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reportage

Les videurs d’Ibiza

« J'ai tout vu, que ce soit des embrouilles de gangs ou des imbéciles qui pensent pouvoir prendre de haut les videurs. »
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Peu importe où vous bossez, être videur n'est jamais simple. Pendant des heures, votre travail consiste à garder votre sang-froid en négociant avec des personnes complètement bourrées – dont la plupart chercheront à se battre avec vous. Néanmoins, j'aurais toujours une compassion particulière pour les videurs d'Ibiza, île qui se transforme en antre de la fête une fois l'été venu.

Des hordes de touristes venus des quatre coins du monde envahissent l'île pour participer à des soirées organisées par des clubs gigantesques – ces lieux accueillent des milliers de personnes et des DJ de renommée internationale et restent ouverts bien après l'aube. Vu que les clubs d'Ibiza sont parmi les plus grands du monde et leurs DJs font partie des plus célèbres, je pensais que les videurs de l'île étaient les plus gros et les plus bad ass du métier.

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J'ai discuté avec cinq videurs dont les clubs venaient d'ouvrir pour la saison, histoire de vérifier si cette idée était vraie et de savoir si leur travail était aussi affreux que je l'imaginais.

Robert du XOYO

VICE : Depuis quand êtes-vous videur ?
Robert : C'est ma deuxième année ici, mais j'ai aussi travaillé à Barcelone.

C'est différent de travailler ici ?
Oui, bien sûr. Les clients sont différents. À Barcelone, c'est souvent des Espagnols ou des Catalans. Ici, les gens viennent du monde entier : d'Ibiza, de Dubai, d'Angleterre, d'Amérique, de Russie… Et tout le monde a une folie différente.

C'est dur à gérer, en termes de sécurité ?
Chaque jour est un carnaval. Vous devez avoir au moins une personne de la sécurité dans chaque recoin d'Ibiza – même si c'est un restaurant ou un hôtel.

Avez-vous des critères pour faire rentrer les gens ?
On laisse rentrer tout le monde parce qu'on est à Ibiza et que les gens viennent du monde entier pour visiter. Vous ne pouvez pas accepter ou leur refuser l'entrée en fonction de leur origine ou de leur look. Ça ne marche pas comme ça. Tout le monde est pareil ici.

Vous avez déjà eu à recaler quelqu'un ?
Oui, ceux qui sont très hostiles ou très bourrés. Si vous êtes trop bourré, vous ne pouvez pas acheter un quelconque verre d'alcool, et c'est donc inutile de vous laisser entrer.

Quelle est la chose la plus folle que vous ayez vue ici ?
Une fois, une fille a chié dans un jacuzzi. Beaucoup de choses se passent – des orgies dans des clubs, des hôtels ou des fêtes privées. Les gens font la fête pendant cinq ou six heures, et après ils sont fous. Vous ne savez jamais ce qui peut arriver. Ça va toujours plus loin que ce à quoi vous vous attendiez. C'est impressionnant.

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Comment ça se passe avec les gens violents ? Vous devenez agressif ?
Vous devez leur parler avec le sourire ; il n'y a pas d'autre moyen. S'ils refusent de coopérer, vous devez employer les gros moyens. Mais en général, ils viennent à Ibiza pour passer un bon moment. Si vous leur souriez et leur dites que ce qu'ils ont fait n'était pas correct, ils comprennent.

Stevie du Pub Joy

VICE : Depuis quand travaillez-vous ici ?
Stevie : J'ai commencé à travailler ici cette année, mais je viens à Ibiza depuis sept ans. J'ai travaillé l'année dernière dans un autre bar. L'année d'avant, j'avais suffisamment d'économies pour ne pas avoir à travailler.

Quelle est la chose la plus folle que vous ayez vue dans votre job ?
J'ai vu des trucs vraiment barrés – mais dans l'ensemble, Ibiza est très paisible, il n'y a pas beaucoup de violence car ça ne colle pas avec la culture. Ceci dit, j'ai vu à plusieurs reprises des gens se faire poignarder sur la plage de Bora Bora. J'ai aussi vu des embrouilles entre membres de gangs rivaux ou entre dealers. Généralement, ils ne sont pas d'Ibiza. Ce sont souvent des Anglais qui viennent vivre ici l'été.

Et ils apportent donc leurs embrouilles ici ?
C'est ça. Des gars de Londres et de Liverpool se mènent des guerres de territoires ici. Ça se passe généralement à San Antonio [la deuxième plus grande ville d'Ibiza], mais ils viennent dans le quartier avec tous les clubs le dimanche.

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[Parlant à quelques personnes qui partent du club] Les mecs, à bientôt ! Revenez boire un verre… C'est bien Lou, Dave et Alica ? Cool. Revenez et je vous offrirai quelques shots, d'accord ?

Comment faites-vous pour vous souvenir aussi bien des prénoms ?
C'est une partie de mon job, mec. J'ai oublié ton nom, par contre. J'essaie d'établir cette connexion avec eux, comme ça ils achètent à boire et reviennent.

Retournons à nos affaires : j'ai tout vu, que ce soit des embrouilles de gangs ou des imbéciles qui pensent pouvoir prendre de haut les videurs. Même moi, il y a six ou sept ans, je venais en tant que touriste et je buvais beaucoup. Je me suis déjà fait jeter dans la rue par des videurs. Littéralement. Ça arrive.

Quand êtes-vous passé de fêtard à employé ?
Il y a deux ou trois ans. Je viens de Londres. Là-bas, être videur est un travail super difficile parce qu'il y a des connards partout. Les gens veulent se battre, et tout le monde boit beaucoup trop. À Ibiza, on est plutôt chanceux : les substances que prennent les gens les transforment en zombie ou les remplissent d'amour.

Quelles sont les drogues qu'on retrouve le plus maintenant ?
Ecstasy, MDMA, kétamine, cocaïne, tout ce que tu veux.

Les drogués ne sont-ils pas plus imprévisibles ?
Sur l'ensemble des personnes sous substances, la plupart ne veulent pas vraiment se battre. Mais les gens qui boivent, eux veulent se battre.

Pourquoi les videurs deviennent videurs ?
Ma théorie, c'est que beaucoup de videurs deviennent videurs par nécessité. C'est le seul boulot disponible pour eux car ils ont été gâtés par la nature au niveau muscles, mais pas au niveau intellectuel. Ces gros bras ne sont pas qualifiés pour beaucoup de choses. L'autre genre de gars, c'est celui qui aime l'autorité et qui se sent supérieur aux autres. Beaucoup de videurs prennent énormément de stéroïdes. Pour d'autres, c'est juste un job comme un autre.

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Lors des nuits difficiles, combien de cas compliqués avez-vous à gérer ?
Pas beaucoup. On a ouvert il y a deux semaines, et il n'y a eu qu'une altercation : un Allemand a tenté de partir sans payer ses consommations ; l'équipe lui a dit qu'il devait payer. Il était un peu agressif, mais on a réussi à le gérer. Quand on arrive à la haute saison, au milieu de l'été, vous avez un peu de tout : ça va de deux filles qui se battent entre elles à de grandes bagarres générales.

Est-ce que les gens vomissent ?
Ouais, il y a beaucoup de vomi. Mais c'est rien par rapport à certaines choses. Par exemple, une fois, l'année dernière, j'étais à une closing party. Le DJ italien Marco Carola jouait. Le type vient de Naples. Il a attiré beaucoup de Napolitains, et les Napolitains ne s'entendent pas très bien avec les gars de Rome et les gars d'Ibiza. C'est un peu la guerre entre eux. J'ai vu six ou sept types se faire poignarder au milieu de la foule.

C'est effrayant.
Pas tant que ça. J'avais déjà assisté à ce genre de choses à Londres… On m'a poignardé six fois, je me suis fait tabasser, on m'a tiré dessus…

Dans l'ensemble, Ibiza est un lieu très paisible. Je pense que, là où il y a énormément d'argent à se faire, il y aura toujours certains groupes criminels à tenter de s'imposer. Quand ça se produit, vous avez une certaine tension qui s'installe. Quand ça atteint un certain point, des merdes surviennent.

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Alex du Top 21

VICE : Vous venez d'où ?
Alex : DeSão Paulo, au Brésil.

Ça fait combien de temps que vous bossez ici ?
Sept ans.

Quelle est la chose la plus folle que vous ayez vue ?
J'ai vu des choses assez dingues. Une fois, cinq Anglais – je ne sais pas ce qu'ils avaient pris – ont débarqué à poil, tous un peu sonnés. Ils se sont assis au bar et ont commandé à boire. On leur a dit qu'ils étaient nus ; eux l'ont nié. On le leur a répété. Ils sont partis calmement, toujours persuadés de ne pas être nus.

Vous pensez qu'ils avaient pris quoi ?
Je ne suis pas sûr. Probablement une combinaison bizarre de plusieurs drogues. Il y a deux ou trois ans, un couple septuagénaire avait proposé un plan à trois à tout le monde dans le bar.

Ils ont réussi ?
Je ne sais pas. Je suis parti avant eux. Ils me l'ont demandé, ils l'ont demandé à mon cousin et à tous les mecs qui bossaient là. Soixante-dix ans. C'étaient des Canadiens.

Quelle est la meilleure façon de ne pas entrer dans un club ?
On est à Ibiza, tout le monde ici aime la fête, tout le monde est pacifique. Les gens qui viennent ici pour se battre et avoir des ennuis ne sont pas les bienvenus. On est là pour faire la fête, passer un bon moment et écouter de la musique.

Pensez-vous qu'une nationalité aille plus loin que les autres ?
Ibiza fait ressortir le meilleur comme le pire des différentes nationalités. Quand les Anglais boivent trop, ils aiment vraiment se battre.

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On ne cesse d'entendre ça.
Il y a un mot qui met fin à la plupart des bagarres. C'est s'il vous plaît.

C'est tout ?
Oui. Quand un mec devient agressif, t'as juste à dire : « Hey mec, s'il te plaît. On est là pour s'amuser. S'il te plaît. »

Et si ça ne marche pas ?
Vous devez rester calme. Celui qui est le plus serein est généralement le plus fort. S'il y a une vraie agression – ça arrive parfois –, on appelle la police.

Vous avez aussi des femmes agressives ?
Ouais, parfois. Moins souvent que les hommes, mais quand ça arrive, elles sont plus folles que les hommes.

C'est difficile de rentrer dans les clubs ici ?
L'entrée est très chère donc celui qui achète une place peut en général entrer dans la boîte. Il n'y a pas de politique de droit d'entrée. Il n'y a même pas de code vestimentaire.

C'est une bonne chose que n'importe qui puisse rentrer dans les clubs ?
Les gros clubs d'Ibiza peuvent accueillir 15 000 personnes. Si vous ne laissez pas tout le monde entrer, ça ne collerait pas avec l'image d'Ibiza. La bonne nouvelle, c'est que tout le monde peut profiter, s'il a envie de profiter. Peu importe ton origine, ta religion ou autre.

Nick et Ochoa du Sankey's

VICE : Depuis combien de temps êtes-vous videurs ?
Nick : Depuis quatre ans, de huit à douze heures par jour. Ça s'est passé dans différents endroits, mais toujours à Ibiza.

Vous venez d'Ibiza ?
Nick : Non, de Madrid, mais on bosse ici pour la saison.

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Quelle est la chose la plus folle que vous ayez vue ?
Nick : La drogue est le gros problème ici. Les gens deviennent fous quand ils en prennent.

Ochoa : C'est davantage un travail psychologique. Je travaille avec des gens en état d'ébriété, et vous voyez les gens changer après avoir bu de l'alcool. Mais c'est toujours pareil : vous parlez gentiment avec les gens. Toujours avec respect. Vous parlez avec respect et vous imposez le respect.

Est-ce que votre boulot change pendant la saison ?
Nick : Oui. On travaille tard et on est beaucoup plus fatigués. Les gens arrivent avec la même énergie, mais nous on est crevés.

Que vérifiez-vous quand vous tapotez les gens vers le bas ?
Nick : Drogues, bouteilles.

Vous trouvez souvent de la drogue ?
Nick : Tout le temps, tous les jours. Les gens pensent qu'on peut prendre ce qu'on veut ici.

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