Société

Ce n’est pas demain que les homosexuels étrangers envahiront le Canada

Le nombre de migrants en provenance des États-Unis a explosé. Des centaines de personnes tentent d’entrer au Québec quotidiennement, tellement que les gouvernements ont dû instaurer des mesures extraordinaires, comme ouvrir un refuge temporaire au stade olympique. À l’aube des festivités de Fierté Canada Montréal, et au moment où l’on apprend cette arrivée massive de demandeurs d’asile au Canada, VICE s’est intéressé aux cas des migrants LGBTQ.

Le président tchétchène Ramzan Kadyrov a récemment soutenu qu’il n’y a pas de gais dans son pays, et s’il y en a, dit-il, ils n’ont qu’à partir pour le Canada. Alors que des récits d’arrestations, de détentions et de tortures d’homosexuels en Tchétchénie circulent depuis plusieurs mois déjà, le président a tenu ces propos devant un journaliste de la chaîne américaine HBO le 14 juillet dernier. Qualifiant les personnes LGBTQ de diables, il a affirmé qu’il fallait s’en débarrasser, que « ce ne sont pas des hommes ».

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Cette proposition de déporter tous les gais tchétchènes vers le Canada n’est évidemment pas une réelle piste de solution en réponse aux exactions du gouvernement tchétchène. Mais qu’en est-il des demandes d’asile des personnes LGTBQ qui veulent venir au Canada?

Ces demandes ont augmenté de près de 18 % entre 2014 et 2016, passant de 1218 à 1434, selon des données de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) obtenues grâce à une demande d’accès à l’information. Environ 30 % de ces demandes sont rejetées annuellement.

Le problème des visas

Dans presque tous les cas, ceux qui sont opprimés veulent quitter rapidement, mais il n’est pas facile de faire une demande d’asile à partir d’un pays où la discrimination est omniprésente, souvent dans la famille, dans la vie professionnelle ainsi que dans la fonction publique et ses services. Beaucoup tentent donc de fuir.

« Ils ne peuvent pas vraiment faire cette demande-là à l’étranger. Il faut absolument qu’ils aient quitté leur pays. Cette problématique-là est difficile », explique Christian Tanguay, directeur du Centre communautaire LGBTQ+ de Montréal.

Selon lui, la plus grande difficulté pour les personnes discriminées dans leur pays et qui veulent venir au Canada, c’est l’obtention du visa.

« Dans le cas des visas temporaires, de touristes, l’agent va analyser quelle est la chance que les personnes restent sur le territoire et ne retournent pas. Les visas vont être refusés sur cette base-là. On s’est battu beaucoup dans le cadre du Forum social mondial l’an dernier pour faire venir des personnes », dit-il.

Selon lui, il est plus facile d’obtenir un visa de touriste aux États-Unis. Pour cette raison, il reçoit au Centre de plus en plus de personnes qui n’ont séjourné que quatre jours en sol américain pour ensuite entrer « illégalement » au Canada.

« Ils ont pris un billet d’avion pour aller aux États-Unis, ils atterrissent à New York, prennent un autobus jusqu’à Plattsburgh et prennent un taxi pour aller à Roxham Road », explique-t-il.

Ramy Ayari, un activiste LGBTQ tunisien, s’était vu refuser une première demande de visa de voyage en mai 2016 alors qu’il était invité comme conférencier à l’UQAM. L’agent d’immigration craignait qu’il ne retourne pas en Tunisie.

Il a été invité une deuxième fois le mois d’août suivant, dans le cadre du Forum social mondial qui se tenait à Montréal. Cette fois-ci, son visa a été accepté après que Fierté Montréal ainsi que l’ambassadrice du Canada en Tunisie, Carol Mcqueen, ont soutenu sa demande. Mais après la conférence, son nom et son rôle d’activiste LGBTQ en Tunisie s’est mis à circuler de plus en plus.

Il s’est peu à peu mis à craindre le retour. Selon lui, le gouvernement tunisien n’a pas aimé qu’il salisse son image à l’étranger. « À ce moment-là, je me suis dit, je n’ai pas le choix, je vais exercer mon droit de demandeur d’asile ici », raconte-t-il. Sa demande a récemment été acceptée.

« Je connais au moins sept personnes LGBT qui ont fait une demande de visa et qui ont été refusées. Récemment, il y a une fille que je connais en Tunisie, c’était pour ça : elle a fourni un document qui mentionne qu’elle travaille pour une association LGBT, et sa demande a été refusée », explique Ramy.

Jean-Sébastien Boudreault, qui en plus d’être vice-président chez Fierté Montréal, est aussi président de l’Association québécoise des avocats en droits de l’immigration, estime lui aussi qu’il est difficile d’obtenir un visa, que ce soit comme touriste, dignitaire ou encore étudiant.

« Si on veut venir comme étudiant, il faut avoir beaucoup d’argent; comme touriste, il faut démontrer qu’on est capable de subvenir à nos besoins pendant qu’on est au Canada, et surtout qu’on a des raisons de retourner chez nous. Une situation qui n’est pas évidente pour les demandeurs LGBTQ qui sont souvent persécutés. […] Ils doivent souvent trouver des moyens qu’on dit “illégaux” de voyager, un faux passeport, un faux visa, par exemple », explique-t-il.

De nouvelles directives pour les commissaires

Lors de l’examen de leur dossier, les demandeurs d’asile doivent prouver qu’ils sont réellement LGBTQ et qu’ils sont persécutés pour cette raison dans leur pays d’origine . Les commissaires du CISR doivent entendre les témoignages des demandeurs avant d’arrêter leur décision. Ce processus a récemment été revu après que le manque de formation des commissaires et le peu de connaissances qu’ils ont des réalités des demandeurs aient été décriés.

En mai dernier, le CISR a annoncé la mise en place de nouvelles directives. « Elles ont pour but de favoriser une meilleure compréhension des cas portant sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre (OSIGEG), ainsi que du préjudice auquel sont exposées les personnes qui s’écartent des normes reconnues socialement relativement à l’OSIGEG », pouvait-on lire dans le communiqué publié lors de l’annonce.

Si ces nouvelles directives ont été bien accueillies par les différents groupes de défense des droits LGBTQ, tous ceux avec qui VICE s’est entretenu disent attendre de vrais résultats avant de s’en réjouir. Il n’est pas évident pour une personne ostracisée dans son pays d’origine de venir témoigner devant un inconnu afin de prouver ce qu’il a appris à cacher.

« C’est toujours le commissaire qui décide, donc, on va voir, mais ça reste une très bonne nouvelle », dit Gabriel Mujimbere, directeur adjoint d’Arc-en-ciel d’Afrique, un organisme qui travaille à l’intégration et à l’épanouissement des personnes LGBTQ d’origine africaine et caribéenne au Québec.

L’an dernier, le cas d’Emmanuel Chidoz, un Nigérian à qui on a refusé la demande de statut de réfugié, avait fait réagir Fierté Montréal et Arc-en-ciel d’Afrique. Les deux organismes avaient cosigné une lettre demandant que le processus de demande d’asile et de statut de réfugié des personnes LGBTQ fasse l’objet d’une révision complète. « Il y a urgence d’agir face à cette situation inquiétante : l’acceptation des nouveaux arrivants LGBTQIA dans la société québécoise et canadienne est ardue, voire impossible pour plusieurs », écrivait alors Fierté Montréal.

L’organisme préfère aussi attendre des résultats avant de se réjouir. « On va le constater au fur et à mesure que les directives vont être appliquées, mais une directive, ça demeure une directive, chaque commissaire a le loisir de l’interpréter un peu comme il le veut », explique Jean-Sébastien Boudreault.

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Il espère que les nouvelles formations mèneront à une plus grande ouverture d’esprit des commissaires envers les personnes LGBTQ. « Des échos que j’avais, les commissaires manquaient de formation, ils ne comprenaient pas les réalités LGBT, surtout pour les personnes trans, ils posaient des questions très très personnelles, des questions trop directes », affirme-t-il.

Depuis 2015, le Centre communautaire LGBTQ+ de Montréal rédige des lettres de recommandation pour appuyer les demandes d’asile de ses membres. Par ces lettres, l’organisme veut aider les gens à montrer leur implication au sein de la communauté LGBTQ. La demande pour ces lettres a rapidement augmenté, dit Christian Tanguay. « J’en ai fait 45 depuis la première : une dizaine en 2015 et plus d’une trentaine en 2016. » Il estime que cette initiative fonctionne bien et allège le fardeau de la preuve exigé aux demandeurs.