Burn, 2015. Photos – Jammi York
Burn a toujours été un élément à part dans le NYHC. Alors qu’à la fin des années 80, les groupes de la scène versaient soit dans le straight edge à outrance, soit dans le metal, Burn n’était à sa place nulle part. Ou plutôt couvrait à la fois les deux domaines avant de carrément donner naissance à un nouveau courant : le post-hardcore. Le groupe n’a jamais ressemblé ni joué comme les autres. Et alors que les lyrics de leurs collègues en short passaient traditionnellement en revue les vicissitudes de la communauté, Burn proposait une furie et un style à l’échelle universelle. Et autant de fulgurance devait forcément produire des étincelles.
Après un long silence radio et une discographie aussi compliquée qu’expéditive (3 EP’s répartis sur 12 ans), Chaka Malik (chanteur) et Gavin Van Vlack (guitariste) ont fait la paix, trouvé deux nouveaux gars et repris les répètes, parés à trôner en tête d’affiche du festival Black N Blue Bowl qui a lieu le week-end prochain à New York. Ce concert ne sera t-il qu’une simple apparition ou une vraie reformation ? C’est ce qu’on verra, mais Gavin et Chaka ne sont pas forcément contre l’idée d’un comeback. Voilà où ils en sont aujourd’hui.
Noisey : Comment vous vous êtes connus ?
Chaka : Robbie Steigerwald, qui jouait dans les N.Y. Hoods avec Gavin, allait dans le même lycée que moi. Je fréquentais sa soeur, Debbie, plus que Robbie finalement. Et puis notre passion pour le graffiti a dû jouer aussi.
Gavin : On avait plein de centres d’intérêts en commun : la musique, le graffiti, le skate… À l’époque, la scène était tellement petite que quand tu croisais un mec branché par tout ça, il y avait de grandes chances que vous vous parliez un jour ou l’autre. Peu importe si tu venais de Manhattan, du Bronx ou de Brooklyn.
Et comment le groupe a pris forme ?
Chaka : J’étais fan d’Absolution, Freddy Alva et moi faisions pression sur Gavin pour qu’il nous file un morceau alors qu’on préparait notre compilation New Breed. Je les avais vu enregistrer en studio, c’était incroyable. Puis Gavin a quitté le groupe. Je ne sais pas s’il s’en souvient mais à l’époque, j’étais réputé pour être bon danseur, et Gavin voulait « créer un groupe autour de moi ». Il ne savait pas encore s’il allait en faire partie. Puis Alan est entré dans l’équation, et ensuite Alex, qui a fini à la basse.
Une fois le line-up fixé, est-ce que vous avez discuté entre vous pour savoir ce que le groupe allait jouer ?
Gavin : Plein de sons me trottaient dans la tête. Un truc que t’entends, t’en tombes dingue et tu cherches un moyen de le matérialiser. On venait en plus de différents courants, même s’il y avait des similitudes pas forcément évidentes entre nous. À un moment, on s’est même retrouvés, Chaka, Alex et moi, en tant que backing band de Sade, tu vois le délire. Il y avait une certaine atmosphère, une texture, une tenue, sans pour autant produire quelque chose de stérile. Tu peux l’entendre dans le jeu d’Alex. Ici et là, il y a des accidents heureux, un pain, d’où sort la magie. Les meilleures trucs que j’ai composé sont sortis de moi comme du vomi.
Chaka : Il sort ça alors qu’on est en train de bouffer. [Rires]
Gavin : Au niveau des sensibilités, on avait tous fait partie d’un groupe hardcore avant ; Alan dans Beyond, j’étais dans Absolution, Alex dans Pressure Release et Chaka était un nouveau venu dans la musique, ce qui représentait en soi une influence, parce qu’il n’avait pas de structure prédéfinie, il pouvait tout inventer.
Burn en répète, 2015.
Et au niveau des lyrics ?
Chaka : J’étais un grand fan de Crucifix, Agnostic Front, Cro-Mags, Supertouch… J’y ai juste ajouté ma touche poétique. Et puis Gavin contribuait beaucoup au début, à hauteur de 40/50 % peut-être, puis il a progressivement arrêté. Et nos derniers textes étaient bien meilleurs d’ailleurs puisque Gavin n’y mettait plus son nez ! [Rires.]
Non mais sérieusement, ce mec est doué. À l’époque, je me souviens que je traversais le pont de Williamsburg, pour aller taguer. Gavin bossait comme videur dans des clubs bizarres à New York où on n’aurait jamais dû se retrouver. Il y avait le Bulding et le MK… Je n’y allais pas souvent mais assez pour voir ce qu’il s’y passait. J”explorais. Williamsburg était un no man’s land. Ce n’était pas Mad Max mais presque. La photo qui est dans notre EP, Alan l’a prise juste à la fenêtre de notre loft, on vivait dans le vieil immeuble Schaefer. Le paysage est très différent aujourd’hui. Manhattan n’a plus rien à voir avec ça non plus. Le hip-hop n’avait pas encore décollé, il n’était pas encore devenu aussi important. Il y avait cet univers weird, où rien n’était défini culturellement. Ce qui est super avec la musique de cette époque c’est qu’elle me fait encore cet effet là.
Pourquoi le nom Burn ?
Chaka : Je crois que c’est Alex qui l’avait trouvé. Il voulait qu’on s’appelle Revolt, mais il y avait déjà un tagger qui avait ce blaze donc on a oublié. Je crois qu’on a aussi failli s’appeler Power Street parce que c’était la rue dans laquelle on répétait.
Gavin : On allait souvent dans cette bodega pour acheter de la canne à sucre, on se posait devant en buvant des bouteilles de Olde English et en bouffant, et une fois, Alex s’est ramené et a proposé Burn. J’ai trouvé ça bien, c’était un seul mot, c’était court et ça allait droit au but. Ca collait.
Le Harlem Hall of Fame : Zephyr, Dondi et Revolt.
La durée d’existence du groupe a été très courte. À quoi tu attribues ça ?
Chaka : Les choses vont et viennent. Puis Alan a été recruté pour rejoindre Quicksand.
Gavin : Je vivais entre Atlanta et Los Angeles. J’ai essayé de monter un groupe là-bas mais ça n’a pas marché, je ne ressentais rien. Ou plutôt je sentais que ça allait me mener nulle part. Mon jeu de guitare était à la fois bizarre, riche et minimaliste, et les mecs avec qui je jouais faisaient du Bad Religion. J’appréciais, hein, mais je ne voulais pas me retrouver dans ce genre de groupe. Donc je suis revenu sur la Côte Est. Pour moi, c’était un moyen de détourner ma tension et ma rage.
Vous avez juste eu le temps de sortir un EP sur Revelation Records.
Chaka : Quicksand avaient déjà commencé à bosser avec le label, Alan a dit à Jordan (Cooper) qu’il jouait dans un autre groupe, Burn, et Jordan lui a alors répondu « ok, on le fait – combien vous avez de morceaux ? » Et ça s’est fait comme ça. On avait des chansons mais certaines nécessitaient de « vrais » textes. Il fallait les consolider.
Gavin : Notre premier disque consistait surtout en une poignée de morceaux disséminés ici et là rassemblés sur un EP. « Shall Be Judged » était déjà écrite, mais il manquait les lyrics de « Drown » par exemple.
Chaka : Gavin a écrit les deux autres titres, direct, dont « Godhead ». Il y a eu beaucoup de versions de cette chanson. Je crois même que Absolution s’en servaient en guise d’intro. On a réalisé que si on voulait partager notre musique, on aurait probablement besoin de quelques standards, comme la manière de chanter par exemple. C’était une période compliquée pour moi, je bossais dur là-dessus et Don Fury a fait un super boulot de production au niveau de la voix sur ce premier EP, je le remercie pour ça. Aujourd’hui, les gens se posent des questions (sur ma voix). Ils sont là : « ma meuf va écouter ça, tu dois chanter mieux que ça » [Rires.] Quand tu ne te prends pas un coup dans la face ou un pied de micro, tu te dois de chanter correctement.
Il y a eu un gros laps de temps entre cette session et la sortie de Cleanse.
Gavin : 10 ans séparent notre premier disque du troisième.
Vous avez déjà ressenti de la pression de la part des fans ou d’autres personnes pour en faire plus avec le groupe ?
Chaka : Oui et non. Il y avait vraiment des champions autour de nous. Il y avait des types qui étaient pressés de partager ce qu’on faisait à plus de gens. Je crois que nos concerts avaient vraiment un truc spécial, et la taille de notre discographie avait tout de suite moins d’importance en live. On avait un état d’esprit différent.
Chaka Malik, premier sur les maillots de cyclisme dès 1990.
Gavin : Et puis, c’est dur de rester dans un groupe quand quelqu’un aime autant la confrontation et se comporte comme un connard. Entre Alan et moi, les engueulades sont entrées dans la légende… on se balançait même du matos à la gueule. Je suis un type passionné quand on parle de songwriting. Je veux tout le temps refaire des prises, encore et encore. Il y a des jeunes qui sont juste là pour faire de la musique, et moi je répète et je répète. Ca rend les gens fous. Je ne me suis pas facilité la tâche avec ce caractère. J’ai un égo surdimensionné, et très peu d’estime de moi-même [rires]. J’ai mis du temps avant de lâcher du lest et d’arrêter de me prendre autant au sérieux. On ne s’est pas parlé pendant des années avec Chaka à cause de ça. Je ne jouais plus. Le monde a une manière amusante de te dire que, si tu abimes tes jouets, il finira par te les reprendre. C’est ce qui s’est passé.
Chaka : Regarde le mariage par exemple… Tout se passe bien et puis au bout d’un moment, tu vas être là, « Heu, tu peux arrêter de faire ça ?! »
Gavin : « Je t’aime… maintenant, change ! »
Burn à leur époque Soul Train.
Si Burn a un hit, c’est bien « Shall Be Judged ». Pourquoi autant de gens se retrouvent dans ce morceau d’après vous ?
Gavin : Chaka a cité Crucifix, il y a également Discharge. Je crois qu’on était le premier groupe avec une dégaine hardcore à jouer ce style. Ces groupes sont géniaux, mais je crois que beaucoup de gens s’en tiennent éloignés à cause de leurs looks. On sent tellement l’urgence en les écoutant. Comme notre premier EP, qui se défend bien je pense.
Chaka : Si t’es dans un délire dark, gueuler « shall be judged » est super. Et si t’es végétarien, tu captes et tu te dis que c’est encore mieux. Quand on l’a écrit, on évoquait surtout le fait d’être végétarien, et aujourd’hui, à l’heure des OGM, tout le monde est forcé de réfléchir à ça. C’est comme si tu demandais « qu’est ce que tu manges, quel aspect sociétal ça revêt et pourquoi ? ». Je crois que c’est pour cette raison que beaucoup de gens se sentent concernés par ce morceau, comme nous à l’époque.
Est-ce que Burn avait une cause à défendre ou une mission spécifique ?
Chaka : Je ne fumais pas et ne buvais pas depuis des années, mais je ne considérais pas le groupe comme un quelconque porte-étendard.
Gavin : Quand tu te définis avec ce genre de termes, tu te fermes à une majorité d’autres gens. J’ai reçu un tas d’emails depuis qu’on a annoncé notre concert de reformation, de types me disant à quel point Burn a été important pour eux. C’est vraiment énorme et ça ne nécessite pas d’autre explication. Je sais, pour cause, qu’un jour, des gamins ont entendu la démo des Cro-Mags et qu’elle leur a donné des forces pour rester vivant.
Chaka : Moi ! J’en fais partie.
Gavin : La musique sauve des vies. C’est ça la chose la plus importante.
Le son de Burn était très atypique comparé au NYHC habituel. Vous avez été tentés de vous diversifier pour élargir votre public ?
Gavin : Des gens ont tenté à plusieurs époques de nous diversifier. Comme ce concert qu’on avait fait avec Boogie Down Productions…
Chaka : Ca c’était un peu différent. C’était un concert organisé par Roree [Krevolin], une alliance positive de nos deux cultures. C’était à la fois unique et incroyable.
Gavin : Ouais c’était super, et je me souviens aussi de la fois où on a joué avec Body Count… très amusant. C’était la première fois que Rage Against The Machine jouait à New York. Body Count se comportaient comme ils pensaient qu’un groupe de hardcore devait se comporter. L’ambiance était très bizarre. Je crois aussi que beaucoup de bookeurs étaient inquiets du public que drainait Burn.
Mais Burn avait pourtant un public très varié, même au sein de la scène hardcore.
Chaka : On avait une certaine liberté, qui allait de pair avec l’expérience de Gavin. Alan était un super musicien, Alex était une personne fascinante aussi… Il y avait toute une culture autour de ça. Peut-être que le fait d’être noir en faisait partie, comme tout le reste. Je pense que ça allait au-delà de la simple nouveauté.
Gavin : Tous ces gamins étaient dans pleins de trucs à la fois. Comme on l’a dit avant, le skate, le tag…
Chaka : Le hip-hop.
Gavin : Yep, et ça a dégagé de nouveaux horizons pour plein de gosses.
Un peu comme Blondie et Fab 5 Freddy.
Chaka : Ouais, on n’en était pas loin. Il y avait déjà un melting-pot culturel, mais je crois qu’on l’a présenté d’une certaine façon, et ça a permis aux gens de l’accepter plus facilement. Et puis l’« uniforme » hardcore était sur le déclin. À l’époque, tu pouvais dire qui était un hardcore kid rien qu’en matant le style de sa veste. Aujourd’hui, ce n’est plus possible.
Chaka Malik et Gavin Van Vlack en 2015.
Y’a qui maintenant dans le groupe, à part vous deux ?
Gavin : Manny Carrero qui jouait déjà de la basse sur le EP Cleanse, et Durijah Lang à la batterie. Ils sont à l’aise, c’est cool. Ce sont des musiciens confirmés, mais ils viennent du même environnement que nous, des pros qui viennent de notre scène. On a commencé à jouer ensemble il y a quelques jours. Chaka est arrivé et a dit : « on ne répète pas, on joue, tout simplement ». Ca a dégagé toute la tension.
Chaka : Voilà le truc, j’ai vu des vidéos de Burn sur YouTube où j’improvise et où Gavin improvise et c’est chouette, mais perso, je veux entendre les disques. C’est ce vers quoi on se dirige, se rappeler de la raison pour laquelle on a créé ces morceaux au départ. Les répétitions sonnent bien mieux que ce que j’ai pu trouver de nous sur YouTube.
Vous avez déjà réfléchi à ce qui pourrait se passer après ce premier concert ?
Gavin : J’ai une fâcheuse tendance à trop me projeter, et à envisager des tas de choses pour le futur, et vu l’effet que l’annonce du concert a eu sur les gens, je veux juste qu’il tienne ses promesses et on se laissera ensuite guider par les fans. On est déjà bénis de pouvoir le faire. Est-ce qu’il y en aura d’autres ? J’espère.
Chaka : Je ne suis pas contre, mais pour l’instant, je veux simplement me concentrer sur celui-là.
Gavin : J’envisage ça d’une manière complètement différente. Tout est tellement instantané aujourd’hui, tu peux accéder à tout, tout de suite. Je ne veux pas passer pour un prétentieux mais il y avait un savoir-faire derrière le songwriting et les performances de Burn, et c’est ce qui nous démarquait des autres groupes. On composait nos morceaux différemment des autres. De notre façon de nous sapper jusqu’à notre conscience sociale, on avait notre propre recette.
Chaka : Et le hardcore en lui-même te laisse exprimer des émotions et des sentiments qui ne sont pas forcément communicables ou accessibles ailleurs.
Gavin : Tout ça c’est de la catharsis, à la fois pour le groupe et pour le public. Pour certains, ce sera leur premier concert de Burn… peut-être même leur premier concert hardcore, et je ne veux pas les laisser de côté.
Chaka : Je veux que tous les gens qui seront là puissent s’en rappeler, qu’ils repartent avec quelque chose.
Ok, je dois vous poser cette question : beaucoup de gens rattachent (reprochent ?) à Chaka le style de danse de type kung-fu qui est devenu un lieu commun des concerts hardcore depuis le début des années 90. Un mot là-dessus ?
Chaka : Premièrement, je kiffais la musique avant tout, et il y avait plusieurs très bons danseurs dans la scène. Mike Boyer en faisait partie et était un slammeur fascinant.
Gavin : Carl Mosher avait un style proche du génie.
Chaka : Je ne sais même pas d’où ça vient. Peut-être que j’étais possédé. Notre pote Ajay James était bon aussi.
Gavin : En 1987, Ajay a même dansé pour Eric B. & Rakim, il faisait aussi des arts martiaux.
Chaka : Il y avait Joey Rodriguez, Fern… J’adorais vraiment le stage-diving, et le fait d’être créatif sur le dancefloor. Je me souviens d’un concert de Supertouch au City Gardens, j’ai commencé à danser, je ne bousculais personne, puis j’ai levé les yeux et je me suis aperçu que tous les gens autour de moi me regardaient, alors j’ai arrêté.
Gavin : Mark Ryan était un bon danseur.
Chaka : Mark Ryan avait un bon style.
Gavin : Très ample.
Chaka : Différent… Il était capable de plein de trucs… Faire des trucs différents, c’ets ce qui me bottait. Je n’étais pas le breakdancer de mon quartier ou un truc du style.
Tu ne faisais aucun mouv’ traditionnel de New York.
Gavin : Le picking up change.
Le Gorilla !
Gavin : Le Gorilla !
Chaka : J’atais surtout branché par le slam. Quand tu mates des vieilles vidéos de concerts punk, tout le monde slamme. C’était new wave, mais c’était aussi punk. Mon père ramenait des numéros du magazine Interview à la maison, et un jour, il y avait un article sur le slam dancing. J’avais trouvé ça génial. C’était déviant et libre à la fois.
Gavin : Dans mes souvenirs, peu de gens pratiquaient vraiment les arts martiaux à l’époque. Il y avait ce gars, Modrick, que j’ai vu une foire faire un coup de pied retourné. Peut-être que c’était sa faute.
Burn jouera au festival Black N Blue Bowl 2015 samedi 16 mai pour les chanceux qui y seront.
Howie Abrams a joué dans Extra Hot Sauce, auteurs de l’album Taco of Death en 1988. Il est sur Twitter.
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