FYI.

This story is over 5 years old.

Stuff

Les croque-morts sont des travailleurs comme les autres

On a discuté avec quatre agents funéraires pour qu'ils nous racontent leur quotidien fait de comptabilité, de deuil et de cadavres.

Photo via Flickr

À chaque Toussaint, veille du Jour des Morts, la presse française revient avec son éternel marronnier au sujet des croque-morts. On voit alors ces pauvres agents funéraires peints en rapaces perfides, sombres magouilleurs au service de la Grande Faucheuse pratiquant des prix obscènes compte tenu des sinistres « circonstances » de négociation. Sans surprise, c'est globalement faux. Un enterrement coûte environ 3 000 euros à la famille, contre quelque 7 000 euros pour une naissance, déclarait l'agent funéraire Guillaume Bailly au Figaro l'année dernière. De même, un mec entrant dans le métier touche seulement le SMIC – environ 1 100 euros – tandis que le salaire médian des bas échelons de la profession navigue autour des 1 400 euros par mois nets. Autrement dit : pas beaucoup.

Publicité

Sans compter bien évidemment les nombreux aléas de la vie de personnes dont le boulot est de manipuler des cadavres quotidiennement pour leur faire regagner la terre à tout jamais. Autrefois, on le considérait comme des personnages lugubres, pouvant même quelquefois porter malheur à ceux qui les croisaient. Aujourd'hui, on ne compte plus les histoires de dépressions parmi ce corps de métier mésestimé. Sans compter les autres clichés sordides autour du métier. Un peu plus tôt cette année, le Courrier Picard relatait une sombre affaire localisée dans le département de la Somme, où deux employées des pompes funèbres de la ville d'Amiens attaquaient en justice leur patron pour viol, « à la fois au sein du magasin, mais aussi dans le funérarium » précisait le site du journal.

Cependant, dans un secteur vieux comme le monde, les magouilles et autres affaires sont malheureusement légion – comme partout ailleurs. C'est en posant des questions à quatre travailleurs du funéraire différents que j'ai pu constater qu'ils exerçaient un métier de vendeur somme toute assez banal. Même si en effet, il vaut mieux ne jamais devoir trop les fréquenter.

Photo via Flickr

FREDDY PINEAU

M. Pineau est directeur de Funeral Concept, une entreprise qui fabrique en France des stèles modernes et design.

VICE : J'ai entendu dire que vous étiez les premiers à proposer des cercueils conceptuels en acier traité, et que vous avez d'ailleurs reçu des prix. C'est vrai cette histoire ?
Freddy Pineau : On est les premiers, en effet. Notre société a été créée en avril 2012, et nous avons reçu les trophées avenir et innovation de la chambre du commerce et de l'industrie du Pays de La Loire en 2012-2013, ainsi que le coup de cœur du salon du funéraire de Paris. Aujourd'hui on s'agrandit, on reçoit des coups de fil du monde entier. C'est un marché pas très traditionnel mais demandez aux gens autour de vous : personne ne veut aller au cimetière. Notre idée, c'est de proposer autre chose que du noir et du gris.

Publicité

Quels sont les principaux intérêts de vos cercueils en acier traité ?
Déjà, ce ne sont pas des cercueils mais des monuments funéraires comprenant la stèle horizontale et la partie plate. Notre particularité est de proposer d'autres matériaux que le granit. On propose de la pierre, de l'acier, de l'inox (le bois n'est encore qu'au stade de prototype) pour des monuments design et modernes. Ce sont des matériaux qui ont, techniquement, très bien évolué. Alors que le granit est cher et que les fabricants cherchent constamment à baisser les coûts.

Sur les goûts et les couleurs des gens, on ne peut pas critiquer : ce sont les choix de personnes endeuillées. Mais on a dû refuser une tombe avec des symboles de cannabis en grand.

Comment les « traditionnels » font-ils pour marger sur le matériau ?
En important du granit d'Asie. Résultat : 95 % des granits viennent d'Asie. Certaines pompes funèbres vont jusqu'à acheter leur granit dans le Tarn et le faire tailler par des gamins de 8 ans au bout du monde, comme ça, ils peuvent coller l'appellation « granit de France ». Nous, on fait de la fabrication française.

Quel est l'intérêt d'avoir une tombe design et moderne ?
Alors ce n'est pas de gaîté de cœur, mais quand un jeune décède, on peut penser un monument qui représente un peu la personne. On a des clients qui veulent du classique gris et noir, et d'autres qui veulent du kitsch, personnalisé à l'extrême – ceux-là, on ne les montre pas sur notre site. On a beaucoup montré des choses flashy pour bien démarquer ce qu'on faisait. En général en trois échanges, on se met d'accord sur un BAT. Mais sur les goûts et les couleurs on ne peut pas critiquer : ce sont les choix de personnes endeuillées. On vérifie surtout que les textes ne soient pas offensants.

Publicité

Qu'est-ce que vous avez dû refuser par exemple ?
On nous a demandé des symboles de cannabis. On a une éthique quand même, on ne peut pas mettre un symbole cannabique en grand – on le met discrètement derrière le monument. Une fois, on nous a demandé une stèle avec un serpent, et on ne l'a pas faite parce que c'est complètement antagoniste avec la religion chrétienne. On n'a jamais eu de stèles retirées nulle part.

Photo via Flickr

FRÉDÉRIC NICOLAS

M. Frédéric Nicolas est vice-président du syndicat des thanatopracteurs, métier qu'il exerce au quotidien.

Bonjour Frédéric. Qu'est-ce que fait un thanatopracteur, précisément ?
Frédéric Nicolas : Le thanatopracteur va faire un soin de conservation sur le défunt en injectant un produit de conservation par voix artérielle qui va désinfecter et conserver le corps. Puis il va effectuer une ponction des liquides biologiques, puisqu'on ne peut pas injecter plus que ce que le corps peut contenir. On intervient partout : au domicile, dans les hôpitaux, maisons de retraite. Le thanatopracteur est l'une des deux professions – avec les marbriers – qui est en contact direct avec le corps ; un conseiller funéraire peut de toute sa carrière ne jamais voir un défunt.

Vous faites peur aux gens quand vous vous présentez ?
Les anecdotes sont très vite sensationnelles, donc je me méfie énormément. La règle de déontologie nous interdit de dire les noms, les conditions dans lesquelles on intervient – personne ne veut lire des détails du corps de son grand-père dans les journaux. Et puis on ne va pas se glorifier de traiter un défunt, on n'est pas des chirurgiens. On est content quand la famille est satisfaite de notre travail, c'est notre objectif. Et à la limite quand on fait appel à nous pour traiter un « VIP », mais on ne raconte pas tous les notables qu'on voit passer. Pour vous répondre, je n'ai pas une réputation sinistre. Vous imaginez bien que dans une soirée attablée on devient vite le centre d'intérêt.

Publicité

Il y a aussi des choses très curieuses, comme les deux collègues qui vont chercher un monsieur mort dans un club échangiste. Le patron avait mis le corps dans un petit salon pour pas que ça gêne la clientèle qui a pu continuer à forniquer.

Comment vous avez eu cette vocation ?
À la base je suis coiffeur. Je suis rentré à l'école de coiffure où j'ai rencontré ma femme. En revenant de l'armée, j'ai fait une ou deux années de salon, ça m'a vite gonflé. Et mon beau-père était thanatopracteur. Alors j'ai essayé ce boulot avec lui et ça m'a plu parce que j'étais fasciné par l'anatomie. Aujourd'hui j'ai 20 ans de métier. Il n'y a pas de fascination pour le mort, moi je travaille pour les gens qui restent. C'est aussi pour cela que je suis rentré au syndicat des thanatopracteurs ; aujourd'hui il y a beaucoup de gens qui se prennent pour des ressusciteurs, ou bien des jeunes qui veulent faire croire que c'est leur vocation.

Des jeunes gothiques ?
On voit de tout. Mais quand on a 18 ans, on ne peut pas « avoir voulu faire ça toute sa vie ». J'ai déjà entendu des gamines de 16 ans qui font appeler leur maman pour nous expliquer que c'est la vocation de leur fille. Déjà passe ton bac et arrête de dire que tu es passionnée par la mort. Il faut une échappatoire quand on fait ce métier. On est des techniciens, il ne faut pas être dans l'émotion ou la peine.

Photo via Flickr

GUILLAUME BAILLY

M. Guillaume Bailly, croque-mort, nous avait raconté quelques perles d'enterrements à l'occasion du livre-compilation qu'il publiait l'année dernière. On en voulait encore.

Publicité

Auriez-vous une histoire exclusive pour les lecteurs de VICE ?
Guillaume Bailly : J'étais jeune porteur, une dame avait demandé qu'on dépose un objet pendant la fermeture du cercueil du défunt. Le moment très solennel arrive, sur quoi le maître de cérémonie me demande de déposer dans le cercueil un objet contenu dans un sac plastique. Et là je sors du sac : une peluche E.T. J'ai gardé mon masque d'impassibilité. Je n'avais que trois mois d'ancienneté, j'avais peur de me rater !

Il faut préciser que vous ne racontez pas que des « histoires drôles ».
Mon livre est vendu au rayon humour, mais il y a des histoires dramatiques. Il y avait ce jeune homme décédé dans un accident de la route, c'est la grand-mère qui s'occupait de tout, les parents étaient trop sous le choc. Les fleurs, les convives : elle gérait tout, jusqu'au bout. Si bien qu'une fois la cérémonie terminée, je l'ai retrouvée toute seule en train de pleurer dans un buisson. Il y a aussi des choses très curieuses, comme les deux collègues qui vont chercher un monsieur mort dans un club échangiste. Le patron avait mis le corps dans un petit salon pour pas que ça gêne la clientèle qui a pu continuer à forniquer.

Quelle est pour vous l'histoire la plus incroyable ?
C'est une question de sensibilité, mais pour moi c'est l'histoire de la dame qui va tous les jours au cimetière au caveau familial. Et le fils de cette dame a disparu depuis des années. Par un concours de circonstances, elle voit sa photo au commissariat du coin et elle apprend qu'il est mort et enterré au carré des indigents ; c'est-à-dire dans l'ancienne fosse commune. En fait, cette dame passait tous les jours devant son fils depuis des années.

Publicité

Finalement ce livre est très logique. Le croque-mort a-t-il toujours eu cette réputation de joyeux drille à côté du travail ?
Le croque-mort c'est Monsieur et Madame Tout-le-monde. D'ailleurs le métier s'est beaucoup féminisé depuis 10 ans – avec les problèmes que ça engendre, car déplacer des masses mortes de 80 à 120 kg c'est moins à portée de bras de femmes. C'est un métier où il faut savoir prendre du recul et couper complètement le soir quand on rentre chez soi. Ce livre a eu un effet cathartique finalement. J'ai bien digéré ces histoires avec le temps, y compris celles qui me faisaient un petit pincement au cœur. Heureusement – sinon on n'a plus qu'à se passer la corde au cou.

Photo via Flickr

BENOÎT DU BOŸS

M. Benoît du Boÿs est passé du séminaire à assistant funéraire. Il ne sait pas encore s'il va devenir conseiller funéraire (autrement dit : croque-mort).

Que vous manque-t-il pour devenir conseiller funéraire ?
Benoît du Boÿs : Je suis assistant funéraire. Je n'ai pas encore passé ma qualification, qui est nécessaire pour exercer le métier de conseiller funéraire. C'est une formation de 96 heures suivie d'un examen devant un jury qui vérifie les aptitudes d'écoute, de même que le côté humain du candidat. On exerce un métier pour lequel n'importe qui peut postuler : j'ai travaillé avec un ancien fleuriste, un ancien banquier…

Ici nous sommes à côté du cimetière du Père Lachaise. Il vous arrive de recevoir des requêtes bizarres, comme de vouloir avoir une place à côté de Jim Morrison ?
On ne peut pas les satisfaire. Les cimetières parisiens intra-muros sont quasiment tous complets ; pour un rachat de concession, c'est complexe. Et les gens ne peuvent transmettre leurs droits sur une sépulture qu'aux descendants directs en filiation par le sang, donc qu'à leurs enfants. Sinon une fois, j'ai eu une demande qui m'a étonnée autant qu'elle m'a attristée. Un fils qui s'était brouillé avec sa mère voulait être seul à l'église pendant sa cérémonie. Il n'y avait que lui, son épouse, un membre de la paroisse et une grande solitude dans cette église du XVIe arrondissement. Toutes les familles ne sont pas « nombreuses ».

À l'inverse, on voit parfois dans les grandes cérémonies une espèce de mondanité ?
Les obsèques à 400 personnes, c'est en effet difficile à gérer. On voit cela dans certains quartiers et milieux : ils ont des budgets élevés mais ne le dépensent pas dans l'essentiel. Ils préfèrent prendre trois maîtres de cérémonie, une décoration énorme… Certains postes de dépense sont obligatoires, mais je trouve ça bête de disproportionner avec beaucoup d'accessoires plutôt que dans un cercueil de bonne qualité.

Vous avez été au séminaire avant de vous reconvertir dans le funéraire ?
J'étais au séminaire pour devenir prêtre et au bout d'un an, j'ai arrêté. Je suis parti à la recherche de quelque chose en lien avec ce que j'avais cherché au séminaire. C'est vrai que j'ai de très bons rapports avec les gens dans ce métier. On voit les gens tels qu'ils sont ; dans le deuil, le masque tombe. C'est vrai que ça se rapproche un peu de la confession. Parce qu'il faut faire tourner la société, on est commercial mais il y a une éthique : il ne faut pas abuser.