Broken Song est un documentaire sur la scène hip-hop irlandaise. Mais ne vous attendez pas à un Spinal Tap avec de grosses harpes pour autant. Claire Dix et Nodlag Houdlihan ont exploré les franges de la scène rap underground de Dublin avec passion et respect. Même la scène où l’on voit deux rappeurs emmitouflés dans leurs joggings se faire tirer les Tarots par un médium allemand pour dresser un bilan de leur consommation d’herbe est filmée avec un sérieux dramatique.
Car à travers les freestyles de joyeux irlandais de 14 ans sur les verrues plantaires, c’est l’histoire de quartiers réduits à néant -et ce bien avant que le Tigre Celtique ne finisse au fond du trou- que les deux réalisatrices retracent. Au delà des personnages que l’on rencontre tout au long du film – Costello le dealer de weed, son protégé GI, l’horrible brute à la voix d’ange Willa– c’est le paysage de Ballymun qui domine. La pire des banlieues de Dublin, un coin qui paraît presque rural à l’écran, mais où on a balancé tous les clodos de la ville dans les années 60 et 70. Ça pourrait faire penser à Easterhouse, ou aux clapiers entourées de verdure de Seacroft, mais Ballymun est vraiment un endroit à part.
Après la projection du film au Festival International du Documentaire de Copenhague, je suis allé voir Nodlag Houdlihan pour lui parler de cette vidéo de rap irlandais où des types emmènent un cheval à un mariage. Et de deux ou trois autres choses.
Noisey : Salut Nodlag. La première chose que je voulais te demander, c’est : pourquoi avoir filmé Broken Song en noir et blanc ? C’est pas un peu lourd ? Un peu trop « prise de position » ?
Nodlag Houdlihan : Ça a été un gros sujet de débat tout au long de la production. Dean, le manager des trois personnages principaux, est originaire de Ballyum. C’est lui qui nous a emmenés dans les endroits où traînent tous ces gars. On s’est pas mal baladés dans le nord de Dublin avec lui, et on a très vite réalisé que le paysage aurait une place importante dans le film. Il faut aussi dire que Claire a été très influencée par Let’s Get Lost, le documentaire sur Chet Baker, qui est intégralement filmé en noir et blanc. On l’a toujours considéré comme une référence.
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Au premier abord, j’ai eu l’impression que Ballymun était un genre de bled en pleine cambrousse. C’est très vert.
Le truc avec Dublin, c’est qu’il y a beaucoup d’espaces verts, même à l’intérieur de la ville. Mais ce sont souvent des terrains en friche, dont plus personne ne s’occupe. C’est généralement lié à la corruption, qui a longtemps gangréné l’urbanisme local. Tu vas parfois trouver un terrain vague avec quelques voitures calcinées en plein milieu d’un quartier pavillonnaire, ce genre de trucs. Les gens sont toujours surpris quand ils viennent à Dublin, parce qu’on sort rapidement du paysage urbain pour entrer dans quelque chose de plus vert – mais on revient très vite à la ville ensuite. On avait envie de montrer ces paysages, c’est quelque chose qu’on avait en tête depuis le début. On savait que ça prendrait une place importante dans le film.
Vous n’avez jamais été tentées d’accentuer le côté comédie ?
Non ! Claire a rencontré les gars et les a entendu rapper, et elle a été vraiment impressionnée par leur style. On a toujours été super admiratives de ce qu’ils faisaient. On a aimé leur honnêteté, leur état d’esprit et la façon dont ils étaient connectés à leur communauté. Le fait qu’ils aient réussi à faire quelque chose à partir de rien en faisait, à notre sens, une histoire qui valait le coup d’être racontée.
La façon dont vous présentez ce gamin, Willa, est assez troublante. On a d’abord l’impression que c’est juste un type un peu mou, un ado attardé, qui a fait quelques conneries. Et puis il y a ce moment où il revient sur ce que le juge a dit à son procès, que sa victime a définitivement perdu le sens du goût, le sens de l’odorat. Tout à coup, on se sent hyper mal.
Je pense que s’il y a bien un truc qu’on a réussi avec ce documentaire, c’est de retourner la tête du spectateur à une ou deux reprises. Willa, vous l’aimez bien, vous voulez qu’il réussisse. Et vient ce moment où vous vous dites : « Il a fait ça » ? Les gamins comme Willa, quand vous les rencontrez, vous les trouvez hyper charmants. Ça rend le truc d’autant plus difficile à gérer. Vous avez du mal à y croire.
Pour quelqu’un qui n’y connait rien, ça ressemble à quoi la scène hip-hop irlandaise en ce moment ?
Il n’y a pas vraiment de grosse scène hip-hop. À Ballymun, il y a cette scène underground qui s’est construite depuis des années et qui commence enfin à faire parler d’elle. Mais il ne s’est rien passé d’important dans le hip-hop irlandais depuis au moins vingt ans. Le seul gros truc en rap irlandais en ce moment, c’est un disque comique.
Je crois que j’ai vu le clip. C’est ce truc où ils emmènent un cheval à un mariage, non ?
Oui !
Il faut reconnaître que c’est assez génial. Merci Nodlag.