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Peut-on objectivement sortir du capitalisme ?

C'est la seule question qui compte, au final.

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Depuis le début des années 2010 et le triomphe médiatique du mouvement des 99 % ou de Nuit Debout, et au gré de nombreuses manifestations sociales partout dans le monde, le rejet du modèle capitaliste actuel (ou « néolibéral ») s'est aggravé. Cette révolte globale a été poussée par de nouveaux mouvements anticapitalistes issus des courants de pensée anarchistes ou marxistes – mais pas que.

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En premier lieu, il est difficile de donner une définition claire et absolue du capitalisme. Si l'on s'en tient au Petit Larousse, il s'agirait d'« un système de production dont les fondements sont l'entreprise privée et la liberté du marché », ce qui reste vague sur beaucoup de points et ne nous éclaire guère.

Selon Louis Bergeron, directeur d'études à l'EHESS (Écoles des hautes études en sciences sociales), le capitalisme est présent depuis de nombreux siècles, ses formes ayant évolué au fur et à mesure des époques. Il explique ainsi dans son ouvrage Les Capitalistes en France , qu'il existe entre autres un capitalisme foncier (celui des bourgeois propriétaires et autres gros fermiers), un capitalisme négociant (celui des marchands, des négociants ou des banquiers) ou encore un capitalisme d'industrialisation et de renouvellement social (via de « nouvelles élites » promues via divers nouveaux modèles d'ascension sociale).

On peut donc en déduire qu'il n'existe pas un, mais des capitalismes et que ceux-ci peuvent aussi bien se compléter que se confronter. C'est ce que confirme l'économiste français Michel Albert dans son livre paru en 1991 Capitalisme contre capitalisme, où il décrit que deux systèmes capitalistes s'opposent actuellement, à savoir le modèle anglo-saxon, vu comme étant « le plus séduisant » car mettant l'accent sur « le profit financier à court terme, la réussite individuelle et leur médiatisation », et le modèle rhénan, originaire d'Allemagne et présent dans d'autres pays comme les Pays-Bas ou la Suisse, considéré comme le « plus performant », car orienté davantage sur « la réussite collective, le souci des effets à long terme et une protection sociale très développée. »

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Pour autant, est-ce que le système politique actuel, présent dans les pays les plus puissants et influents, peut-il permettre de quitter réellement le capitalisme ? Depuis la fin du communisme d'État de la fin des années 1980, comment proposer une ou des alternatives crédibles ?

Certains comme l'économiste italien et enseignant à l'université d'Harvard Alberto Alesina, ne croient pas en l'existence d'un autre système – qu'il nomme lui-même Troisième Voie. Ce dernier explique dans son ouvrage The Future of Europe, Reform or Decline , daté de 2006, que le modèle économique européen actuel « entraîne à terme une concentration des richesses au sein d'une part de la population de plus en plus réduite, et une paupérisation du reste de la population ». En conséquence, il estime que « l'État doit réguler et définir les moyens de production tels les terres agricoles, éducation, santé, défense, banques et autres secteurs clés de l'économie, pour qu'ils soient placés sous contrôle démocratique afin qu'ils répondent aux besoins des populations – et laisser ceux non essentiels au secteur privé. »

Tout ne serait donc pas à jeter dans le système capitaliste, quand bien même de profonds changements devraient avoir lieu afin que celui-ci perdure, sous peine de voir les problèmes existants s'aggraver de jour en jour.

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Les principales critiques et controverses émises envers le capitalisme peuvent être classées en deux catégories distinctes :

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– au niveau individualiste et/ou artistique : le capitalisme inhiberait les sources créatives et artistiques de l'employé – et par conséquent, l'empêche de penser par lui-même – en l'obligeant à se fondre dans un moule souhaité, conduisant à une oppression de l'individu.

Ce point est abordé par l'économiste français Gilles Saint-Paul, spécialisé dans l'étude du marché du travail, dans sa publication The Tyranny of Utility : Behavioral Social Science and the Rise of Paternalism , parue en 2011. Étant davantage une critique des excès de ce système plutôt qu'un rejet global, l'auteur dénonce qu'un comportement trop interventionniste de la hiérarchie conditionne l'agent dans sa manière de penser (et donc de travailler), et que celle-ci ne se soucie guère du développement de l'autonomie de son travailleur, pouvant entraîner des dérives liberticides.

– au niveau social : dans leur ouvrage Le Nouvel esprit du capitalisme , paru en 1999, Luc Boltanski, sociologue, et Ève Chiapello, directrice d'études à l'EHESS, soulignent que le capitalisme met en avant de manière exacerbée et systématique l'individualisme pur, l'opportunisme et l'égoïsme, détruisant ainsi, lentement mais sûrement, les liens sociaux et les solidarités diverses.

Pourtant, malgré toutes ces critiques argumentées et réelles s'abattant régulièrement sur ledit système, une très grande majorité des gouvernements occidentaux ne souhaitent pas ou ne veulent pas s'extirper du capitalisme. Toujours la même question, donc : pourquoi ?

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Il existerait deux manières de sortir du capitalisme : la « sortie barbare » ou la « sortie civilisée ».

Y aurait-il un ou des puissants lobbyings, au même titre que la NRA (National Rifle Association), qui seraient complètement perdants si jamais un nouveau système autre que le capitalisme venait à voir le jour ? Le doute est permis. Surtout lorsqu'on s'aperçoit du poids grandissant de certains lobbys (pharmaceutique, de l'armement ou agroalimentaire), où l'on finit par se demander si ce sont bien les hommes politiques élus qui gouvernent activement les pays.

Les lobbys ont pour but de promouvoir leurs produits, afin d'encourager la consommation et donc la réalisation de profits. En juin 2015, Barack Obama décriait dans le New York Times « l'emprise de la NRA au sein du Congrès américain » et sa colère quant à son incapacité à modifier la législation sur la circulation des armes à feu aux États-Unis – car, pour ce faire, il lui fallait l'aide dudit Congrès, régi par les lobbys.

Cette impuissance du président américain prouve à elle seule que les cartes du pouvoir et des décisions ont été redistribuées, et que l'intérêt général passe après les intérêts particuliers et le corporatisme. Le courant de pensée rousseauiste, issu de l'écrivain genevois Jean-Jacques Rousseau, considère que le manque de vigilance de l'État concernant les lobbys peut entraîner une menace pour la démocratie, car les procédés d'influence des cabinets et les différences de moyens financiers entre une simple association de citoyens et les grandes entreprises favorisent un déséquilibre dangereux. De plus en plus d'observateurs souhaitent la mise en place d'un contrôle des activités des lobbys et une transparence auprès des instances politiques – notamment sur le plan financier.

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Le philosophe français André Gorz expliquait dans ses écrits comme Adieux au prolétariat (1980), Misères du présent, richesses du possible (1997) et L'Immatériel (2003) que les crises actuelles (financière, liées à l'emploi ou à l'écologie) forment un tout. Toutes sont en effet fortement liées et il est parfois impossible de les séparer puisqu'elles traduisent à elles seules l'épuisement du système économique dominant.

Selon lui, il existe deux manières de sortir du capitalisme : la « sortie barbare » ou la « sortie civilisée ».

La première sortie existe et est visible dans certaines régions du globe : chefs de guerre dirigeant le pays, trafics d'êtres humains, massacres, etc. M. Gorz nous suggère même de revoir la série des films Mad Max , où le chaos et la loi du plus gros flingue ont remplacé les vieilles valeurs républicaines.

La seconde sortie est beaucoup moins brutale, et serait donc le fruit d'un long travail où on construirait un avenir où le plus grand nombre y trouverait son compte. Il commence par « la culture du quotidien », c'est-à-dire que le milieu social et les relations sociales favoriseraient le respect et l'entretien du bien commun. André Gorz souligne que l'individu ne se sent plus chez lui nulle part : au travail, car bien souvent, il fait un boulot pour avoir de l'argent et (sur)vivre et ne peut pas s'émanciper personnellement. Les pressions et menaces permanentes d'une hiérarchie trop heureuse de disposer d'une once de pouvoir continue de l'enfoncer moralement ; aussi, il ne se sent plus chez lui dans son quartier, qui ne correspond pas souvent à la localisation de son emploi, ni à ce qu'il souhaite consommer et à se distraire ; enfin, il ne se sent plus chez lui par rapport aux institutions puisqu'elles apparaissent comme des machines toujours plus complexes et qu'il les subit régulièrement sans pouvoir faire grand-chose.

De plus, Gorz rappelle qu'on nous martèle (via les lobbys notamment) que la société de marchandise, du salariat et de l'argent est « indépassable » et qu'envisager une autre économie, basée sur d'autres modes de production et des rapports sociaux différents serait « irréaliste ».

Cependant, il affirme que l'informatique, au travers de certaines actions (créations de logiciels libres, hackers activistes), a amorcé le coup d'envoi du conflit central. Le fait qu'une lutte se soit engagée entre logiciels propriétaires et logiciels libres est capable de miner de l'intérieur la base même du capitalisme, en menaçant les monopoles. Ces derniers ont récemment été mis à mal par plusieurs conflits face à des nouveaux modes de consommer et de vivre : taxis vs Uber, hôtels vs Airbnb, SNCF vs Blablacar, maisons de disques vs Youtube, etc.

À travers ces affrontements, peut-être la sortie du capitalisme a-t-elle déjà commencée, sans que l'on puisse s'en rendre compte. C'est ce que disait André Gorz avant de s'éteindre en 2007, tout en nous pressant de rejoindre « la sortie civilisée du capitalisme ».