Des voitures abandonnées sont photographiées sur un pont détruit alors que les gens fuient la ville d'Irpin
Des voitures abandonnées sont photographiées sur un pont détruit alors que les gens fuient la ville d'Irpin, à l'ouest de Kyiv, le 7 mars 2022. ARIS MESSINIS / AFP
Crime

On a discuté avec des Français partis se battre en Ukraine

« Je sais que ma fille de 14 ans sera fière de moi. »

Dimanche 27 février. L'annonce du président ukrainien Volodymyr Zelenskyy quant à la création d'une légion internationale de volontaires pour aider l’Ukraine n'est pas passée inaperçue. Quelques heures à peine après qu'il ait invité tous les Européens voulant prendre les armes à venir le rejoindre, de nombreux Français ont commencé à s'organiser pour se rendre dans les rangs de l'armée ukrainienne. 

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Une semaine après l'annonce du président, 20 000 volontaires venant de 52 pays seraient sur le point de rejoindre les rangs de l'armée ukrainienne, selon le Ministre des affaires étrangères, Dmytro Kuleba. Certains d'entre eux n'ont aucune expérience militaire et n’ont jamais tenu une arme. Sur les réseaux sociaux, des groupes Facebook rassemblent des milliers de candidats au départ. Difficile de savoir combien tenteront effectivement d'aller prendre les armes pour se battre. Mais quelques dizaines de volontaires seraient déjà sur place avec la ferme intention de se battre, comme le rapporte le média ukrainien Kyiv Independant.

En France, sur les messageries cryptées type Discord ou Telegram, les messages affluent en permanence pour organiser les convois qui partiront de toutes les régions. Conseils d’experts, organisation de voyages en groupe, formalités administratives, ces groupes sont très fournis. C'est via ces messageries que nous avons pu nous entretenir avec ces prétendants au départ, pour la plupart tous sur place depuis nos discussions. Lycéen, ancien flic du 93 ou membre de la légion étrangère, ils nous en disent un peu plus sur leurs motivations.

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Un groupe Discord sur lequel des Français s'organisent et se donnent des conseils avant leur départ.

Un groupe Discord sur lequel des Français s'organisent et se donnent des conseils avant leur départ.

Djamal, 37 ans, chauffeur poids lourds algérien, résident en France depuis 10 ans

VICE : Où êtes-vous en ce moment ?
Djamal :
Je viens d'entrer sur le territoire ukrainien pour me battre. 

Pourquoi y-êtes-vous allé si vite ? 
J'y suis allé avant tout pour retrouver ma copine à Kyiv qui ne me donne plus de nouvelles depuis trois jours. Le président à fait son annonce dimanche et lundi matin j'étais en route pour Paris où j'ai rejoint des amis motivés pour partir avec moi. Une fois que je l'aurais retrouvé et mise en sécurité je veux faire du nettoyage... vous voyez ce que je veux dire ? 

Vous avez l'air très déterminé.
Je vous le dis honnêtement, je n’aime pas les Russes, ils vont jusqu'à nous menacer de la bombe nucléaire. Je sais dans quoi je m'embarque, j'ai fait la guerre en Algérie, ce n'est pas un jeu, tu pleures à la guerre. 

Avec qui êtes-vous allé en Ukraine ?
C'était hors de question qu'on parte avec des gens inexpérimentés, alors on est parti qu'entre anciens soldats de l'armée algérienne ou française. On est une vingtaine en tout. Comme on ne savait pas exactement comment on allait être reçu à la frontière on y est allé incognito en prenant beaucoup de médicaments et d'eau comme si on allait faire de l'humanitaire.

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Hugo, 22 ans, lycéen en terminal

VICE : Avez-vous une expérience de la guerre ?
Hugo :
J'ai fait ma formation à l'armée de terre dans un régiment du génie en 2019 puis j'ai quitté l'armée car j'avais des problèmes de santé. Je n'ai donc pas d’expérience de combat mais je me sens près à partir. 

Quel est votre état d'esprit à quelques jours du départ ?
J'ai à la fois hâte d'aider les gens, mais aussi un peu peur. Ce n'est pas une décision facile à prendre, car je dois laisser tomber mes études. En fonction du temps que je passerai là-bas, je perdrai peut être une année car je suis supposé passer le bac au printemps. En tout cas, je ne pouvais pas rester à regarder ça en spectateur à la télévision et voir la situation se détériorer. Toute ma famille est au courant, évidemment ils ont essayé de me dissuader de partir mais j'irai qu'ils le veuillent ou non. 

« Moi, je n'ai même pas de passeport, mais à l'ambassade ils m'ont dit qu'avec une carte d'identité ça passait mais je ne suis pas sûr »

Comment vous-êtes vous organisé ?
J'ai créé un groupe sur les réseaux sociaux et très rapidement énormément de gens étaient intéressés et me demandaient des renseignements. On voulait partir le plus vite possible, mais on a dû reporter de plusieurs jours notre départ. Plusieurs personnes qui devaient nous accompagner avec leur véhicule ont changé d'avis, donc on s'est retrouvé sans moyen de transport pour tout le monde. Finalement, on sera une quinzaine pour ce convoi. 

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Vous pensez passer la frontière facilement ?
Je pense que traverser la frontière ne se fera pas sans encombre. Certains ont essayé de la passer dans une ambulance avant que le président ne décide de créer la brigade internationale, mais ça n'a pas marché. D'autres ont dû abandonner leur voiture car les routes étaient complètement détruites. J’espère juste que les Ukrainiens se sont suffisamment organisés, car si on arrive là-bas et que rien n'est prévu ça sera compliqué. Pour le moment, on est dans le flou. Moi, je n'ai même pas de passeport, mais à l'ambassade ils m'ont dit qu'avec une carte d'identité ça passait mais je ne suis pas sûr. On y va avec le maximum de matériel et de vivre pour qu'on soit le plus préparé si l'arrivée en Ukraine est compliquée. 

Un groupe Discord sur lequel des Français s'organisent et se donnent des conseils avant leur départ.

Un groupe Discord sur lequel des Français s'organisent et se donnent des conseils avant leur départ.

Fred*, 49 ans, chauffeur poids lourd, ancien membre de la Légion étrangère

VICE : Quand comptez-vous partir ?
Fred :
Des amis sont déjà partis avec un convoi de 7 voitures le lendemain de l'annonce du président ukrainien. Moi je vais prendre le train dans une semaine, le temps de me préparer et de poser ma démission. Ça ne me dérange pas d'être sans ressources car je suis divorcé alors je m'en fout de l'argent. 

Pourquoi partez-vous vous battre ?
On part se battre pour la liberté. En plus, pour un président qui tient tête à Poutine et qui a des couilles, franchement j'adore. Si on ne se bat pas maintenant, Poutine va continuer d'envahir des pays. Les prochains sur sa liste ce sont les Moldaves et les Géorgiens. Il va continuer de tuer des innocents. Ce ne sont pas les quelques armes qu'on envoie qui vont arrêter ce dictateur. Ce n'est pas la première fois que je veux me battre pour mes idées, j'ai voulu aller en Syrie rejoindre les Kurdes qui combattent Daech mais je me suis fait refouler. Y'a un truc que j'ai appris à la légion c'est « marche ou crève ». 

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« Je suis assez calme à l'idée de partir, j'évite de trop penser, je ne cherche pas à comprendre, on a été entraîné pour ça, on a un objectif et il faut le remplir, c'est tout »

Comment avez-vous fait pour rejoindre la légion internationale ?
J'ai rempli un dossier auprès de l'ambassade ukrainienne pour s'enrôler directement dans leur armée. Je leur ai donné mon casier judiciaire et le détail de mes expériences de combat. Un ami va me donner des surplus militaires. Les armes et les munitions, c'est l'armée ukrainienne qui va nous les fournir. On est une vingtaine d'anciens légionnaires à partir ensemble en train jusqu'à Varsovie puis en bus. On a tous une expérience des combats, moi j'ai fait la guerre du golfe. C'était important de partir avec des gens de confiance car beaucoup de volontaires français ne se rendent pas compte de ce qui les attend là-bas. On a du faire un tri pour notre groupe, on ne voulait pas de jeunes qui ne savent que jouer à Call of duty. Au premier bombardement et à la première balle qui va siffler à leur oreille ils vont se barrer, c'est dangereux d'être avec des gens comme ça. 

Comment on se sent avant de prendre part à une guerre ?
Je suis assez calme à l'idée de partir, j'évite de trop penser, je ne cherche pas à comprendre, on a été entraîné pour ça, on a un objectif et il faut le remplir, c'est tout. Je resterai là-bas tant que je serai en vie et que la guerre continuera. Ça peut prendre des semaines, des années, qu'importe. On sait très bien qu'on risque notre vie. 

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Vos proches sont-ils au courant ?
Pour le moment je n'ai rien dit à mes proches mais je sais que ma fille de 14 ans sera fière de moi. Je leur dirai uniquement quand je serai arrivé à la frontière. 

Un groupe Discord sur lequel des Français s'organisent et se donnent des conseils avant leur départ.

Un groupe Discord sur lequel des Français s'organisent et se donnent des conseils avant leur départ.

Benoît,  32 ans, restaurateur et ancien policier 

VICE : Pourquoi avoir pris la décision de partir ?
Benoît :
Franchement, dès le premier jour de la guerre j'ai pensé aller prêter main forte. Il a un pète au casque le garçon quand même, on ne peut pas continuer à rester chez soi en se disant que c'est trop dangereux, il faut agir. Si on part c'est parce qu'on veut aider les Ukrainiens avant que ça arrive chez nous. Un conflit avec la Russie ça nous pend à la tronche. J'étais dans la police donc je sais manier l'arme. Je ne suis jamais allé sur une zone de conflit mais j'étais flic dans le 93, donc je sais ce que c'est. J'avais choisi ce job pour l'adrénaline mais j'ai fini par le quitter car les gens ne correspondaient pas à mes valeurs.

« Une fois passé la frontière il n'y a pas de retour en arrière, on devient soldat ukrainien »

Se battre à l'étranger est normalement illégal. Comment comptez-vous faire ?
Pour ne pas risquer des poursuite au retour, il faut absolument s’enrôler officiellement dans l'armée ukrainienne sinon on est considéré comme des mercenaires et c'est interdit. 

À quoi ressemble vos préparatifs ?
Je renseigne en ligne sur la situation sur place et pour contacter des Ukrainiens, on se dit tous que beaucoup de monde nous surveille dont les Russes, donc moi j'utilise un VPN et je vais sur le Darkweb

Sam, 23 ans, militaire réserviste et étudiant en économie 

VICE : Comment on s'organise pour aller faire la guerre en Ukraine ?
Sam :
J'ai prévu de partir à la frontière polonaise, avec un convoi d'une dizaine de volontaires. On s'est trouvé sur internet grâce à un Discord que j'ai créé, on est plusieurs centaines dessus. Mais beaucoup ne se rendent pas compte dans quoi ils s'embarquent. Ils faut qu'ils arrivent à se dire qu'ils partent pour un aller simple. Il y a même des mineurs qui veulent partir, on leur dit évidemment que ce n'est pas possible. Une fois passé la frontière il n'y a pas de retour en arrière, on devient soldat ukrainien. 

C'est un choix difficile...
Je ressent de la peur, heureusement, sans elle c'est un peu suicidaire mais je pense que c'est un devoir européen de partir et aider à son niveau. J'aurais pu faire de l'humanitaire aussi mais je me sens plus utile en tant que soldat car j'ai une formation militaire.  Il n’empêche que c'est une décision vraiment difficile car je suis en plein master d'économie, il va falloir que je mette ça de côté avec le risque de me fermer des portes et d'avoir des ennuis avec les renseignements français à mon retour. 

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