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Y a-t-il des raisons objectives à ce que les jeunes Français soient les plus tristes d'Europe ?

Oui il y en a beaucoup, et ce n'est pas près de changer.
Paul Douard
Paris, FR

Avoir 20 ans en France aujourd'hui, ce n'est pas tout rose. Ça n'est pas un compte Instagram plein de couleurs, d'amour et de road-trips dans le Sud. Ça ressemble plutôt au Nom de la rose, à savoir un lieu gris peuplé de pervers pauvres et racistes. Et notre génération de jeunes Français commence à comprendre que c'est sur elle que ça tombe, cette fois encore. Selon une étude publiée ce mois-ci par la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), rattachée au ministère des Affaires sociales, les jeunes Français seraient les moins optimistes d'Europe. Cette tendance est aussi confirmée par le World Happiness Report de 2016, où la France se positionne à la 32e place sur les 156 pays sondés. La presse internationale, comme le New Yorker ou le Guardian, font eux aussi état de ce mal-être français.

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Doit-on vraiment être surpris par cette nouvelle ? Pas vraiment.

Pour la plupart d'entre nous, être jeune aujourd'hui signifie, au choix : ne pas avoir de boulot, avoir un boulot de merde – genre dans un open space avec un ordinateur Packard Bell – ou être autoentrepreneur et se prostituer tous les jours pour gratter quelques euros en écrivant des billets de blog pour une compagnie d'assurances. Le seul temps libre dont vous disposez sera partagé entre vous farcir les copines de vos potes que vous détestez et lancer un Tumblr de portraits en noir et blanc. Le peu d'argent que vous gagnez disparaît dans les méandres de l'administration fiscale et dans le compte en banque de votre propriétaire, lequel trouve par ailleurs que « l'État est un peu dur avec les propriétaires ».

Mais reprenons depuis le début. À la base, la France est un pays sympa. En 2016, la France demeure la 6e puissance économique mondiale. L'école ne coûte pas cher, nous avons la sécurité sociale et des allocations-chômage plus importantes que les autres pays européens. Si par chance vous avez un CDI, vous pouvez même rester les bras croisés à votre bureau sans rien foutre sans avoir peur d'être licencié. Ce genre de chose devrait normalement nous rassurer sur l'avenir. Notre pays est aussi le plus visité du monde, et de loin, avec près de 84,2 millions de touristes en 2014. Ce qui veut bien dire qu'il y a des trucs cool à y faire.

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Pourtant, nous sommes tristes. Comment avons-nous pu en arriver là ?

En interrogeant les auteurs de l'étude, Sébastien Grobon et Mickaël Portel, ils m'ont d'abord avoué ceci : « Notre étude fait un constat descriptif dans différents pays, mais les éléments à disposition ne permettent pas de dire pourquoi les jeunes Français sont les moins optimistes d'Europe. » Il y a tout de même certains facteurs évidents.

Déjà historiquement, la France a toujours été un pays de dépressifs. Nous faisons toujours partie des plus gros consommateurs d'antidépresseurs au monde. « Comme d'autres le cannabis, on cultive chez nous le vague à l'âme, petite drogue douce et délétère », disait de la France François Mitterrand. La dépression serait quelque chose de Français, au même titre que le pain. C'est ce qu'affirme une étude de The Economist, qui explique que le plus frappant dans cette morosité française, c'est que cela est vrai pour les Français qui ont la nationalité depuis plus de deux générations – mais pas du tout pour les immigrés récents, aussi optimistes que les Danois.

Râler en lisant, une passion française. Photo via Flickr.

Cela laisse donc penser que le phénomène est inhérent à la culture française, et non relatif au contexte. Il est vrai que cette tradition du misérabilisme se retrouve dans notre littérature. Descartes, le premier, instituait « le doute » comme premier réflexe de tout bon philosophe. Mais prétendre que cette tristesse absolue serait uniquement liée à une culture française est compliqué à affirmer selon les auteurs de l'étude. « Les comparaisons entre pays sont très difficiles à établir ; les différences de niveau entre les pays peuvent être à la fois le fruit de différences culturelles, institutionnelles, sociétales ou même de composition de la population. »

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Difficile donc de penser que le contexte n'y est pour rien dans cette dépression abyssale. Car les jeunes sont aujourd'hui les plus touchés par le chômage en France. Commencer une vie d'adulte par du chômage et/ou des boulots minables n'aide pas à avoir foi en l'avenir. Si en plus vous êtes obligé de voter pour des gens qui étaient déjà au pouvoir à votre naissance, cela commence à faire beaucoup. Aujourd'hui, la moitié des 18-25 ans estime avoir « une moins bonne situation que celle de leurs parents au même âge ». On parle alors de déclassement social. Quand vos parents vous payent des études, ils investissent en vous afin que le retour soit au moins à la hauteur de ce qu'ils ont donné. Un déclassement social consiste à ne même pas atteindre le niveau social de ses parents. C'est comme redoubler, mais dans la vie.

La France était une référence dans le monde entier : un pays riche à la culture florissante que le monde nous enviait. Sauf qu'aujourd'hui, la France est plutôt vue comme un musée à ciel ouvert.

Il existe peut-être également une autre raison à cette dépression. L'écart entre les plus riches et les plus pauvres ne cesse de se creuser. La richesse des plus riches (le fameux 0,1 % de la population) a augmenté de 44 % depuis 2010, quand les plus pauvres se sont appauvris de 41 %. En tant que jeune, c'est un sentiment d'impuissance qui prédomine. On peut se dire que les choses semblent jouées d'avance, alors à quoi bon se battre ? Il est certain qu'aujourd'hui, il vaut mieux hériter qu'être riche, comme l'affirmait l'économiste Thomas Piketty. Il y a un siècle, Eugène Schueller crée L'Oréal. Sa fille Liliane Bettencourt hérite et sa fortune passe de 2 milliards en 1990 à 25 milliards en 2010. Cette inégalité dès la naissance réduit les chances pour beaucoup d'un jour accéder à un patrimoine, et accessoirement à une vie tranquille. Même en gagnant beaucoup d'argent, une personne riche ne pourra jamais rattraper un héritier en ce qui concerne le patrimoine.

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Comme si le manque de thunes et notre culture mélancolique ne suffisaient pas à nous donner envie de boire, les Français semblent aussi déprimés par la grandeur perdue de notre empire. Oui, la France a – au cours d'une époque pas si lointaine – mis une bonne partie du monde à genoux grâce à de multiples invasions plus ou moins justifiées. La France était une référence dans le monde entier : un pays riche à la culture florissante que le monde nous enviait. Sauf qu'aujourd'hui, la France est plutôt vue comme un musée à ciel ouvert. C'est le constat du philosophe et historien Marcel Gauchet qui expliquait à La Tribune : « Nous nous sommes illusionnés sur le partage des tâches dans la mondialisation : les Occidentaux ont pensé qu'ils allaient faire suer le burnous des Asiatiques, et encaisser, eux, les royalties – puisque l'Europe et les États-Unis se réservaient l'innovation. Comme si les Chinois n'allaient pas s'y intéresser ! Un racisme inconscient était là à l'œuvre. »

Déprimer en buvant un expresso, une passion française. Photo via Flickr.

Pour le psychiatre Serge Hefez, qui s'exprimait dans Le Parisien, cette tendance française à voir le verre à moitié vide s'explique par la culture de l'État-providence, qui rend difficile à admettre la baisse d'un mode de vie avantageux. Avec un chômage de 10 % qui ne s'arrête plus de croître et une dette dantesque impossible à rembourser, « plus ça va, plus les Français ressentent une perte du sentiment de protection de cet État-providence – et de fait, une disparition de certaines valeurs qui font la France, comme l'égalité » expliquait-il.

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Cela rejoint la thèse des économistes Yann Algan et Pierre Cahuc, auteurs de l'essai La Société de défiance. Ils expliquent que le malaise français viendrait aussi du fait que notre société est rongée par le corporatisme et l'étatisme. Le premier engendre des inégalités et des rentes de situation au profit de certains groupes ; le deuxième affaiblit la société civile et suscite des formes diverses de corruption pour tirer parti des règles en place.

Concrètement, le modèle français pousserait à l'incivisme et à la défiance, ce qui expliquerait un certain pessimisme. Marcel Gauchet confirme : « La marche du monde, telle qu'elle s'est généralisée depuis 40 ans, va à l'encontre de notre ADN, comme on dit. Certes, nous parvenons tant bien que mal à nous adapter à la situation. Mais c'est un modèle dans lequel les Français ne se reconnaissent pas. Un modèle construit sur l'approbation des inégalités au titre de la dynamique économique ; alors que le problème français, depuis toujours, c'est l'égalité. »

L'école joue également son rôle dans cette fabrication de la mélancolie française. L'école dit à tout le monde : il y a l'égalité des chances. Mais paradoxalement, notre système éducatif est très élitiste. On demande aux gens d'appartenir aux 1 % des meilleurs. Pourtant, il est logique que tout le monde ne puisse pas y arriver. L'école considère que seul les maths, le français et l'histoire sont importants. On se désintéresse d'un élève qui défonce tout en peinture, en sport ou en musique. Et à force de noter les gens dès leur enfance, beaucoup se sentent simplement « au milieu » et jamais assez bon. L'école française est très loin d'être l'école du bonheur, qui plus est lorsqu'elle ne fait que glorifier les Lumières et la Révolution. Car tout ça ne représente plus la France d'aujourd'hui.

La France, c'était mieux avant, pourrait-on dire. La France est un pays qui aujourd'hui ne sait plus ce qu'elle vaut. Et de fait, ses « jeunes » n'ont plus aucune idée de la place qui leur revient dans le monde.

Elle est comme un jeune adulte nostalgique de ses années étudiantes, qui cherche à retrouver cette sensation agréable. Celle qui l'animait.

Paul est sur Twitter.