soirée after Paris
Illustration : Marie Reyes
Life

Ennui et K-hole : récit d'un after parisien en appart'

Se retrouver avec les mêmes gens à la fin d'une soirée permet-il de débloquer quelques non-dits, ou cela ne fait-il que rejouer les mêmes codes d'une certaine reproduction sociale ?
Marc-Aurèle Baly
Paris, FR
MR
illustrations Marie Reyes

Cet article fait partie de notre série « Afters », dans laquelle on s’interroge sur la capacité de l’après-fête à représenter une nouvelle quête d’intensité ou un simple prolongement de la fête. On vous propose ainsi des récits, analyses, interviews ainsi que guides de survie pour pouvoir vous y retrouver.

Je me souviens d’une soirée en appart rue du Faubourg-du-Temple, pile entre Goncourt et Belleville, à Paris. Il doit y avoir une dizaine de personnes à tout casser, et tout le monde a prévu d’aller à la Java après, c’est juste à côté. Ça fait maintenant un bout de temps que je suis affalé sur le canapé, avec une sensation de mollesse dans le corps, mêlée à un léger sentiment de découragement typique de début de soirée. En général, en before, il y a toujours un moment où je me demande si j’ai vraiment envie de sortir me la coller, ou si je ne préfèrerais pas plutôt rentrer chez moi regarder une série et me coucher. Mais il y a toujours cette peur de rater quelque chose de vaguement « grandiose » qui prend le dessus. Quelqu’un propose des traces, et après m’être déchauffé, je m’éclaircis la gorge et demande impatiemment « quand est-ce qu’on va enfin bouger ».

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Maxime me regarde, un peu incrédule, et me demande prudemment, comme si je lui tendais une perche pour me foutre de sa gueule après : « Bouger où ? ». « Ben, en club. » J’ai l’impression que ces before prennent toujours des plombes, personne ne se décide vraiment, c’est à croire qu’aucun de nous n’a vraiment envie de sortir mais personne n’ose vraiment le dire. « T’es con ou quoi ? On était à la Java toute la nuit. Antoine a gerbé partout, tu t’es même foutu de sa gueule. Tu te rappelles pas ? » Je le regarde un peu comme un idiot, sans vraiment comprendre. J’ai la pâteuse. Je regarde par la fenêtre, il fait presque jour, la lumière est timide. Autour de moi, personne ne fait vraiment gaffe aux autres, tout le monde a une gueule de déterré.

Je réalise alors qu’on est en after, pas en before. Il a bien dû se passer une douzaine d’heures depuis que je me suis assis là, et pourtant je n’ai rien vu venir. Le truc, c’est que j’ai aspiré de la kétamine à dose de cheval en début de soirée, et que je suis actuellement en train de sortir d’un K-hole de champion. Et si j’ai pu m’induire en erreur quant à la temporalité de l’événement, au-delà de ma défonce carabinée, c’est que tout est exactement à la même place qu’au début. Occupé à observer les festivités plus qu’à y participer, autour de moi, à de rares exceptions près, rien n’a bougé.

La cheminée est toujours là, plantée près de la fenêtre de ce deux-pièces qui ressemble à tant de studios de vingtenaires parisiens en coloc, avec l’affiche d’une expo du Palais de Tokyo accrochée à même le mur et la plante verte de rigueur près de la fenêtre. Il n’y a pas de télé, des enceintes bluetooth pourries, une paire de grinders et un miroir tout poudré sur la table sur laquelle sont posées pas mal de cartes bleues – il y aurait de quoi faire une razzia. Bref, toute la panoplie de la vraie/fausse précarité, celle des gens qui bossent dans les industries créatives ou qui végètent dans des études interminables.

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« Juste pour le plaisir d’être un party pooper, je fais remarquer que le vinyle qu’on vient de poser sur la platine, ça n’est pas de l’italo disco, mais plutôt de la house italienne. Personne ne relève »

Pourtant, la locataire des lieux ne joue pas exactement dans la ligue des chiens de la casse. Une connasse d’anglaise qui s’appelle Gemma et qui habitait rue de Lappes (sérieusement, qui a envie d'habiter rue de Lappes ?) avant d’opter pour Belleville, quartier qu’on lui a décrit comme plus « authentique ». Le genre de meuf à qui tu poses une question, et qui prend bien le soin de laisser un blanc de quelques secondes avant de ne pas te répondre. Elle me propose quand même un para de MD pour me requinquer, que je gobe sans me faire prier.

Autour d’elle, il y a des meufs jolies, d'autres moins, un ou deux tocards et quelques simili zazous. La vérité, c’est qu’il y a surtout des gens qui se ressemblent un peu tous. Un défilé de prototypes ourlés, chemise dans le pantalon et boucle d’oreille sur le côté, qui écoutent la bonne musique, vont voir les bons films, sont tatoués au bon endroit.

Pas mal jouent plus ou moins dans un groupe, d’ailleurs ça commence à discuter matos et pédales d’effet, j’ai l’impression d’être sur un forum d’audiofanzine. Quelqu’un met « Welcome To Paradise », la nouvelle compilation de raretés italiennes de Young Marco – on est alors au grand moment du revival italo disco à Paris. Juste pour le plaisir d’être un party pooper, je fais remarquer que le vinyle qu’on vient de poser sur la platine, ça n’est pas de l’italo disco, mais plutôt de la house italienne. Personne ne relève.

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Une fille vient se poser par terre en face de moi, tandis que son mec qui l’accompagne s’assied sur le canapé. Il n’arrête pas de parler, c’est infernal. Il a visiblement pris beaucoup de coke. Vu qu'il n’écoute pas les réponses de son interlocuteur (moi), je me contente d’hocher mollement de la tête. Je pourrais lui dire que j’ai chié dans sa boite aux lettres, ça reviendrait au même. J’en viens à mépriser cet individu que je ne connais pas, cette grosse meringue d’école de commerce tout juste sortie du four, et me surprends à pratiquer moi-même ce petit jeu d’exclusion sociale que j’abhorre d’ordinaire. Je me demande s’il sait que j’ai envie de coucher avec sa meuf.

Le dénommé Gaspard me file une trace de C, et là je commence sérieusement à être imbuvable. Après avoir fanfaronné et m’être étalé sur des sujets de société que je ne maitrise absolument pas, je passe en revue toutes les idées qui me passent par la tête et que j’imagine être contraires aux siennes, dans le but non avoué de retenir l’attention de la copine restée à terre. Et qui regarde ailleurs.

L’ami Gaspard ne mord pas à l’hameçon-trolling et préfère s'éloigner. Sa meuf s’assied à côté de moi. Elle se révèle adorable – ou alors c’est simplement la MDMA qui monte. Quoiqu’il en soit, l’effet combiné des stimulants, empathogènes, et du reste de psychédélique dissociatif suscité qui doit encore se trouver quelque part dans mon organisme, donne un autre tour à cette soirée, que je commence à trouver tout à fait charmante. Ma voisine me parle de manière douce, presque précautionneuse, comme pour désamorcer d’avance mes mécanismes de défense. Elle s’occupe de la com’ d’une galerie quelconque, je lui demande comment elle a rencontré son mec. « En soirée », me répond-elle en faisant deux traces parfaitement régulières et alignées, à l’opposé des poutres informes que je peux parfois démouler.

Il doit être midi, quelqu’un a jugé bon de commander à nouveau. On n’y croyait plus, mais un dealer a fini par répondre. Je propose d’aller retirer avec machine, que je suis d’un pas enjoué dans les escaliers.

Dehors, elle se rend compte qu’elle a oublié sa carte bleue. Je propose de l’avancer, ce qu’elle accepte après quelques refus et insistances polis. Pour une raison qui m'échappe, cette parade nuptiale-sociale me fait redescendre d'un coup. Une jeune mère de famille passe à côté de nous avec un enfant. Elle doit avoir à peu près le même âge que nous, mais on sent qu’un monde nous sépare, ne serait-ce que dans la manière assurée qu’elle a de manœuvrer son gosse. En haut, de retour à l’appartement, tout est à sa place, bien mis, propret dans la déglingue. Rien ne dépasse de cet ennui poli, et il n’y a guère plus que la lumière blafarde du jour pour mettre en joue cette somme d’individualités désengagées.

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