Culture

Des ex-habitué·es des Caves de Cornillon racontent leurs meilleurs souvenirs

Caves de Cornillon

Ces légendaires clubs belges et leurs soirées sans fin appartiennent désormais au passé. Ne reste plus que quelques souvenirs principalement flous à parcourir dans notre série VICE « NIGHTS TO REMEMBER ».

Au début des années 2010, les Caves de Cornillon s’imposent petit à petit comme un lieu incontournable des soirées électroniques belges. Situé à Liège, à la fin du Pont d’Amercœur, entre un couvent et un car-wash, ce lieu a vu passer des générations de teufeur·ses venu·es des quatre coins de la Belgique (et d’ailleurs) pour vivre des soirées dans un espace unique, avant de fermer ses portes.

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En fait, ça fait des années que les Caves ferment et rouvrent – c’est arrivé trois fois -, mais cette fois-ci, ça semble être réellement fini. Technique de communication ou fermeture définitive ? On n’en sait rien, l’avenir nous le dira !

En attendant, on a demandé à des ex-habitué·es et ex-membres du personnel de partager leurs meilleurs souvenirs de ce lieu mythique.

Arthur (29 ans), photographe

« J’ai photographié les soirées aux Caves pendant des années et ç’a été une vraie expérience. À l’époque, je commençais la photo, j’avais envie  d’expérimenter et Liège avait un réel potentiel niveau électro. De fil en aiguille, je me suis rapproché des Skins et des Blusters. Même si beaucoup de gens disent que c’est un endroit malsain, je trouve qu’il y avait plutôt un côté bon enfant. Tout le monde se connaissait, s’y retrouvait, c’était convivial. Pour moi, l’âme des Caves, c’était de créer du lien ; c’est une des raisons de son succès. Je suis pas hyper sociable au premier abord mais ça m’a permis de rencontrer plein de gens. C’est là d’ailleurs que j’ai rencontré ma bande de potes actuelle, dont j’espère ne jamais me séparer.

J’ai même jamais vraiment eu de problème là-bas, j’ai surtout croisé des gens un peu perchés. Y’en avait toujours bien un ou deux qui venaient me demander quinze fois de les prendre en photo. Vu l’état de leur mâchoire que je voyais partir un peu plus à gauche ou à droite au fur et à mesure de la  soirée, je disais souvent : “Non, t’inquiète, j’en ai déjà pris quelques-unes.” C’était pour leur bien je crois… Quand je photographiais là-bas, je faisais vraiment un bon travail de tri. Si je devais publier toutes les photos que j’avais des Caves, je pourrais faire tomber la moitié de Liège ! Aujourd’hui encore, beaucoup de personnes viennent me trouver parce qu’elles arrivent dans la vie active et qu’il y a des photos qu’elles ont envie de supprimer. Je le fais avec plaisir mais j’espère qu’elles ont été sauvegardées quelque part quand même, pour les souvenirs.

« Si je devais publier toutes les photos que j’avais des Caves, je pourrais faire tomber la moitié de Liège ! »

De ce que je sais, les Caves ont été rachetées, pour être laissées à l’abandon. Le truc en plus avec ce lieu, c’est que c’est un éternel renouvellement, c’était dans le passé une salle de sport, un restaurant, une salle pour les mariages et même un club échangiste. Justement à propos de ça, à l’époque de ce club, ils avaient mis un jacuzzi à l’étage et quand ç’a fermé. Un jour, quand on a pu reprendre les soirées, on a retrouvé des gens en train de baiser comme des fous dans le vieux jacuzzi. C’était ignoble. Mais je te rassure, c’était pas toujours comme ça. En fait, c’est impossible de se rendre compte de l’atmosphère des Caves sans y être allé plusieurs fois. Tu pouvais très bien tomber sur une soirée hyper dark, remplie de monde ou tu pouvais arriver dans un petit événement assez chill. »

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Amelie Lens à la Techno Request de 2016

Tim (27 ans), organisateur des soirées Tekn’Bass

« Y’a quelques années, j’ai commencé à organiser des soirées drum à Liège. Au départ, j’avais pas vraiment d’ambition particulière, c’est un secteur où tu dois investir comme un fou si tu veux que ça marche et moi, j’avais pas forcément le capital pour. Au fil du temps, je me suis lié avec d’autres gars et on a créé les soirées Tekn’Bass, un mix entre de l’acid techno et de la drum. Grâce à de bons contacts, on a pu organiser la première aux Caves. Là-bas, tout se faisait toujours à l’arrache et ça, je l’ai compris dès que je me suis arrangé avec le proprio pour visiter les lieux. On s’était mis d’accord sur une date, je débarque là-bas avec mon associé et le gars m’appelle en me disant qu’il m’a laissé les clefs sous une pierre à côté de la barrière. On rentre dans la salle, on attend comme des cons et personne ne vient. Je le rappelle pour savoir où il en est et il me répond un truc complètement lunaire du style : “Ah non, non, moi j’viens pas en fait !” Il m’explique qu’on a qu’à regarder ce qui nous intéresse et remettre les clefs sous cette même pierre en repartant.

Du coup, on se balade dans les caves, on réfléchit à l’organisation puis je me focalise sur le bar. Très vite, je me rends compte que les frigos ne fonctionnent pas, que les éviers sont dégueulasses puis quand je me pose près des pompes, je vois un petit bout de carton bizarre qui dépasse. Je tire dessus et je me retrouve avec un énorme truc en main, plein de boue. Je le nettoie un coup et là je réalise que je viens de tomber sur un vinyle de Metrik, un putain de DJ drum and bass. Il devait être là depuis des années, enseveli sous la crasse. C’est à ce moment-là que je me suis vraiment rendu compte du passé de cette salle.

« J’ai vu des trucs de malade : des gens qui lèchent les murs à trois heures du mat’ ou encore des gars qui se pètent les deux jambes en essayant de sauter du Car-Wash pour entrer sans payer. »

Finalement, on a organisé notre soirée et ça a super bien fonctionné. Je savais bien qu’on avait un bon concept et de bons bookings, mais la notoriété de la salle a évidemment joué un rôle dans le succès de l’event. Le nom des Caves de Cornillon était devenu tellement populaire dans la culture rave à Liège que si tu faisais un truc là-bas, t’avais d’office du monde. En même temps, c’est une salle qui a un putain de potentiel parce qu’elle a un côté sombre et malsain. Quand je dis malsain, c’est même pas péjoratif, c’est ça qui accentue son côté rave. Certains de mes collaborateurs étaient des habitués de free parties, et quand ils sont arrivés et ont vu les salles voûtées   et l’ambiance lugubre qui se dégageait de cet endroit, ils m’ont dit : “Mais WTF, mec, c’est légal ça ?” Ils étaient choqués que la ville autorise des soirées dans un lieu pareil.

J’ai passé des moments de fou là-bas, j’ai vu des trucs de malade : des gens qui lèchent les murs à trois heures du mat’ ou encore des gars qui se pètent les deux jambes en essayant de sauter du Car-Wash juste au-dessus de la cour intérieure pour entrer sans payer. C’était ça les Caves, c’était toujours le bordel, il faisait dégueulasse, les gens faisaient n’importe quoi mais tout le  monde s’en foutait parce que les soirées étaient incroyables. Je te jure que si ça rouvre un jour, je veux être le premier sur le coup. »

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Joey Beltram et Ben Long

Mike (40 ans), organisateur des soirées Bluster

« Aux alentours de 2009, les Caves de Cornillon étaient occupées par des  étudiant·es liégeois·es. Les chapiteaux, là où ils organisent des fêtes en ce moment, n’existaient pas encore, du coup c’est aux Caves qu’ils foutaient ça. Quand j’ai entendu que cet endroit était à louer, j’ai voulu voir à quoi ça ressemblait. Je me suis faufilé dans une soirée étudiante, j’ai vu l’ambiance, l’espace et là je me suis dit qu’il y avait du vrai potentiel. Très vite, je me suis arrangé avec le proprio pour lancer les soirées Bluster, les tous premiers rassemblements électroniques aux Caves.

Un des atouts des Caves, c’était sa superficie. Vu qu’il y avait trois salles, on  pouvait proposer différents styles en une seule soirée. On a fait une salle  électro, une salle techno et une salle drum and bass. C’était cool, ça nous permettait d’être multi styles mais, en tant qu’orga, c’était pratique de pouvoir observer les salles qui se remplissaient et celles qui ne se remplissaient pas du tout. Au fil du temps, on a su s’adapter et on a opté pour les styles qui fonctionnaient bien : on a gardé la drum et on a aussi commencé à faire dans du hardcore et de la crossbreed.

En plus de son espace, l’endroit lui-même dégageait une ambiance hyper  particulière. C’est souterrain, c’est vouté, c’est en brique. Dans n’importe quelle discothèque, tu dois amener une ambiance par des jeux d’éclairage, des jets de lumière, etc. Ici, avant même que tu ramènes tout ça, y’a déjà une ambiance très underground, très “catacombe”. Même au niveau du son, c’était dingue parce que tu pouvais taper dans des décibels assez puissants sans faire chier personne parce que t’étais sous terre. Même les nonnes du couvent d’à côté ne se sont jamais plaintes !

« On a organisé LA soirée d’adieu déjà trois fois, je me dis qu’il y a toujours un peu d’espoir que ça reprenne. »

La plus belle soirée aux Caves, c’était pour la City Parade – la fête de la musique électronique à Liège. Vu que c’est assez commercial, voire mainstream, beaucoup d’orgas liégeoises de musique électronique n’y étaient pas représentées. On a senti le filon et on s’est dit qu’on allait organiser avec plusieurs d’entre elles une soirée qui proposerait vraiment quelque chose, chaque collectif ayant une salle à lui.

On avait été faire un gros lâcher de flyers pendant la parade mais, honnêtement, on s’attendait pas à grand-chose. Puis petit à petit, on a commencé à voir les gens défiler… Au bout d’un moment, la salle était  tellement pleine qu’on pouvait laisser rentrer des gens que quand d’autres sortaient, 1 out = 1 in. On a dû refuser l’entrée à plusieurs reprises, c’était la première fois que ça nous arrivait. On a même dû taper chez le brasseur et dans les night-shops du coin, en pleine matinée, parce qu’on avait plus rien à boire. La soirée a fini à 10 heures du mat’, on était exténué·es. Honnêtement, c’était la plus belle soirée de notre vie.

Les Caves, c’était plus qu’un simple lieu de fête pour moi. Quand j’y organisais pas mes propres trucs, j’y allais quand même, pour faire de la promo ou pour mixer. Je connaissais tellement bien le lieu que s’il y avait le moindre souci, c’était moi qu’on appelait. Aujourd’hui, c’est difficile de savoir où ça en est réellement. Mais bon, on a organisé LA soirée d’adieu déjà trois fois, je me dis qu’il y a toujours un peu d’espoir que ça reprenne. En tout cas, si ça reprend, je peux te dire que Bluster y sera. »

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Kevin (28 ans), DJ

« J’ai commencé à sortir sur Liège au début des années 2010 et je me suis  toute suite intéressé à tout ce qui était bass music, dubstep et drum and  bass. Je venais de la campagne et j’avais beaucoup entendu parler des  Caves de Cornillon, je savais que c’était un endroit assez sombre, voire  carrément malsain, où on pouvait écouter de la musique très lourde. Mes  potes m’avaient raconté que c’était un lieu hyper stylé, un peu délabré où la  plupart des gens étaient complètement perchés. En gros, quand tu sortais  aux Caves, c’était pour te mettre la tête à l’envers sur du gros son. Et ça, tout le monde le savait.

Un peu plus tard, avec un pote, on s’est mis à mixer ensemble. Au début, c’était pour le fun mais très vite, suite à de bons retours de la part de nos potes, on s’est rendu compte qu’on aimait ça et qu’on pouvait en faire quelque chose. On a monté un groupe qui s’appelle Owls of Filth et on a commencé à jouer ici et là. Un jour, un des organisateurs des soirées Revolt cherchait des gens pour son line-up et vu qu’il nous trouvait motivés, il nous a proposé de jouer en back-to-back avec Instix et Geubraid à la Revolt Christmas Party de 2017, aux Caves.

« C’était la première fois qu’on voyait des gens aussi chauds sur nos sons. »

C’était complètement dingue pour nous, ça devait être notre troisième  booking après avoir passé un bon moment à jouer dans les garages de nos  potes, et on se retrouvait dans une salle vraiment connue. T’imagines la  pression. Sauf que le jour même, quelques heures avant de prendre le train, on apprend qu’il y a un gros dégât des eaux et qu’une des deux salles a dû fermer. On s’est cash dit que c’était mort, qu’on jouerait pas… Puis finalement, juste avant qu’on parte, on nous confirme que c’est bon. Même si on était soulagés, on se rend compte assez rapidement de l’enjeu. Plein d’artistes ont été annulés, dont quelques gros noms, et on joue en début de soirée. Si on se foire, ça peut faire un gros flop.

Juste avant notre set, la salle se remplit à vue d’œil. On monte sur scène, on commence à mixer et là, le pire cauchemar des DJs nous tombe dessus : on fait de la merde avec une clé USB et d’un coup, plus de son. Je reste figé, je regarde mon pote en méga stress et je lui dis : “Mec, on fait quoi ?” En quelques secondes, on reprend nos esprits, on rebranche le tout et ça repart. Alors qu’on pensait avoir bien plombé la soirée, l’ambiance repart et c’est quelque chose de dingue ! Les gens sautent partout, on voit des gros pogos à l’avant-scène, les gens se lâchent complètement sur les barrières, c’était la première fois qu’on voyait des gens aussi chauds sur nos sons. Cette soirée, c’était un vrai ascenseur émotionnel. »

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