Pourquoi le ministre de l’Intérieur français rencontre les géants de la Silicon Valley

Le ministre de l’Intérieur français, Bernard Cazeneuve, poursuit ce vendredi sa tournée américaine, après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher. Il se rend cette fois dans la Silicon Valley pour faciliter la lutte contre le djihadisme en ligne. Au programme de la journée, le ministre va rencontrer des représentants d’Apple, de Google, de Facebook, de Twitter et de Microsoft pour les « sensibiliser » au problème du « terrorisme en libre accès » d’après les mots du Ministre qui s’est adressé à la presse après une journée à Washington.

Cette semaine s’est tenu à la Maison Blanche un sommet de trois jours pour « contrer la violence extrémiste, » organisé à la suite des attentats de Paris et qui a pour but d’encourager la collaboration entre société civile et secteur privé d’un côté, et autorités et gouvernements de l’autre. Présent ce jeudi dans la capitale fédérale américaine aux côtés de son homologue britannique, Theresa May et du Secrétaire général des Nations-Unies, Ban Ki-moon, Bernard Cazeneuve a énoncé trois priorités.

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Le ministre français souhaite l’établissement d’un registre des passagers aériens (un PNR pour « Passenger Name Record ») au niveau européen, un meilleur traçage des combattants étrangers et enfin une « meilleure coordination dans la lutte contre la propagande et le recrutement terroriste sur Internet, » ce qui explique sa visite sur la côte Ouest américaine, dans la Silicon Valley, la capitale des principaux acteurs numériques.

Internet, front prioritaire de Cazeneuve dans la lutte contre la propagande djihadiste

Depuis la vague d’attentats qui a marqué la France début janvier, le ministre de l’Intérieur répète à l’envie que « 90 pour cent de ceux qui basculent dans le terrorisme, basculent par Internet. » Un chiffre obtenu à partir d’un rapport du Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam. Ce rapport est toutefois mis en doute par des spécialistes du phénomène de radicalisation en France qui estiment qu’il n’est pas suffisamment représentatif des situations de radicalisation.

Cet objectif numérique dans la lutte antiterroriste du ministre de l’Intérieur avait conduit à la facilitation du blocage administratif des sites Internet faisant l’apologie du terrorisme. Publié le 6 février au Journal Officiel, le dispositif permet de se passer de la décision d’un juge pour bloquer un site glorifiant le terrorisme — une décision qui inquiète les défenseurs de libertés numériques.

Cette mini-tournée des firmes star de l’Internet installées entre San Francisco et San Jose, en passant par Cupertino, doit permettre aux services français de renforcer leurs liens avec ces entreprises avec lesquelles ils sont amenés à collaborer. C’est du moins le souhait du gouvernement français.

Bloquer la propagande terroriste

Le ministre français souhaiterait faciliter le retrait de contenus en ligne hébergés par des sites comme Facebook et Twitter — plateformes privilégiées des communicants du djihad qui y diffusent leurs vidéos de propagande.

En France, le système Pharos qui permet de signaler du contenu jugé inapproprié sur le Web, a été efficace dans l’après 7 janvier (date de l’attaque de Charlie Hebdo) selon Catherine Chambon, la sous-directrice de la lutte contre la cybercriminalité à la police judiciaire, évoquant dans le journal Libération, un délai de « quelques minutes » pour un retrait de vidéo suite à une demande de la justice française.

Facebook et Twitter partagent un même statut : celui d’hébergeur et non pas d’éditeur de contenu. Ce statut leur assure pour le moment de ne pas être juridiquement responsables de ce qui se trouve sur leurs sites — jusqu’à ce qu’on leur a signalé l’existence du contenu illicite. A contrario, les éditeurs sont eux responsables de tout ce qu’ils publient. La ministre de la Culture française, Fleur Pellerin réfléchirait à la création d’un statut hybride entre hébergeur et éditeur.

Si une collaboration accrue dans le domaine du retrait de contenu après signalement est attendue, le ministre de l’Intérieur pourrait aussi encourager les grands hébergeurs américains à procéder à une « autorégulation privée » de leur contenu. Cette hypothèse pourrait permettre d’accélérer le retrait des contenus de propagande rendu possible par une régulation par le droit — sans doute plus lente.

Contre-discours et facilitation d’enquêtes

Dans son allocution prononcée jeudi à Washington, Bernard Cazeneuve a annoncé vouloir adapter « au fonctionnement de l’information mondialisée le cadre juridique de la coopération internationale. » Derrière cette formule sibylline, le ministre souhaiterait faciliter les transmissions de données détenues par les firmes américaines dans le cadre d’enquête antiterroristes — que ce soit en fournissant des mails ou encore des données de localisation.

Après ce discours, le ministre s’est entretenu avec la presse avant de rejoindre son avion à destination de San Francisco. Il en a profité pour évoquer la nécessité d’inciter les grandes firmes numériques à aider les gouvernements à élaborer des « contre-discours [en proposant une alternative au djihadisme] » et d’ « utiliser cet extraordinaire vecteur pour diffuser de l’information sur les risques encourus. »

Une initiative du gouvernement français avait été prise dans ce sens le 28 janvier dernier avec le lancement de la plateforme stop djihadisme pour contrer la propagande de l’organisation État islamique sur Internet. La lutte contre la radicalisation ne doit pas pourtant se borner à une simple initiative numérique. Le juge antiterroriste Marc Trévidic, auditionné récemment par une commission parlementaire portant notamment sur la lutte contre le terrorisme, rappelle que la radicalisation est due à une multiplicité de facteurs, « La maison d’arrêt, mais aussi par Internet, par des rencontres, un lieu de prière ou par la Syrie. »

Alors que Bernard Cazeneuve entame sa tournée du gotha de l’industrie du Web la France fait l’actualité dans le domaine du Web pour une autre raison. Deux rapports publiés ce mercredi 18 février, révèlent que les services de renseignement français pourraient être à l’origine du virus informatique baptisé Babar. Identifié par le journal Le Monde grâce à la complicité d’Edward Snowden, ce virus permet d’enregistrer les échanges audio effectués depuis votre ordinateur, mais aussi de faire des captures d’écran et de saisir ce qui est tapé sur le clavier.

Les deux rapports publiés par la compagnie allemande G Data et la chercheuse Marion Marschalek dévoilent le fait que les créateurs de Babar pourraient être à l’origine d’un autre virus, Evil Bunny, moins perfectionné donc probablement antérieur. Les chercheurs estiment que la DGSE pourrait être à l’origine de ces deux projets destinés à rendre possible un cyber-espionnage à la française.

Suivez Pierre Longeray sur Twitter @PLongeray

Image via Flickr / Valsts kanceleja / State Chancellery