2016 a sans conteste été l’année de Donald Glover. Sa série Atlanta—qu’il écrit et dans laquelle il joue—aurait pu être une catastrophe, vu la lourde tâche qu’elle s’était imposée (représenter la culture de toute une ville). Mais il n’en a rien été : Atlanta a reçu un succès plus que mérité et a complètement validé sa décision de quitter le costume de Troy Barnes (qu’il occupait depuis 5 ans dans la série Community) en 2013, pour suivre sa propre voie. Et c’est précisément pour cette raison que Awaken, My Love!, son quatrième album sous le nom de Childish Gambino, s’est avéré particulièrement frustrant.
De sa pochette sci-fi et provocante à l’outro du dernier morceau, Awaken, My Love! s’impose comme une tentative désespérée de sonner plus Funkadelic que Funkadelic et d’adapter Maggot Brain à l’ère des tote-bags et des réseaux sociaux. Pire, il contient absolument tous les tics et les gimmicks des musiciens qui tentent de réaliser leur « album sérieux ». De la musique-prestige conçue spécifiquement pour toucher la critique en plein coeur, pile au moment où la boussole de la black music pointe à nouveau vers le commentaire social et politique afin de refléter ce qu’il se passe dans le monde en général, et dans la communauté Noire en particulier. À cause de son personnage comique et de sa musique weirdo, Childish Gambino n’a jamais été considéré sérieusement par la scène rap – bien qu’elle ait, paradoxalement, toujours été synonyme d’originalité et de perspicacité.
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Son disque précédent, Because The Internet, n’était pas incroyable, mais il était intriguant—développant une vision sombre et nihiliste de l’ère Internet, quelque part entre optimisme et désespoir. Il contenait aussi un paquet de bons titres. Awaken, My Love!, en revanche, utilise le funk psychédélique de George Clinton et Bootsy Collins pour nous donner un aperçu relativement sombre de l’époque, mais avec des sonorités bien moins audacieuses. L’effort est louable, mais tout sur Awaken, My Love! est bien trop calculé, sage et policé pour ne serait-ce qu’effleurer l’intensité et l’ardeur des disques qu’il tente de copier. En fait, on dirait un album de reprises. Alors ok, ça semble plutôt bien marcher dans la contexte actuel (toutes les critiques sont élogieuses), mais d’un point de vue artistique, ça n’a aucun mérite. En fait, l’élément le plus intéressant de l’album n’a pas à voir avec la musique mais avec les circonstances de son enregistrement.
En octobre dernier, en plein milieu de la saison d’Atlanta, Donald Glover est devenu papa. C’est resté un secret bien gardé, jusqu’à ce que des photos de lui et de sa petite amie surgissent sur le net. En lisant les paroles et les titres de l’album, il est évident que Awaken, My Love! a été la bande-son la récente paternité de Glover. Sur « Me and Your Mama » et « Baby Boy », il exprime la félicité et l’honneur qu’un père peut ressentir à la naissance de son enfant. Il fait de ces deux titres des équivalents musicaux du rituel de naissance de Kunta Kinte; il reconnaît entièrement sa responsabilité et partage sa joie d’avoir créé un être humain qui va à son tour évoluer dans le monde.
Quand un artiste compose à une période charnière de sa vie (qu’elle soit heureuse ou tragique), il nous donne un aperçu de son état mental à ce moment précis. Kanye West a par exemple réalisé Yeezus alors que sa femme, Kim Kardashian, était enceinte. C’était son premier mariage et son premier enfant. Parallèlement, Kanye avait vécu de sérieuses déceptions en se frottant à l’industrie de la mode. Tout ça est présent dans le disque, aussi bien musicalement que dans l’esprit général. Kanye entamait une transition terrifiante vers la paternité et le mariage, et découvrait qu’il pouvait, malgré son succès, toujours être rejeté. Son disque exprimait clairement toutes ses peurs. Mais là où Yeezus ressemblait à un réel exorcisme, Awaken, My Love! fait plus l’effet, disons, d’un réveil. L’utilisation récurrente de plages instrumentales de Funkadelic et Sly Stone, cette façon bancale de chanter à la Bootsy Collins, et ces gémissements haut-perchés façon Prince : tout est ici au service de l’amour et de l’espoir – même si l’angoisse qu’on peut ressentir à l’idée de faire naître un enfant dans le monde actuel est, elle aussi, bien présente également. « Keep all your dreams, keep standing tall / If you are strong you cannot fall / There is a voice inside us all / So smile when you can » : ce sont les dernières lignes de « Stand Tall », qui serviront de fil rouge à tout l’album. On apprend d’ailleurs dans la chanson que c’était un conseil que le père de Glover lui donnait. Plutôt étonnant de la part d’un type qui a un jour blagué en disant qu’il préférait « avoir le sida plutôt qu’un bébé ». Glover a grandi, il est désormais prêt à relever le challenge et à transmettre lui aussi à son enfant conseils et mises en garde (« Stay woke. Niggas creepin » sur le titre « Redbone »).
Parliament et Funkadelic n’ont pas seulement créé une musique géniale : ils ont créé une utopie. Avant que le terme « afrofuturisme » ne soit officiellement utilisé, le P-Funk était une musique qui contenait des éléments de science-fiction, qui imaginait un monde intergalactique où les Noirs étaient des héros et où leurs problèmes étaient au centre des préoccupations. Dans un monde où un enfant noir n’était pas en sécurité, la musique afrofuturiste du P-Funk dépeignait un autre univers, où ce même enfant devenait une étoile, une priorité. Facile donc de voir où Glover veut en venir avec un morceau aussi psychédélique et radical que « Hit It and Quit It ». Mais malgré l’intention -plus que louable-, la plupart des morceaux se hissent au niveau de reprises tout juste correctes.
Les meilleurs titres (« Zombies », « Riot », « Redbone », « Terrified ») sauvent les meubles, mais les pires (« Have Some Love », « California ») donnent vraiment l’impression d’écouter une compilation de très médiocres chutes de studio. Awaken, My Love! aimerait être un phare dans la période turbulente que traverse actuellement l’Amérique, mais il est bien trop fragile pour tenir face au vent. Les lyrics de « Boogieman » (« Every boy and girl, all around the world / knows my niggas’ words / but if he’s scared of me, how can we be free ? ») aimeraient provoquer une réflexion, mais ils sont tellement mal construits qu’ils finissent par tomber complètement à plat. Le truc avec George Clinton ou Prince ou Bootsy, c’est qu’ils étaient fous, géniaux, originaux et qu’ils incarnaient leur style avec un tel excès, une telle démesure que ceux qui tentaient de les imiter ou de leur rendre hommage tombaient systématiquement dans la parodie. Dans une interview radio, à la question « Qu’est ce que le funk ? », George Clinton a répondu : « Le funk c’est ce que tu as besoin d’être au moment où tu en as envie. » Et même s’il est raté, Awaken, My Love! confirme le point de vue de Clinton : Donald Glover a voulu nous montrer avec ce disque ce qu’il avait besoin d’être aujourd’hui, à cet instant très précis. En cela, il a été parfaitement fidèle au précepte de ses modèles.
Israel Daramola est sur Twitter.