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LE NUMÉRO DES CAUSES PERDUES

Les maladies sont plus intelligentes que nos médocs

Les agents pathogènes responsables des maladies les plus épouvantables – dont la plupart avaient été éradiquées jusqu’alors – se sont mis à muter et à développer une résistance aux traitements.

En Occident, nous avons accès à des médicaments efficaces pour soigner nos maux les plus communs. Le problème, c’est que la plupart de ces médicaments sont sur le point de devenir totalement inutiles. Les agents pathogènes responsables des maladies les plus épouvantables – dont la plupart avaient été éradiquées jusqu’alors – se sont mis à muter et à développer une résistance aux traitements. Compte tenu de mon hypocondrie obsessionnelle, je me devais d’en savoir plus sur ce désastre biologique imminent pour pouvoir m’installer dans le confort d’un état de panique permanent. Pour ce faire, j’ai contacté Rachel Nugent, qui a présidé le groupe de travail sur la résistance aux médicaments pendant quelque temps au Centre pour le développement mondial (CGD). On a parlé de ses recherches sur les traitements qui seront bientôt impuissants face aux terribles maladies auxquelles nous serons tous confrontés.  VICE : Pourquoi les médicaments qui ont changé la face du monde deviennent inefficaces ?
Rachel Nugent : Les agents pathogènes peuvent développer une résistance aux médicaments de différentes façons – par exemple, lorsque quelqu’un juge bon d’arrêter un traitement car il commence à se sentir mieux. Dans ce cas précis, la souche n’est pas tuée. C’est comme la boxe ; vous êtes sur le ring, vous pensez avoir mis KO votre adversaire, mais alors que vous vous apprêtez à partir, il vous attaque par surprise. C’est pareil : la souche se manifeste à nouveau et elle est encore plus forte. C’est ce qu’on appelle la « résistance acquise », ce qui signifie que les agents pathogènes s’adaptent au corps d’un individu pour résister plus facilement aux médicaments. La souche pathogène résistante est transmissible d’homme à homme, ou de bête à homme. Plus ces souches résistantes se propagent, plus l’efficacité des médicaments est altérée. Les agents pathogènes résistants sont donc considérés comme de nouvelles souches ?
La résistance n’est pas forcément le fruit d’une mutation. La résistance peut découler des microbes qui s’adaptent à l’environnement. Et puis toutes les mutations n’entraînent pas forcément des résistances. D’une manière générale, les maladies infectieuses y sont plus sujettes, mais les traitements contre le cancer le sont aussi. Les traitements contre les cancers sont bien plus longs, alors on détecte le processus de résistance à un autre stade de la maladie. Donc les mutations rapides d’agents pathogènes des maladies infectieuses accroissent la résistance aux médicaments ?
Oui, on parle de centaines, voire de milliers de mutations par heure. La malaria, par exemple, est très difficile à contrôler. On a développé un tas de médicaments contre cette infection, mais les parasites qui en sont la cause sont rapides et efficaces. On ne fait pas le poids. On a beaucoup de médicaments mais ils se ressemblent beaucoup, alors les agents pathogènes qui s’adaptent à un type d’antibiotique auront beaucoup de facilité à s’adapter aux autres. Lors de mes recherches, j’ai découvert que la tuberculose était l’un des cas les plus extrêmes – les bactéries de la tuberculose refusent de se soumettre à l’action des médicaments. Pourquoi ?
La tuberculose est un parfait exemple en termes de résistance aux médicaments parce que les gens qui en souffrent doivent suivre un long traitement. En théorie, on compte neuf mois pour traiter un cas de tuberculose classique. Mais lors d’un traitement si long, il n’est pas rare que les malades négligent ou oublient la prise de médicaments. Le traitement contre la tuberculose étant lourd, les gens l’acceptent difficilement. La médecine a d’ailleurs mis en place la stratégie DOTS [Directly Observed Therapy – Short Course], qui permet de s’assurer de l’assiduité des patients. Neuf mois ça peut paraître long, mais si quelqu’un développe une résistance aux médicaments, alors il ou elle en aura pour plusieurs années de traitement. Cette super-résistance aux traitements pour la tuberculose est-elle répandue ?
Elle est largement répandue. Il y a d’autres formes de résistance, beaucoup plus fortes et totalement incurables – du moins, les médicaments que nous avons semblent être totalement inefficaces. On appelle ça la résistance totale, mais ce n’est pas encore un terme officiel. Les termes utilisés sont « résistance pléïotropique » ou « résistance étendue aux médicaments ». La résistance totale aux traitements de la tuberculose est peu répandue et les médecins n’aiment pas aborder le sujet. Pensez-vous que les contrefaçons et autres médocs de substitution fabriqués dans les pays sous-développés contribuent à la résistance aux médicaments ?
Oui, et ce sont dans les pays comme la Chine ou l’Inde qu’ils sont le plus présents. Ce n’est pas seulement une question de mauvaise qualité de vie – celle-ci affecte la plupart de ces pays – mais aussi une question de normes médicamenteuses. Ces médicaments sont aussi efficaces que de bons antibiotiques ou de bons antipaludiques, mais parfois, lors de la fabrication en usine, certains ingrédients sont périmés ou dégradés au cours de la chaîne de production. Les produits de contrefaçon représentent une menace et conduisent au développement de résistances. Mais, bien sûr, les médicaments qui sont totalement contrefaits et qui ne contiennent aucun ingrédient actif ne contribuent pas à la résistance. Il faut un minimum de ces ingrédients actifs pour que le microbe apprenne à lutter contre. Sachez que tous les médicaments fabriqués en Inde ou en Chine ne sont pas forcément inactifs. Mais le taux de faux médicaments qui circulent dans ces pays est stupéfiant.

Un gros plan sur les molécules de la gonorrhée en train de se dissoudre dans les cellules sanguines. Si vous aussi avez ces petits personnages dans votre corps et qu’ils s’avèrent résistants aux médicaments, alors vous êtes baisé. Photo : CDC/Joe Millar

J’ai lu récemment qu’une forme de gonorrhée demeurait incurable. Cette infection viendrait des prostituées japonaises.
On ne s’est pas soucié de la gonorrhée des années durant car il s’agissait d’une infection facilement curable à l’aide d’antibiotiques. Mais de nouvelles souches de gonorrhée sont en train de se développer ainsi que d’autres types d’infections sexuellement transmissibles, celles-ci pouvant causer de graves dommages si elles ne sont pas traitées. Qu’en est-il des traitements contre le sida ? Deviennent-ils eux aussi obsolètes ?
Il s’agit d’un cas de résistance au-delà de nos compétences. Celui-ci se propage doucement, et le taux est faible – moins de 5 % des cas s’avèrent résistants. Cela dit, si nous dépensons de l’argent pour mettre les patients sous antirétroviraux (ARV) sans nous soucier de la gestion des médicaments, alors ça pourrait empirer. Pensez à tout l’argent déboursé dans la recherche et le développement d’antirétroviraux pour lutter contre le VIH. On en a besoin d’un maximum. On perd actuellement beaucoup d’antibiotiques, et on a perdu beaucoup d’antipaludiques, pour ne pas dire tous. Qu’est-ce qui se passe lorsque les antipaludiques ne marchent plus ? On va tous crever des piqûres de moustique ?
On observe une résistance à tous les traitements antipaludiques, même les combinaisons thérapeutiques telles que l’artémisinine – un mélange de plusieurs médicaments réunis en une pilule. L’artémisinine était jusqu’alors le seul agent efficace contre le paludisme et sa présence était importante dans les combinaisons thérapeutiques. Plusieurs médicaments valent mieux qu’un. Vous avez déjà entendu parler d’un cocktail de médicaments pour lutter contre le sida ? C’est le même principe. Pourquoi les antipaludiques sont-ils dépassés aujourd’hui ?
Jusqu’à récemment, tout ce dont on disposait pour soigner le paludisme, c’étaient de vieux médicaments comme la sulfadoxine-pyriméthamine et la chloroquine, qui datent des années cinquante. Plus le traitement s’étend, plus la probabilité de développer une résistance est élevée. C’est pourquoi la prescription en hausse d’antirétroviraux à travers le monde risque d’engendrer encore plus de résistances. Reste-t-il une chance pour les gens infectés par des bactéries résistantes ?
Pour les tuberculeux, il n’y a rien à faire sinon leur prescrire un traitement de deuxième ou troisième ligne, ceux qu’on file en cas de rechute. Ils sont plus chers, engendrent plus d’effets secondaires et ont un impact énorme sur la vie des patients. Pour d’autres maladies, il n’y a pas de rechute, juste la mort.

Illustration : Sam Taylor