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Carlos Henrique Raposo est la plus grosse arnaque de l’histoire du football

Durant trois mois et à raison d’un article par semaine, la rédaction de VICE Sports vous fait découvrir les truands du sport. Des hommes et des femmes issus de différentes disciplines, dont le talent certain est éclipsé par leur comportement sur et en dehors des terrains, des courts, des parquets et mêmes des greens. Des arnaqueurs, des séducteurs, des aboyeurs, des méchants qui ont des penchants pour la picole, la drogue ou les crasses en tout genre.

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A 20 ans, en se regardant dans la glace, Carlos Henrique Raposo n’acceptait pas que sa carrière soit morte avant même d’avoir existé. Ses camarades savaient, tout comme lui, qu’en réalité, il n’avait pas les pieds pour jouer au ballon et qu’il ne deviendrait jamais professionnel. Mais en s’observant attentivement, Carlos voyait que la nature l’avait doté d’un corps de champion, fin et athlétique.

Pendant ses années de football semi-pro, Carlos avait gagné le surnom de “Kaiser” parce qu’on disait que son physique rappelait celui de Beckenbauer. Il était persuadé que c’était suffisant pour obtenir toute la gloire qu’il avait désirée en tant que footballeur, mais… comment faire ?

« Le seul problème de Carlos était le ballon, assure en riant le défenseur brésilien Ricardo Rocha, ancien joueur du Real Madrid qui l’a bien connu. Il disait qu’il était attaquant, mais que c’était un attaquant tellement complet qu’il n’a jamais marqué ni réalisé de passe décisive. Il disait tout le temps qu’il était blessé. Lorsque la balle était à gauche, il allait à droite et vice-versa. Il n’avait pas de talent pour jouer, mais c’était un mec vachement sympa. Tout le monde l’aimait beaucoup. »

Tout le monde l’aimait beaucoup : c’est ce qui a été le grand argument qui a amené Carlos, d’une nullité sans nom au foot, à côtoyer quelques-uns des meilleurs joueurs de son époque et à participer à des matches – pas tant que ça pour être tout à fait honnête – sous le maillot de certains des clubs les plus prestigieux du Brésil.

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Première partie du mensonge : la création du personnage. Image vía Twitter.

Raposo a commencé à fréquenter les bars où avaient l’habitude de se rendre des joueurs comme Rocha, Renato Gaucho, Romario et Edmundo. Il y allait au culot, en se présentant à tout le monde et en s’habillant avec de beaux habits prêtés par des amis. Tout le monde était impressionné : quelques bons mots échangés ici et là, quelques coups de fils, et contre toute attente, “Kaiser” s’est retrouvé à jouer au Botafogo à 20 ans.

Kaiser négociait généralement un contrat simple, presque toujours de six mois, dont le salaire n’était jamais exorbitant mais lui permettait de vivre assez aisément. La tactique à suivre était presque toujours la même : quand il rentrait sur le terrain pour les entraînements, il disait qu’il n’était pas en forme et qu’il devait suivre, « pendant au moins deux semaines », les entraînements que son coach personnel – tout à fait fictif évidemment – lui avait suggérés.

Les premiers ennuis sont arrivés lorsque les entraîneurs ont voulu voir des résultats. À ce moment-là, Carlos a convaincu un des membres de son équipe de le blesser en faisant une faute la plus réaliste possible, pour qu’il puisse aller à l’infirmerie. Là, à l’aide de quelques pots-de-vins, il a convaincu les médecins de le dispenser de jouer.

« Je demandais à quelqu’un de me rentrer dedans au moment de sauter pour récupérer un centre, explique “Kaiser”. Ensuite, je disais que j’avais mal à la partie postérieure du muscle et je restais 20 jours à l’infirmerie. Quand ça devenait plus difficile, j’avais un ami dentiste qui me faisait un certificat attestant que je souffrais d’un problème physique. Et je continuais comme ça ».

Avant de continuer, il convient de clarifier qu’à l’époque – on parle des années 80 – les IRM n’existaient pas encore et la professionnalisation du football n’était pas aussi aboutie qu’aujourd’hui. Il n’y avait pas autant de moyens de communication non plus : à moins d’aller au match toutes les semaines, il était difficile de savoir si un joueur était vraiment bon ou pas. Les radios, la presse et le bouche-à-oreille étaient les seuls à influencer l’opinion. Quelques mots de la part d’amis bien placés pouvaient t’attirer beaucoup de sympathie…et à ce jeu là, “Kaiser” ne connaissait pas de rival.

« Si on se rassemblait dans un hôtel, moi je faisais en sorte d’arriver deux ou trois jours avant, j’emmenais dix femmes et je louais les chambres de l’étage du dessous de celui de l’équipe, assure Carlos Henrique. La nuit, personne n’avait à s’échapper du rassemblement : tout ce qu’on avait à faire c’était de descendre les escaliers ».

L’argent commence à rentrer, les contacts se multiplient, les amitiés deviennent de plus en plus intimes. Celui qui organise des fêtes et sait divertir ses collègues comme personne commence à devenir vraiment populaire. Raposo commence à profiter de la vie comme le font ses amis joueurs… jusqu’au jour où, à l’entrée d’une boîte de nuit, on répond au célèbre attaquant de Palmeiras, Renato Gaucho, « Renato est déjà à l’intérieur ». Parce que “Kaiser” était rentré en se faisant passer pour lui.

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La deuxième partie de l’escroquerie : croire en toi malgré le fait que tu ne vaux rien en tant que joueur…et s’arranger pour que les médias y croient aussi.

La deuxième équipe tombée dans le piège du grand arnaqueur du football sud-américain, c’est le Flamengo. Carlos Henrique Raposo réussit à y signer grâce à sa grande amitié avec le sus-nommé Renato Gaucho. En plus, “Kaiser” déclare qu’il a « tout à démontrer ». Normal étant donné que, pendant le peu de mois passés au Botafogo, il n’a pas pu dévoiler au monde son talent à cause une grave blessure qu’il a subi lors des premiers jours d’entraînement. Quelques bons mots de la presse, quelques recommandations de la part d’amis, et le tour est joué :” Kaiser” est maintenant joueur du Flamengo.

Résultat ? Zéro minute jouée, zéro but marqué.

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Son passage au Flamengo n’en a pas pour autant entaché sa carrière. Après avoir quitté le club pauliste, “Kaiser” continue d’entuber tranquillement les équipes qui s’offrent à lui grâce à des faveurs, des amitiés bien placées et la sympathie qu’il suscite. Tout au long de sa “carrière”, il est donc passé par les clubs de Botafogo et de Flamengo de son Brésil natal et, par la suite, il tente même l’aventure à l’étranger : d’après ses dires, “Kaiser” a joué avec le Puebla FC au Mexique et avec les El Paso Patriots en Premier Development League américaine.

Ses stats ont toujours été les mêmes : pas une minute de jeu, pas un seul but marqué.

Tout résidait, comme on le voit dans les grands films d’arnaque, dans la création du personnage, dans le fait de croire dans le rôle que tu interprètes jour après jour. Si tu y crois toi-même, les autres y croiront.

« [Kaiser] faisait semblant de parler anglais avec son téléphone portable (un objet très cher à l’époque, donc rare, ndlr) en inventant des mots, éclaire Ronaldo Torres, actuel préparateur physique de Fluminense, qui a joué au Botafogo en même temps que Kaiser. Mais un jour je lui ai demandé : “avec qui tu parles ?”. Et il s’est mis à rire avec son jouet dans la main, c’était un beau fils de pute le salaud ! Mais on l’aimait beaucoup ».

En 1989, il est revenu au Brésil, au Bangu de Rio de Janeiro, où la légende dit qu’il a aussi marqué un but, gagnant ainsi le surnom de “Pelé du Bangu” dans la presse. Certain d’être prêt à affronter n’importe quel désagrément, “Kaiser” a admis, lorsqu’il a décidé de rendre publique son histoire incroyable quelques années après, qu’il avait, là-bas, recouru à une des idées les plus géniales de toute sa carrière factice.

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Troisième partie de l’arnaque : l’amour pour une équipe n’a pas de frontière. Infographie de Kevin Domínguez, Kaiser Magazine.

L’idée lui est venu un jour de match alors que le Bangu perdait 2-0. Son propriétaire, le tout puissant parrain de paris clandestins Castor de Andrade, hystérique et à bout, met de côté tout ce qu’on dit à propos de ce joueur pourri que tout le monde appele “Kaiser” et décide qu’il est temps de le faire rentrer. Le président voulait un attaquant, et il le voulait tout de suite, il appelle donc l’entraîneur par talkie-walkie et lui ordonne de faire rentrer Carlos Henrique.

N’importe qui d’autre aurait paniqué…mais c’est dans les moments les plus délicats qu’apparaissent les génies non ?

Et sans crier gare, voilà que notre Carlos Henrique regarde autour de lui, choisit un joueur de l’équipe adverse au pif et se met à lui hurler dessus. “Kaiser” lance ainsi une baston générale à partir de rien. Le show a été tel qu’ils ont dû le sortir du terrain…sans qu’il ait joué une seule minute bien sûr.

À la fin du match, c’est un Castor de Andrade en colère qui s’est dirigé vers les vestiaires, prêt à lui passer un sacré savon, mais il s’est arrêté, surpris, lorsqu’il a retrouvé le joueur en larmes.

« Avant que tu ne dises quoi que ce soit, Dieu m’a donné un père et il me l’a enlevé et plus tard il m’en a donné un autre (faisant référence au président, ndlr). Et je ne permets qu’on traite mon père de voleur », lui a dit “Kaiser”. Castor de Andrade s’est attendri et lui a pardonné.

Mission accomplie : le contrat fut renouvelé pour six mois.

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Quatrième partie de l’arnaque : l’Europe et les rêves de gloire. Image vía Twitter.

Un autre point obscur de l’histoire de cette canaille est son hypothétique appartenance au club d’Indepependiente, vainqueur de la Copa Libertadores en 1984. Carlos Henrique Raposo explique qu’il a réussi à signer un contrat – toujours le même, de six mois – grâce à un ami qu’il avait en commun avec Jorge Burruchaga, champion du monde avec Maradona en 1986. D’après lui, pendant ces six mois, il n’a bien sûr pas joué une seule minute.

L’Independiente dément tout cela, bien que Carlos assure que la preuve est dans la photo de l’équipe qu’ils ont pris à l’époque dans laquelle on peut effectivement voir un Carlos Enrique avec les cheveux longs et bruns. Le problème est que ce Carlos Enrique, sans H, n’est pas “Kaiser” mais un latéral gauche argentin qui n’a rien à voir avec lui.

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Pendant les années 1980, pour un Brésilien, jouer en Europe était synonyme de succès. Kaiser ne pouvait pas y manquer, et, de fait, à un certain moment de sa carrière, il a décidé d’envahir le Vieux Continent et s’en est allé au Gazélec d’Ajaccio. L’accueil que lui avait réservé le club a surpris le footballeur, mais il a de nouveau eu recours à une idée géniale.

« Le stade était petit, mais il était plein de fans, raconte Raposo. Je pensais que j’allais juste devoir sauter sur la pelouse et saluer, mais ensuite j’ai vu qu’il y avait beaucoup de ballons sur le terrains et qu’on allait devoir s’entraîner pour de vrai. J’étais nerveux, ils allaient se rendre compte le premier jour que je ne savais pas jouer ».

Que faire quand tu te retrouves au milieu d’un stade plein de supporters venus en masse pour voir leur nouvelle idole les régaler avec des gestes techniques alors que tu ne sais même pas shooter dans un ballon ?

« Je suis rentré sur le terrain, j’ai commencé à ramasser tous les ballons et à les envoyer dans les tribunes, explique le grand arnaqueur. En même temps je saluais et j’embrassais le blason de l’équipe. Les fans sont devenus fous, et il n’y avait plus un seul ballon sur la pelouse ». Visiblement, puisqu’ils n’avaient plus de ballons, l’équipe n’a pas eu d’autre choix que de faire un entraînement physique, et dans ce domaine Kaiser n’avait pas le moindre problème.

À 39 ans, Carlos Henrique Raposo a rangé ses crampons. Encore aujourd’hui, il est difficile de croire que quelqu’un ait pu réaliser tous les exploits dont se targue “Kaiser” sans savoir joué au football. Le Brésilien a confirmé son histoire en 2011, dans une interview accordée à une émission brésilienne, malgré le fait que beaucoup des acteurs de son histoire particulière nient le fait d’avoir gardé une quelconque relation avec lui.

Il est compliqué de s’imaginer qu’une histoire comme celle de “Kaiser” puisse se passer aujourd’hui, dans une époque de professionnalisation extrême. Que ses péripéties soient avérées ou pas, cela surprendra toujours le fan de football moyen de savoir que ç’aurait pu être lui dans ces grands clubs d’élite…et que personne ne se serait rendu compte qu’il s’agissait d’un fake.

« Je ne m’excuse de rien du tout. Les clubs ont entubé et entubent encore beaucoup de joueurs : quelqu’un devait les venger », a dit Carlos Henrique Raposo, qui est peut-être quelque part un justicier, mais qui est surtout la plus grosse arnaque de l’histoire du football.

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