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reportage

Les gardes forestiers surarmés du Kenya mènent une lutte sans merci contre les braconniers

Evgeny Lebedev, un grand patron de presse britannique, est allé la rencontre des putains de héros qui protègent les pachydermes de la folie des hommes.

Les gardes forestiers de la réserve naturelle de Lewa Downs au Kenya

Alors que la nuit tombe, du sommet de leur colline, des hommes armés s’accroupissent afin de ne pas se faire repérer. Puis, ils s'équipent de leurs lunettes à infrarouge et établissent une communication radio avec leurs deux collègues patrouillant dans la brousse environnante. Leurs ordres sont clairs : au premier signe d'intrusion, il faut qu'ils mobilisent les véhicules, qu’ils se rendent dans la zone concernée et affrontent les intrus.

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Chacun de ces hommes a reçu une arme automatique de dernière génération –un German Heckler ou un Koch G3. En plus des lunettes et de leurs armes, ils sont aussi équipés de sangles et de matériel médical – notamment de bandages conçus à destination des soldats américains et qui permettent de stopper une hémorragie causée par une blessure par balle.

Vu de l'extérieur, le groupe ressemble à une unité d'élite de l'armée. Il s’agit en réalité des gardes forestiers chargés de la protection des espèces en danger qu'héberge la magnifique réserve naturelle de Lewa, au cœur du Kenya.

Leur job est loin d’être de tout repos. Depuis plusieurs années, les gardes forestiers sont engagés dans une lutte armée sans merci.

« Nous menons une guerre – une longue guerre – contre des individus organisés et chaque jour plus nombreux », m'a expliqué Edward Ndiritu, le chef du groupe. « Les braconniers se sont mis à frapper toutes les réserves, tous les parcs. Si nous n'agissons pas, ces animaux vont mourir. »

La guerre opposant les protecteurs de la faune du continent africain et les braconniers est de plus en plus violente. Les chasseurs répondent à la demande mondiale – et particulièrement asiatique – en hausse de produits issus d’espèces en danger.

Évidemment, le fric est au cœur de ce conflit. L'ivoire d'éléphant ou les cornes de rhinocéros se monnaient à prix d’or. L'émergence d'une classe moyenne dans des pays comme la Chine et le Vietnam a provoqué une forte hausse des prix sur ce marché.

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L'ivoire se vend souvent au même taux que l'or. Quant à la corne de rhinocéros, elle coûte deux fois plus. Avec les bénéfices pouvant être engrangés par ce trafic, le braconnage a attiré un nouveau type de personnes. Désormais, on retrouve impliqués des gangs criminels habituellement spécialisés dans le trafic de drogue, d'êtres humains ou d'armes.

Cependant, les trafiquants ne sont pas les seuls nouveaux acteurs de ce commerce. Depuis quelque temps, certaines des milices les plus douteuses de la planète se sont elles aussi jointes à la chasse ; notamment l'Armée de résistance du Seigneur – dirigée par Joseph Kony – qui braconne sans répit en République démocratique du Congo ainsi que les Shebab – fraction somalienne d'Al-Qaida à l'origine du massacre du centre commercial de Nairobi, l'année dernière. L’organisation semble liée au braconnage, au point que l’ivoire est désormais surnommé « l’or blanc du djihad ».

Un garde forestier exhibant son arsenal dans la réserve de Lewa au Kenya.

L'AK-47 est l'arme de choix des braconniers. En Ouganda, un hélicoptère aurait été utilisé pour abattre 22 éléphants depuis les airs. Des rapports font aussi état d'explosifs et de balles à fragmentation. Ainsi, il semblerait que tout soit mis en œuvre afin de permettre d'alimenter ce commerce mondial illégal, aujourd’hui estimé à 13 millions d'euros par an.

L’essor du phénomène est saisissant. Alors qu'en 2007, 13 rhinocéros s'étaient fait abattre sur le territoire du pays, leur nombre se serait élevé à 1004 en 2013, d'après des récentes révélations du gouvernement sud-africain. Concernant les éléphants, 25 000 d'entre eux se feraient descendre chaque année pour leur ivoire – soit une moyenne d'un toutes les vingt minutes.

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La veille, je me trouvais avec une autre unité de gardes forestiers. Eux travaillaient pour la réserve d'Ol Pejeta, située à une courte distance de l'endroit où sont basés leurs collègues de Lewa. Nous avons patrouillé les hautes herbes et vérifié que la clôture ne présentait aucun dégât. Leurs informateurs, basés dans les villages extérieurs, les avaient prévenus qu'un raid de braconniers était en préparation. Tous se tenaient prêts pour le combat.

Comme les gardes de Lewa, ces hommes étaient eux aussi équipés d'un arsenal puissant et ultra-moderne. Ils ne se faisaient aucune illusion sur les dangers auxquels ils étaient confrontés. Au cours de la dernière décennie, le nombre de gardes forestiers tués a été supérieur de 30 % à celui des soldats britanniques morts au combat en Irak et en Afghanistan. Ces statistiques suffisent à prouver la violence de cette guerre d'un nouveau genre.

« Notre radio nous a informés que des braconniers se trouvaient dans notre secteur », m'a relaté Jackson Kamunya, chef de son unité, à propos de son opération la plus récente. « Nous avons mobilisé l'hélicoptère et sommes arrivés avant eux sur la zone concernée pour leur tendre une embuscade. Nous les avons aperçus ; ils étaient armés eux aussi. Puis, tout le monde a commencé à se tirer dessus. »

La pression subie par ces gardes est très intense. Paul Nderito a travaillé à Ol Pejeta pendant deux ans : « Je me suis toujours dit que je pouvais mourir à tout moment, m'a-t-il confié. Les premiers mois, je faisais des cauchemars à chaque fois que je m'endormais. Mais, nous n'avons pas le choix. Les animaux sont des êtres innocents. C'est pourquoi nous devons les protéger comme si c'étaient des enfants. »

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Un éléphant, massacré pour son ivoire

Mercredi 12 et jeudi 13 février, à l'occasion d'une grande conférence organisée par David Cameron et soutenue par le prince Charles, une cinquantaine de hauts responsables se sont rassemblés à Londres pour tenter de trouver une réponse au fléau. Certains dirigeants africains et asiatiques – notamment ceux des principaux pays concernés par ce trafic – étaient présents. Cet événement a été décrit comme le « Kyoto de la protection animalière ».

À cette occasion, les journaux que je dirige – The Independent, Independent on Sunday et l'Evening Standard – ont mené campagne en faveur d'une action internationale permettant de mettre fin à ce commerce illégal. Pour Noël, nos lecteurs nous ont reversé plusieurs centaines de milliers de livres afin d'aider plusieurs associations écologistes travaillant dans ce domaine. Ces dons ont notamment permis de soutenir les équipes anti-braconnage, comme celles que j'ai rencontrées à Lewa et à Ol Pejeta.

Aujourd'hui, la réalité est telle que, selon certains pronostics, si des mesures ne sont pas prises de toute urgence, le nombre de rhinocéros pourrait atteindre le seuil de « population minimum viable ». Si tel était le cas, l'évolution de l'espèce serait entravée et le risque d'extinction à court terme augmenterait fortement. Quant aux éléphants, on ne les trouverait plus à l'état sauvage dans deux décennies. Le temps est compté.

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À la fin de mon séjour en Afrique de l'Est, un employé du Service kenyan de la faune m'a emmené voir la réalité du travail des braconniers. Il m'a montré ce qui restait de la carcasse d'un éléphant abattu pour son ivoire. Son corps avait été dépecé et sa tête coupée en deux, de sorte que les défenses de l'animal puissent être extraites de son crâne.

« Chaque morceau d'ivoire vendu provient d'un éléphant abattu illégalement », m'a-t-il dit alors que nous observions le cadavre de ce qui était encore il y a peu un grand et robuste mammifère. « Nous ne pouvons pas arrêter ce fléau tout seuls. Nous avons besoin d'aide. »

Espérons que son appel soit entendu.

Evgeny Lebedev est le propriétaire des groupes de presse Independent Print et Evening Standard. Suivez-le sur Twitter : @mrevgenylebedev

Pour plus d'informations sur la campagne de protection des éléphants, rendez-vous sur cette page.