Drogue

Pourquoi la kétamine provoque-t-elle des vertiges et quand faut-il s’inquiéter ?

Savoir reconnaître les signes d’une overdose potentielle peut toujours être utile.
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ILLUSTRATION : ERIC BUBAS

Amir est un jeune homme âgé de 26 ans qui bosse dans la tech. Au début de l’année, il s’est rendu dans un entrepôt à Brooklyn pour acheter de la kétamine à son dealer habituel. Mais après une seule prise, il a commencé à ressentir des vertiges inhabituels. La pièce ne se contentait pas de tourner – comme c’était parfois le cas lorsqu’il était sous K –, elle faisait carrément des sauts périlleux, raconte-t-il à VICE. Amir ne se souvient pas vraiment de ce qu’il s’est passé ensuite, si ce n’est qu’il s’est mis à vomir et à éprouver des difficultés à respirer avant de sombrer peu à peu dans un état proche de l’inconscience.

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D’après Amir, son dealer lui aurait refilé un truc qui ne contenait pas uniquement de la kétamine. Il ajoute que s’il a ignoré les premiers signes d’une overdose potentielle, c’est parce qu’en règle générale, il se sent toujours assez nauséeux dès qu’il consomme cette substance. Mais que peut-on considérer comme des sensations de vertige « normales » sous K et pourquoi est-ce que ce phénomène se produit ?

La kétamine est un antagoniste des récepteurs NMDA, une drogue qui perturbe le flux normal d’informations dans le cerveau, entraînant des sensations de dissociation et même des hallucinations, en même temps qu’elle soulage la douleur. Créée dans un laboratoire de Détroit dans les années 1950, elle a été largement utilisée au cours des décennies suivantes comme anesthésique dans le milieu vétérinaire – c’est pourquoi vous avez peut-être déjà entendu parler de la kétamine comme d’un « tranquillisant pour chevaux », même si elle est plus couramment utilisée pour les chats et les chiens. En tant qu’anesthésique, la kétamine est également utilisée par voie intraveineuse chez les adultes et les enfants.

Cette sensation d’anesthésie que procure la kétamine est assez similaire à celle de tomber dans un trou – raison pour laquelle certaines personnes parlent de « k-hole » pour qualifier un bad trip. Mais la kétamine peut aussi provoquer des sentiments d’euphorie : ça pourrait être dû au fait qu’elle active d’autres neurotransmetteurs dans le cerveau, comme la norépinéphrine, qui aide à la concentration et booste le niveau d’énergie. Voilà donc pourquoi la kétamine, principalement utilisée comme tranquillisant, peut également vous tenir éveillé·e pendant des heures (bien que ses effets les plus puissants durent en moyenne entre trente minutes et une heure).

Ces dernières années, la kétamine a aussi fait beaucoup de bruit dans le domaine de la santé mentale. Elle a été présentée et commercialisée comme une alternative aux antidépresseurs traditionnels afin de traiter l’anxiété et la dépression sévère. Cela dit, on ne sait pas encore exactement pourquoi elle est à ce point efficace. Les récepteurs NMDA que la kétamine bloque dans le cerveau sont en fait des récepteurs du glutamate, responsables de la modération de la transmission synaptique dans le système nerveux central. Grâce à un mécanisme complexe que nous ne connaissons pas encore, la kétamine va réduire la libération de glutamate dans certaines zones et l’augmenter dans d’autres, ce qui peut contribuer à la création de nouvelles connexions dans le cerveau. Comme des niveaux anormaux de glutamate ont été associés à la dépression, la capacité de la kétamine à modifier les niveaux de glutamate pourrait également expliquer pourquoi elle est capable de traiter la dépression sévère plus efficacement que les ISRS, qui se concentrent uniquement sur la sérotonine.

Mais alors pourquoi la kétamine donne-t-elle des vertiges et des nausées ? Selon Tom Britton, directeur général de l’American Addictions Center, la kétamine modifie le système gamma, qui s’étend à l’ensemble du corps. Sam Zand, un psychiatre qui traite des patient·es souffrant d’addiction et dirige une entreprise spécialisée dans la thérapie à la kétamine, explique que la kétamine interagit également avec l’intestin, qui est lié au mécanisme d’équilibre de notre cerveau : « en milieu clinique, il arrive que les patient·es reçoivent de l’ondansétron, un médicament anti-nauséeux couramment vendu sous le nom de Zofran, 30 minutes avant l’injection de kétamine. Mais dans la plupart des cas, les vertiges induits par la kétamine sont gérables. »

Ensuite, il y a le fentanyl. Dans le cas de la kétamine utilisée à des fins récréatives, il est impossible de déterminer dans quelle mesure elle peut contenir du fentanyl ou non. Mais il est intéressant de noter que « dans un cadre médical, la kétamine et le fentanyl sont utilisés conjointement et en toute sécurité, car leurs effets sont complémentaires », explique Steve Yun, anesthésiste diplômé. Ensemble, ces produits permettent une meilleure anesthésie et une meilleure sédation. En effet, des études ont prouvé que combiner de la kétamine et du fentanyl est plus sûr que de nombreux anesthésiques généraux. Ces derniers peuvent ralentir la respiration, ce qui n’est pas le cas de la kétamine. « Le problème quand on prend de la kétamine dans le cadre récréatif, c’est qu’il est impossible de savoir ce qu’on a réellement entre les mains », explique Yun. « Vous ne pouvez absolument pas le deviner ».

La kétamine peut certes provoquer des vertiges, mais ça ne doit jamais être au point de vous faire vomir. Si c’est le cas, ça peut être dû à la présence d’un opioïde. La seule façon d’éviter ça, c’est de toujours tester vos drogues. Lorsque vous êtes sûr·e qu’il n’y a pas de fentanyl dans votre stock, vous pouvez prendre un médoc anti-nausées, comme le Zofran, environ une heure avant la prise. Ça devrait vous éviter les pires sensations de vertige. Et si vous n’avez pas testé vos drogues, surveillez les signes avant-coureurs d’une potentielle overdose, comme les vomissements ou l’impossibilité de respirer – des symptômes qui se produisent presque immédiatement en cas d’overdose. Surtout, ne prenez jamais de kétamine seul·e.

Lorsqu’Amir a failli faire une overdose à l’entrepôt de Brooklyn, son ami l’a amené devant une poubelle où il a vomi dans un sac plastique. Quand il a finalement retrouvé ses esprits, un agent de sécurité les a mis à la porte en engueulant son pote pour qu’il embarque le sac à vomi. Au mieux, on peut considérer ça comme une situation humiliante. Au pire, comme une expérience de mort imminente. « J’ai pris beaucoup de drogues différentes, y compris de la kétamine, et je ne me suis jamais senti aussi désorienté et impuissant qu’à ce moment-là, raconte Amir à VICE. Je ne vais certainement pas recommencer avant un petit moment ».

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