Culture

Le roi de la cascade

Vic et Harrison Ford en Espagne, sur le tournage d’Indiana Jones. Les photos nous ont été fournies par Vic Armstrong.

Dans Indiana Jones et la Dernière Croisade , une scène de près de neuf minutes met en scène Harrison Ford à cheval tentant de secourir son père – interprété par Sean Connery. On y voit Indi poursuivre un tank dans lequel est prisonnier son paternel, avant de se jeter sur cet engin fasciste et de botter les fesses de quelques suppôts d’Hitler. En fait, lorsque la situation l’exige, ce n’est pas Harrison Ford que vous voyez à l’écran mais sa doublure, Vic Armstrong.

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« Les gens ne réalisent pas à quel point une cascade est complexe, me dit-il. Il ne s’agit pas simplement de sauter d’un cheval. »

Cet inconnu du grand public est cascadeur et metteur en scène. Cela fait près de cinq décennies qu’il bosse dans l’industrie du cinéma. Selon le Guinness Book, il est le cascadeur le plus prolifique de l’histoire. Mais c’est sans doute sa participation en tant que doublure de Ford qui restera dans les mémoires.

Une cascade d’une telle complexité nécessite toujours un très bon story-board. Un mois avant le tournage de la scène, Steven Spielberg avait réuni l’ensemble de son équipe à Los Angeles. Après cela, c’était au tour d’Armstrong et de Micky Moore – assistant réalisateur – de prendre les rênes. Ils devaient trouver l’emplacement sur lequel serait tournée la scène, ce qui n’était pas une mince affaire. « Un lieu capable d’accueillir un tank près d’une falaise, ça ne court pas les rues », me précise Vic. Au final, ils ont déniché l’endroit idéal près d’Almeria, en Espagne – une zone aujourd’hui connue sous le nom de « Canyon Indiana Jones ». Armstrong savait que le sol sablonneux serait parfait pour accueillir des chevaux, incapables de courir sur des rochers. En revanche, cela obligeait l’équipe à rester à bonne distance de la falaise, le sol étant instable.

Après avoir ramené un bulldozer pour faciliter le passage du cheval, Armstrong et Moore avaient dû installer une longue rampe permettant à l’animal de se mouvoir sans problème. Huracan, cheval que connaissait bien Armstrong, s’était longuement entraîné en compagnie de ce dernier à Fort Bravo, un lieu dévolu aux répétitions. La scène devait être préparée minutieusement, le cheval et le tank devant aller à la même vitesse pour permettre à Vic de sauter sans risque. « Lors des répétitions en studio, je devais atterrir sur un tas de fumier afin de mesurer la difficulté de la cascade, et d’adapter la scène en conséquence. »

Vic sur le tournage de Dead Cert, en 1974

Dans la vraie vie, Vic Armstrong est né dans le Buckinghamshire, un comté du sud-est de l’Angleterre. Sa passion pour les chevaux remonte à l’enfance. « Mon père entraînait des chevaux de course et j’ai toujours rêvé de faire du steeple-chase, me dit-il. J’ai participé à ma première course à l’âge de quatorze ans, mais j’étais trop “lourd” pour devenir professionnel. »

Richard Todd, célèbre acteur ayant pris part à la Seconde Guerre mondiale, était l’un des propriétaires des chevaux entraînés par le père de Vic. « Il venait souvent aux courses, se souvient Armstrong. Il me racontait des anecdotes sur ses tournages. En rentrant chez moi, je jouais son rôle. Je m’imaginais être Rob Roy parcourant d’immenses vallées à cheval, sautant à pleine vitesse de la selle. J’adorais ça. »

Cet amour de l’imaginaire est la clé quand on veut devenir cascadeur. « Au fond, on joue toujours aux cow-boys et aux Indiens », admet Armstrong.

Cette capacité à prétendre doit s’accompagner d’une condition physique parfaite et d’une adresse à toute épreuve. « Grandir auprès de chevaux m’a permis de mieux les comprendre, de me mettre à leur place, précise-t-il. Malgré cela, vous devez vous adapter constamment. »

Vic en compagnie d’Arnold Schwarzeneggerb lors des Taurus Awards, l’équivalent des Oscars pour les cascadeurs

L’entrée d’Armstrong dans le monde du cinéma date de sa rencontre avec Jimmy Lodge, un célèbre cascadeur des années 1960 qui avait l’habitude de s’entraîner à monter des chevaux en compagnie du père de Vic. Il bossait alors sur le tournage d’ Arabesque, film avec Gregory Peck et Sophia Loren, et avait besoin d’un cavalier supplémentaire. Naturellement, il se tourna vers Vic, qui fut payé 20 livres par journée de tournage – ce qui correspondait à plus d’une semaine de travail à l’époque.

Le jeune jockey réalisa vite que les cascades pouvaient devenir un moyen de subvenir à ses besoins. « En 1965, les cascadeurs n’étaient pas nombreux sur le marché », affirme-t-il.

Jeune, habile avec les chevaux, capable de manier une épée et de sauter dans le vide, Armstrong n’a pas mis longtemps à accéder aux tournages de grosses productions, dont James Bond et Indiana Jones. Sa ressemblance avec Harrison Ford lui valut de doubler l’acteur tout au long de sa carrière, notamment sur le tournage de Star Wars.

Vic Armstrong doublant Harrison Ford sur le tournage d’Indiana Jones et la Dernière Croisade

« J’ai répété des centaines de fois à Harrison qu’il aurait pu être un cascadeur d’exception, me dit Armstrong. À l’origine, il était charpentier. C’est un mec très rationnel, un perfectionniste – ses scripts étaient toujours couverts de notes. »

Une photo envoyée par Ford à Armstrong en dit long sur leur entente : « Si tu ouvres un jour la bouche, je serais mal barré. »

Aujourd’hui, la communauté des cascadeurs est extrêmement vaste. « Quand j’ai commencé à bosser, on devait être une quarantaine à faire ça dans le monde. Aujourd’hui, tu dois pouvoir trouver 400 professionnels sans problème, m’annonce Vic. J’ai eu beaucoup de chance de rencontrer Jimmy à mes débuts. J’ai saisi la perche au moment opportun. »

Vic et sa femme Wendy sur le tournage d’Indiana Jones et le temple maudit

L’autre rencontre déterminante pour Vic fut celle de George Leech, un vétéran de la Seconde Guerre mondiale ayant utilisé son expérience militaire pour devenir cascadeur. La fille de Leech, Wendy, a suivi ses pas pour doubler Margot Kidder – l’actrice jouant le rôle de Lois Lane – sur le tournage de Superman. De son côté, Armstrong était la doublure de Christopher Reeve – ils ont inévitablement fini par se croiser, et se sont mariés par la suite.

Aujourd’hui, les effets spéciaux ont changé la donne, « pour le meilleur », selon Vic, qui les compare à la morphine : le tout est de ne pas devenir dépendant. Certains films souffrent d’un excès d’effets spéciaux, mais ces derniers laissent une plus grande marge de manœuvre aux réalisateurs. « À mon époque, avance Vic, il fallait que tout soit sur la pellicule, et rien ne pouvait être effacé. » Aujourd’hui, Armstrong peut diriger Andrew Garfield dans Spiderman, le faire voler d’un bout à l’autre d’une rue, sans que rien ne soit détectable à l’écran.

Malgré tout, la magie demeure. Vic Armstrong est aujourd’hui de retour dans le désert d’Almeria à près de 70 ans. Il joue toujours aux cow-boys et aux Indiens.

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