En début de semaine, le tout fraichement nommé Premier ministre Jean Castex annonçait la composition de son nouveau gouvernement, provoquant l’ire chez celles et ceux qui n’aimaient pas trop les ministres accusés de viol et les avocats de Patrick Balkany, entre autres. Mais si les nominations de Gérald Darmanin et d’Éric Dupont-Moretti, respectivement au poste de ministre de l’Intérieur et de garde des Sceaux, laissaient penser que le président Macron n’écouterait désormais rien ni personne (hors, justement, sa propre personne), celle de Roselyne Bachelot à la Culture a provoqué un mélange de moqueries et de consternation sur les réseaux sociaux et ailleurs. Le tout teinté d’un sentiment de mépris de classe politique larvé pour celle qui ne sort ni de l’ENA ni de Sciences Po, qui a commencé sa carrière comme « simple » pharmacienne et opéra une reconversion post-politique farfelue par la suite, notamment en tant que chroniqueuse chez la plèbe des Grosses Têtes de Laurent Ruquier. D’aucuns se demandaient plus sérieusement si, même avec la meilleure volonté du monde, cette férue d’opéra allait réussir à entreprendre quoi que ce soit avec un portefeuille ministériel réduit très probablement à son plus simple appareil. Ce qui nous amène à nous poser cette question : à quoi sert, au juste, un ministre de la Culture aujourd’hui en France.
À faire joli
Au niveau de la charge symbolique pure, de nombreux éléments depuis une vingtaine d’années nous montrent que le rôle du ministre de la Culture consiste, dans un nombre de cas non négligeable, à faire tapisserie. On se souvient des mots de François Hollande adressés à Fleur Pellerin en 2014, alors qu’elle venait tout juste d’être nommée. Dans le documentaire d’Yves Jeuland intitulé À l’Élysée, un temps de Président, on entend alors le chef de l’État prodiguer de précieux conseils à la nouvelle pensionnaire de la rue de Valois : « Va voir Jack Lang, il a des idées. […] Va au spectacle. Tous les soirs, il faut que tu te tapes ça, et tu dis ”c’est bien”, ”c’est beau”. » Par la suite, Fleur Pellerin a déclaré au Nouvel Obs que son premier manquement au poste était de ne « pas avoir assez flatté », tout en fustigeant un certain milieu parisien autocentré « qu’on voit surtout aux cocktails. »
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Sous Macron, les différents ministres qui se sont succédé ont surtout montré qu’il ne fallait pas trop faire de vagues. Mis à part peut-être Françoise Nyssen, ex directrice de la maison d’éditions Actes Sud, qui, même si ses adversaires politiques reconnaissent aujourd’hui qu’elle s’est battue en ce qui concerne la directive européenne sur les droits d’auteur, a surtout marqué les esprits pour une affaire de conflit d’intérêts concernant la régulation économique du secteur l’édition. Dossier qui lui sera sans surprise retiré, avant d’être elle-même éjectée du gouvernement Philippe.
À rien (ou presque)
C’est bien connu, en temps de crise, la Culture n’est pas exactement le secteur le plus riche en expérimentations formelles ou en dépenses inconsidérées. Et si l’on considère que la France traverse une crise économique d’envergure depuis au moins la réaction de l’OPEP à la forte baisse du dollar après la fin des accords de Bretton Woods en 1973 (ce qui commence à faire longtemps), les conditions économiques liées au Covid-19 n’ont pas arrangé les affaires d’un secteur historiquement délaissé dès que ça commence à péter un peu – on l’a vu en grandeur nature dans ce cas précis. Le rôle du ministre de la Culture (qu’on pourrait sans peine renommer en « premier fusible », ou encore « ministre combustible ») est alors, au mieux, d’essayer d’éteindre les flammes, au pire, de faire bonne figure. Au plus fort de la crise en 2020, Franck Riester tentait tant bien que mal de rassurer les acteurs culturels, mais se cachait surtout derrière le Président Macron, qui, lui, partait tout simplement en roue libre.
Lors de la fameuse conférence de presse du 6 mai dernier adressée (tardivement) au secteur culturel où tout le monde s’est demandé si Macron n’avait pas un peu forcé sur la poudre blanche, son ministre de la Culture semblait découvrir en même temps que nous les mesures proposées pour l’été à venir. Quelles mesures déjà exactement ? « Un été apprenant, culturel », soit des paroles de Président tellement vagues que tout le monde a oublié ce qui s’est dit concrètement. Résultat des courses : on connait enfin la répercussion économique concrète de la crise sur la Culture. Plus de deux mois après la fin (relative) du confinement, le département des études, de la prospective et de la statistique (DEPS) a publié une enquête consultable ici. Elle fait état d’un secteur touché de plein fouet par la crise, sûrement l’un des plus affectés en France. Et ce malgré les annonces du désormais ex ministre de la Culture, qui a multiplié les appels du pied notamment en direction des intermittents du spectacle, lesquels bénéficieront d’un dispositif de protection pendant l’été, mais ne savent toujours pas comment les modalités autour d’une éventuelle année blanche vont s’articuler. Régime dont on nous répète à l’envi qu’il est exceptionnel et que le monde nous envie. On saluera ce bel écran de fumée.
À favoriser (un peu) la transition numérique
Traditionnellement, le ministère de la Culture sert à opérer, comme son nom l’indique, un soft power politico-culturel à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Comme le proclamait le Général de Gaulle en l’an 1959, année de la création du Ministère des Affaires culturelles présidé par le fidèle lieutenant André Malraux : « La culture domine tout, elle est la condition sine qua non de notre civilisation. » Sa mission était alors limpide : « Le ministère chargé des affaires culturelles a pour mission de rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français, d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel et de favoriser la création de l’art et de l’esprit qui l’enrichissent ».
Depuis, les directives du secteur semblent avoir légèrement modifié leur feuille de route (avec notamment un changement de nom en 1997, en Ministère de la Culture et de la Communication, ce qui aurait dû nous mettre la puce à l’oreille), même si Roselyne Bachelot l’exprime en ces termes aujourd’hui : « Oui, la culture est une arme de construction massive, aussi bien sur le plan économique que sur le plan social. J’ai l’impression que les pouvoirs publics successifs n’en ont pas pris la totale mesure et ne se rendent pas compte qu’il ne s’agit pas simplement d’un petit secteur, mais quelque chose qui touche au destin de notre nation et à l’honneur de la France. » Et effectivement, depuis la gouvernance Macron, lorsqu’on s’y penche de plus près, on se rend compte que le gouvernail est plutôt penché du côté de la transition numérique qu’il ne l’est sur les forces « de l’art et de l’esprit ».
Un art qui semble depuis des lustres avoir été remplacé « par la culture, la culture par le divertissement, et le divertissement par le loisir », comme le signalait le directeur de la rédaction des Cahiers du Cinéma, dans un éditorial concernant le projet de réforme du fameux Pass Culture en novembre 2018. Projet qui, comme de nombreuses grandes réformes annoncées au début des différents quinquennats qui se sont succédé, a tellement été modifié, ratifié, amendé et tarabiscoté qu’on se demande s’il verra bel et bien jour un moment. Ce projet de loi a changé de mains et de cap, devant être un appel du pied à Netflix au début (par un Ministre attaché alors, selon ses propres mots, à « un audiovisuel pas forcément culturel »), et qui ne concerne plus du tout aujourd’hui ce qui a trait aux GAFA. Il ressemble à ce titre un peu au projet de loi HADOPI de l’époque Sarkozy, éternellement en expérimentation, et qui ne semble avoir été placé là que par un gouvernement ne semblant vouloir dire que « on a fait quelque chose », pour le laisser à l’abandon pour la majorité suivante sans que personne ne retrouve rien à redire. Exactement encore comme la grande réforme de l’audiovisuel annoncée par Riester, censée être une grande mesure du quinquennat, mais qui vient d’être abandonnée récemment – ou plus exactement dispersée dans d’autres textes de loi, absolument éparpillée en somme.
À aider (surtout) la mutation libérale de la gauche de gouvernement
Historiquement caution « de gauche » des différents gouvernements en place, le ministère de la Culture et de la Communication peut être vu comme un laboratoire du PS (qui lui-même s’y connait en matière de mutation économique libérale) depuis au moins Jack Lang en 1981 -et la fameuse fête de la musique que-le-monde-entier-nous-envie.
Y compris dans des gouvernements de droite, lorsque par exemple Sarkozy nomme Frédéric Mitterrand, ex limier des plumes du magazine marxiste-léniniste de droite pour jeunes 20 Ans, en poste en 2009. Principaux faits d’arme : refus de condamner le régime du Président tunisien Ben Ali comme tous les membres de son gouvernement de droite d’alors, lancement du forum « la culture pour chacun » en concurrence du concept de « culture pour tous » au festival d’Avignon, puis, enfin, participation à l’émission Un Diner Presque Parfait sur M6.
Dans tous les cas de figure, il n’est pas interdit de supputer que même avec la meilleure volonté du monde (et même si elle se découvre une soudaine poussée humaniste portée sur les arts), Roselyne Bachelot arrivera difficilement à opérer un renouveau esthétique en la matière. Car comme le dit le directeur du festival d’Avignon Olivier Py : « Le fameux 1%, on n’y est jamais arrivé. C’est des biscuits apéritifs dans un budget d’État la Culture. »
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