Food

Le grog est une des seules raisons d'aimer l'hiver

Cette boisson chaude et alcoolisée est un excellent prétexte pour se la coller à l’approche des fêtes de fin d’année.
Alexis Ferenczi
Paris, FR
Grog recette
Illustration de Davy Khau

Ça y’est, il fait presque aussi froid chez vous que dans les travées d’un stade de foot un soir de match à huis clos. L’air qui s’engouffre par le moindre interstice cingle le visage, mord la peau et gèle les pieds. Alors que vous commencez sérieusement à vous les peler vient comme une irrémédiable envie de vous la coller. Un phénomène tout à fait naturel à en croire l’étude publiée dans le magazine médical Hepatology en 2018. Menée par une équipe de chercheurs de l’université de Pittsburgh, elle établissait un corrélat entre le froid et la boisson : plus la lumière du jour et les températures baissent, plus la consommation d’alcool augmente (et le nombre de cirrhose avec).

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Par grand froid, l’être humain se tournerait commodément vers l’alcool et les boissons chaudes. Ça tombe bien, le grog coche toutes les cases. Du rhum, de l’eau bouillante et un peu tout ce que vous voulez puisque qu’aucune recette n’est vraiment figée. Le cocktail est moins synonyme de murge que de remèdes transmis de génération en génération pour soigner les petites congestions – au même titre que l’ail dans tous les plats ou le bleu de méthylène que votre grand-mère badigeonnait sur votre langue, laissant un spectaculaire goût de liquide de refroidissement.

Avant de retracer l’histoire du grog, David Wondrich, sommité du cocktail outre-Atlantique, prévient : « Il faut faire attention au sens qui diffère d’un pays à l’autre. En anglais, le grog, c’est simplement du rhum (ou en de rares occasions un autre spiritueux comme le whisky ou le brandy) et de l’eau. En France, le grog est fait avec du sucre et du citron. Ce qu’on pourrait désigner par le terme ‘punch’. Le grog anglais n’a pas très bon goût alors que la version française, qui se rapproche d’un cocktail Tiki, est délicieuse. »

Si le grog anglais n’est pas destiné à ravir les papilles, c’est probablement parce qu’il est né sur le pont d’un navire. Dans la première moitié du XVIIIe siècle, l’amiral Edward Vernon, membre de la Royal Navy qui se distinguera dans les Caraïbes lors de la guerre de l’Oreille de Jenkins perdue contre l’Espagne, décide de codifier la vie du marin pour améliorer sa discipline. Dans un texte que Wondrich décrit comme la « pierre de Rosette » du grog, Vernon s’adresse à ses subordonnés en ces termes :

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« Alors qu'il semble manifeste que l'opinion des capitaines et des chirurgiens est unanime à propos de la coutume pernicieuse des marins buvant leur allocation de rhum d’un coup, et qu’elle est accompagnée de nombreux effets fatals sur leur morale ainsi que leur santé, elle ne pourrait être mieux corrigée qu'en ordonnant que leur ration de rhum soit mélangée quotidiennement avec un litre d'eau. »

Habile navigateur, Vernon gardera l’étiquette d’un commandant sévère avec son équipage. Une réputation qui jette un voile sur ses décisions qui contribuèrent à l’amélioration des conditions de vie à bord. Vêtu d’un habit en grogram (un mélange de laine, de soie ou de mohair assez grossier) qui lui valurent par extension le sobriquet de Old Grog, c’est lui qui donne in fine le nom au mélange. Voilà pour l’acte de naissance du grog. Une dilution qui semble plutôt logique au vu des nombreuses tâches attendant les marins après leur demi-pinte de rhum ; série de nœuds particulièrement complexes, manipulation de barils de poudre à canon ou balade sur le gréement. Wondrich en atteste : « Cette décision est surtout une manière d’éviter que les marins soient complètement torchés. C’était une mesure de tempérance qui, jugée comme telle, n’a pas été accueillie avec le plus grand des enthousiasmes ».

Pourtant le grog s’installe dans les mœurs. Vernon suggère même d’y ajouter une pointe de sucre ou de citron pour rendre le cocktail plus agréable au goût – ingrédients typiques des zones de navigation, l’amiral vient quand même d’inventer le daïquiri sans glace. Wondrich tempère : « Est-ce qu’il y avait des gens qui mélangeaient du rhum et de l’eau avant Vernon ? Probablement, même si ce n’est pas quelque chose dont on a gardé la trace. J’imagine que la plupart des revendeurs coupaient leur alcool avec de l’eau. Quant au mélange rhum, eau, citron et sucre, il remonte à la moitié du XVIIe siècle, avec le développement de l’industrie du rhum dans les Caraïbes. Une des plus vieilles occurrences de ‘punch’ au rhum (il existe des punchs à l’arrack encore plus anciens) que je connaisse remonte à 1660. »

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Suivant les voies maritimes pour s’installer sur le sol Français, le cocktail y prend alors une tournure un poil différente. Le rhum vient éclabousser un mélange d’eau chaude, de citron, de miel et parfois d’épices. Le grog à la française, qui fait son entrée dans le dictionnaire de l’Académie en 1835, vient plutôt s’inscrire dans la longue tradition des boissons chaudes alcoolisées que se partagent différentes cultures : au Japon, on file du tamagosake (un mélange de sake, de miel et d’œuf) aussi bien aux adultes qu’aux gosses pour lutter contre le rhume alors que dans les pays anglo-saxons, on parlera plutôt de toddy – en utilisant d’autres alcools forts.

Remis au goût du jour, le grog connaît un certain succès dans les bars branchés de la capitale où les mixologues rivalisent d’inventivité pour sortir des recettes avec du sirop de gingembre ou de l’encre de seiche. Quant aux vertus médicinales du mélange, elles ne font pas  totalement l’unanimité. Ce qui n’empêche pas David Wondrich de conclure ; « Un grog à la française servi chaud est une boisson incroyable. Que vous soyez malade ou pas, elle rassérène et vous fait vous sentir beaucoup mieux. Et ça, pour moi, c’est la définition d’un bon médicament. »

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