Inutile d’envoyer vos démos à Pan European : ça fait 10 ans qu’ils ne les écoutent pas

On est allés faire le point sur la première décennie d'un des meilleurs labels français en activité, entre passion, éthique, démontage en règle des clichés et éloge de la lenteur.

À croire qu'il s'est passé un truc en 2007. Après InFiné et avant Born Bad, c'est au tour d'un autre label de qualité prestige de fêter ses 10 ans cette année : Pan European Recording, maison aussi protéiforme qu'insaisissable et aujourd'hui grand incontournable du paysage musical français. Au lendemain de la soirée qu'il donnait à Paris, au Point Ephémère, pour l'occasion, nous sommes allés discuter avec Arthur Peschaud, fondateur du label de Koudlam, Flavien Berger, Maud Geffray et Aqua Nebulla Oscillator, pour discuter démos, passion, lenteur et éthique, et accessoirement tordre le cou à pas mal de clichés.

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Noisey : Sur le chemin en venant ici, je me demandais à quel point tu suivais l'actualité, les nouvelles scènes comme ce qu'il se passe avec la trap à Atlanta… En gros, comment un mec de label et d'albums comme toi percevait la dynamique actuelle dans la musique US et à quel point ça t'inspirait.
Arthur Peschaud : Marrant que tu parles de cette scène parce que j'adore Gucci Mane ! Mais je n'ai pas de grandes références ou de labels cultes à te lister comme modèles ou mentors… On a toujours fait les choses de façon ingénue, très naïve même parfois. Je peux te citer l'influence de maisons comme Saravah ou encore Shandar, un label financé par la fondation Maeght, qui sortait à l'époque du jazz ou des trucs de pop hallucinants… Mais globalement, on avance en solo, sans schéma précis en tête. Tu sais au final, ce n'est que maintenant que j'ai un label que je m'intéresse vraiment à leur histoire. D'autant qu'en France, les changements induits par la crise du disque sur les dix dernières années ont fait que le paysage discographique est un peu clairsemé, on n'a pas de grosses références. Les légendes historiques à la Rough Trade, c'est pas pour la France. Je suis sûr que ça t'empêche pas de recevoir des dizaines de démos par jour. Le problème aujourd'hui, c'est que le disque est mort mais tout le monde est musicien. 
Précision : tout le monde est musicien ou Dj [Rires]. Franchement, je reçois des tonnes de liens tous les jours… Mais je t'avoue que je ne les écoute pas vraiment. Je devrais faire figurer une mention sur notre site : Inutile de nous envoyer de la musique. Tu te souviens de ces labels qui écrivaient ça sur leur catalogue, c'était tellement méchant [Rires]. Les disques physiques, comme il y'a l'effort de la Poste, je les écoute. Mais les liens Soundcloud, non. D'autant plus qu'il s'agit de musique finie, produite. Ce qui ne correspond pas du tout à ma façon de travailler. Je comprends que ce soit frustrant pour les artistes qui nous envoient de la musique, mais je n'ai jamais signé un groupe sur démo. Attention je ne dis pas que je ne le ferais jamais, hein ! Et puis ce n'est pas un jugement sur la qualité de ce que l'on peut recevoir. Mais écouter, c'est s'impliquer. Et notre planning est déjà complet pour les deux années à venir. Au début, quand on avait encore cette grosse étiquette psychédélique, on recevait beaucoup de trucs à la Aqua Nebula Oscillator. Aujourd'hui, on reçoit moins de rock et beaucoup plus de jeunes projets, très verts, très électroniques.

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Judah Warsky C'est l'effet Flavien Berger, ça ! En fait, tous le monde veut être Flavien Berger.
[Rires] Mais carrément. En tout cas ce qui est sûr, c'est que tout le monde veut le signer ! Et effectivement on reçoit énormément d'électro. Mais, plus sérieusement, j'adorerais qu'on sorte plus de disques. Tous les bénéfices du label alimentent notre force de production, on fait tout pour aller vers plus de production. Mais on reste limités par la taille de notre structure. Moi, je rêve de signer un groupe de Zouk ou de Hip -hop. Et pour le coup, ce genre de projets, j'en reçois beaucoup moins. Mais j'aimerais que d'ici à la fin de l'année on puisse sortir un gros bouquin d'archives qui compilerait pochettes refusées, photographies inédites et autres mails chelous. Le concept du bouquin-disque-chapitré c'est un rêve ! À l'ancienne, à la Raconte-moi une histoire.

Ou un bouquin sur les textes de tes artistes. Pan European Recording est un label à lyrics…
Oui on est un label de chansons ! De chansons et de mélodies. On a beaucoup de paroliers dans l'équipe. Koudlam, il écrit des chansons.

C'est un truc que tu pousses chez tes artistes, ce côté chanson ?
Lorsque j'ai signé Flavien Berger, je ne savais même pas qu'il chantait. Ensemble, on a beaucoup parlé du français, de l'importance de la langue. Et c'est venu naturellement chez lui. Mais plus tard. De toute façon, je ne prends pas les artistes pour ce qu'ils ne sont pas. Ici, c'est pas une fabrique d'artistes. On ne fait pas dans le développement de carrière. Ça marche pas comme ça. Pourtant nous avons connu une phase comme ça, à mi-chemin dans la vie du label. La tentation du gros studio, d'un fonctionnement de type major, ce genre de trucs. Une expérience délicate dont on est assez vite revenus, je t'avoue.

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Pourquoi ?
Déjà, économiquement, c'était pas viable. Tu loues un studio super cher pendant deux jours, tu te colles, ainsi qu'à tes artistes, une pression pas possible… Bref, un rythme infernal, qui est complètement antinomique avec le temps du disque. Pour, finalement arriver à des rendus sonores très uniformes, sans relief. Aujourd'hui, un home studio peut être beaucoup plus performant et singulier qu'un gros studio. Le numérique a amené une façon complètement empirique de faire de la musique, c'est passionnant. Empirique et instinctive, avec un champs des possibles créatifs complètement éclaté. Tu fais écouter les bandes de Koudlam à un ingénieur du son classique, le mec s'arrache les cheveux. N'importe quel professionnel de l'enregistrement te diras qu'on ne bosse pas comme ça… Mais qu'importe !

Koudlam Tu évoquais le temps du disque, tu entends quoi par là ?
Avec Flavien Berger, nous avons parlé deux ans avant de faire de la musique. Prendre le temps du disque, c'est prendre le temps nécessaire à la discussion, à instaurer des rapports affectifs, de confiance, de travail, à créer une espace de rencontre, c'est faire croiser des cercles au sein desquels, à un moment donné, il y'aura de la place, de l'envie, pour un album. J'aime la dimension poétique qui peut parfois s'échapper de nos projets. Et cette poésie naît dans la lenteur.

Comment tu rends tout ça financièrement possible ?
Déjà, la vente de nos disques n'est pas négligeable, d'autant qu'on se fait chier à faire de jolis objets. Et puis les synchros font le reste - on cale certains titres sur des musiques de films ou des publicités. On ne travaille pas à faire de la musique pour les entreprises, elle ne les achètent pas sur catalogue. Le luxe c'est qu'on n'a jamais eu besoin de démarcher. Je pense que démarcher c'est se dévaloriser de toutes façon. En fait, la première synchro qu'on a signé, c'était « See You All » de Koudlam sur Un Prophète de Jacques Audiard.

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Grosse carte de visite…
C'était génial ! Le film est superbe, son succès public et critique a été exceptionnel. Et puis Un Prophète est un film assez peu musical… Donc le morceau tire d'autant plus son épingle du jeu. D'autant plus qu'il est utilisé sur un des points de bascule majeur du scénario donc, à l'époque, ça vraiment marqué les esprit. Ce qui explique que « See You All » ait eu de nombreuses vies synchronisées après le film de Jacques Audiard… Le label est né alors que le disque s'effondrait. On est vraiment arrivés à la fin d'une ère, celle où la musique générait des millions. L'effondrement de cette industrie nous a forcé à être ultra-créatifs et à attendre peu de choses. Donc aujourd'hui on vit en grande partie grâce aux synchros et ça ne me pose aucun problème éthique.

Je t'imagine assez mal sur un brief de communication pour Dior…
[Rires] Oui, la réunion infernale où tout le monde parle par abréviation ! Nan laisse tomber, on ne s'y rend pas à ce genre de rendez-vous. On négocie un tarif et basta, c'est vraiment très sommaire comme échange.

Flavien Berger et Etienne Jaumet

2017 semble être une grosse année pour le label…
On a l'album de Poni Hoax qui vient de sortir, le nouvel album de Maud Geffray va beaucoup compter. Actuellement, on finalise l'album de Judah Warsky, annoncé comme un projet entre variété et MDMA, et puis, le troisième volet de nos compilations Voyage sort d'ici peu. Il s'agit d'inédits signés par les gens du label et au-delà. Fantôme, le batteur de Bagarre a participé ainsi que James de Salut c'est Cool et Louise Roam, que j'adore. Ce sont plus que des inédits en fait, certains morceaux sont des exclusivités, comme ce titre que Flavien Berger a composé avec Etienne Jaumet spécialement pour l'occasion.

Théophile est sur Twitter. Toutes les photos sont de Cédric Nussli et ont été prises lors des concerts du Point Ephémère.