Culture

Ce que « 13 Reasons Why » montre de la dépendance à l’héroïne est réel

Cet article révèle des éléments de la série, évidemment.

La deuxième saison de 13 Reasons Why, l’émission pour adolescents qui a déclenché un débat national l’an dernier au sujet de ce que des critiques de télévision, des écoles, des parents, des psychologues et même des adosont décrit comme une glamourisation explicite et inutile du suicide, est maintenant sur Netflix.

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La saison 2 prend aussi de front des enjeux difficiles, ce pour quoi la série originale a été critiquée, et on doit donc s’attendre à une autre pléthore d’articles d’opinion dans lesquels on se demande si les jeunes doivent ou non la regarder. Déjà, des écoles prennent des mesures préventives, notamment en conseillant aux adolescents de la regarder avec un adulte de confiance, ou pas du tout.

L’an dernier, la production a réagi à la controverse en faisant précéder chaque épisode d’un message d’avertissement dans lequel des acteurs disaient que, si vous vivez une période difficile en raison d’une agression sexuelle ou si vous avez des pensées suicidaires, ce n’est peut-être pas l’émission pour vous. À la fin de chaque épisode, dans un autre message, on a recommandé à quiconque éprouve ce genre de difficultés de consulter une liste de ressources sur 13ReasonsWhy.info. Bizarrement, dans la liste, on trouve une ressource largement discréditée, le programme D.A.R.E mis de l’avant au plus fort de « la guerre contre les drogues », dans le cadre de laquelle des policiers visitaient dans les écoles pour dire aux étudiants de dire non à la drogue. (Des améliorations basées sur de l’information empirique ont récemment été apportées au programme.)

C’est d’ailleurs le thème de la saison 2, que je connais bien pour en avoir fait personnellement l’expérience : la dépendance à l’héroïne.

Au cours de ma dernière année au secondaire, en 2007, j’étais dépendant à l’OxyContin, et je suis passé à l’héroïne. Le taux de surdoses chez les adolescents de 15 à 19 ans a triplé entre 1999 et 2007d’après le Center for National Health Statistics. Bien que moins d’adolescents consomment aujourd’hui de l’héroïne ou d’autres opioïdes qu’en 1999, le taux de surdoses augmente, un indice que l’héroïne qui circule aux États-Unis est de plus en plus dangereuse.

Mon expérience n’a rien d’atypique, et c’est une copie conforme de ce que vit Justin Foley, un personnage de 13 Reasons Why interprété par un Brandon Flynn amaigri.

À la manière de la première saison, la dépendance de Justin est présentée jusque dans ses moindres et plus pénibles détails. Ce que des adultes et parents jugent explicite, les ados le considèrent comme authentique. Après tout, c’est en raison de ce réalisme qu’autant d’entre nous ont parlé de la série et qu’elle a connu un succès monstre. Du moins, c’est ce que montrent les résultats d’une étude de l’Université Northwestern commandée par Netflix. Et, d’après ma propre expérience d’ex-héroïnomane et de journaliste spécialisé en dépendance, la série dépeint cette réalité de façon authentique.

L’histoire de Justin dans la saison 1

Avant de plonger dans le sujet de la dépendance de Justin, commençons par un résumé de ce qui lui est arrivé dans la première saison. L’invraisemblablement profonde et éloquente Hannah Baker s’est suicidée, après avoir enregistré 13 cassettes dans lesquelles elle dit minutieusement qui est à blâmer. Dans l’une des cassettes qui circulent parmi les étudiants, elle dit à Justin d’être patient, qu’il entendra son nom de nouveau.

Hannah faisait allusion à un viol. Justin, présenté comme un jock doué d’un sens moral, sort avec la cheerleader Jessica Davis. Saouls lors d’un party, ils couchent ensemble, puis Jessica perd conscience et Justin quitte la pièce. Y entre ensuite Bryce Walker, le leader des jocks et meilleur ami de Justin, qui viole Jessica, alors à demi consciente. Justin tente d’intervenir, mais Bryce le repousse et continue. Tout ce temps, Hannah est cachée dans la pièce et s’estime a posteriori ainsi complice, tout comme Justin, du viol de Jessica. Elle conclut froidement qu’ils ont tous les deux laissé tomber Jessica.

L’évolution de la dépendance de Justin

La saison 2 commence par le procès d’Andrew et Olivia Baker, les parents d’Hannah, contre l’Evergreen County School District. Les Baker accusent l’école de ne pas être intervenue pour prévenir son suicide, et ce, même si elle a tenté d’obtenir de l’aide auprès de l’incompétent psychologue scolaire le jour de sa mort. Dans chaque épisode, des étudiants comparaissent en cour et y sont questionnés par l’impitoyable avocat de la défense. C’est dans l’épisode 3 qu’on revoit pour la première fois Justin, mendiant dans les rues d’Oakland. Ses vêtements sont usés, et un sac de sport bleu ciel Liberty High School contient sa vie entière.

L’un des protagonistes de la série, Clay Jensen, un jeune homme intègre et indigné, cherche à obtenir justice au nom d’Hannah, et Justin est le seul témoin qui peut l’aider à faire tomber Bryce Walker, qu’on voit, dans un flash-back, violer brutalement Hannah dans un spa. Pour convaincre Justin de revenir et de témoigner au procès, auquel il est cité à comparaître, Clay lui fait croire que Jessica (son ex-copine) veut reprendre avec lui (elle ne veut pas, en quelque sorte). Il planque Justin dans la maison de ses parents. Justin, qui a apporté de l’héroïne brune, fume à son insu dans le cadre de la fenêtre au moment où se termine l’épisode et que commence la musique pop qu’on entend tout le temps dans la série. (Justin, comme beaucoup d’héroïnomanes, commence par sniffer ou fumer plutôt que de s’injecter l’héroïne.)

La culpabilité qui pèse sur Justin après avoir laissé sa blonde se faire violer est un facteur parmi d’autres qui l’ont conduit vers l’héroïne. Contrairement à ses copains, qui portent des cardigans AllSaints et conduisent des décapotables, il est pauvre. On voit la maison délabrée dans laquelle il a grandi. Sa mère est une toxicomane qui fréquente un revendeur, Seth, que Justin surnomme Seth Meth. Ce dernier s’en est pris à lui physiquement à l’occasion, ainsi qu’à sa mère. Justin s’est enfui après avoir volé de l’argent à Seth.

La dépendance est souvent considérée comme une maladie qui ne fait aucune discrimination, c’est-à-dire que tout le monde est une victime potentielle. Par contre, il y a des facteurs internes et externes qui peuvent rendre des personnes plus vulnérables que d’autres aux dépendances. Dans le cas de Justin, il y en a plusieurs : la génétique, la pauvreté, une famille dysfonctionnelle, le sentiment de n’être aimé de personne.

« J’en suis venu à voir la dépendance comme une terrible tempête qui survient quand toutes les conditions sont réunies », me dit Nic Sheff, l’un des auteurs de la série. « La dépendance de Justin m’a semblé être une évolution naturelle. » Comme moi, Nic sait très bien ce qu’est la dépendance. Il a décrit sa sombre descente vers la dépendance à l’héroïne et à la meth dans son récit publié en 2007 intitulé Tweak.

Quand j’étais aux prises avec ma propre dépendance, je suis passé chez un ami pour acheter de l’herbe et j’ai vu Tweak sur sa table de salon. Cet ami-revendeur m’a dit que le livre était malade et que je devrais le lire.

Dans les groupes d’aide, on dit que « les demi-mesures ne nous mènent nulle part », ce qui signifie qu’on doit aller au bout. Cette expression décrit avec justesse 13 Reasons Why ainsi que l’écriture de Nic : c’est brutal et direct, on ne nous épargne rien. Cette absence de réserve provoque en nous une empathie hésitante pour un personnage qui se défonce, qui vole de l’argent, qui blesse les gens autour de lui. Il est difficile de regarder quelqu’un qui est prisonnier du cercle vicieux de l’autodestruction. Toutefois, par cette dure honnêteté, et sans être moraliste, Nic nous pousse à ressentir pour Justin la même empathie que l’on ressent pour lui en lisant Tweak.

L’empathie est le meilleur antidote aux préjugés, et on en a tragiquement besoin pour comprendre pourquoi autant de gens parmi nous meurent de surdose dans la vraie vie.

Sevrage et rechute

Le secret de Justin est révélé peu après son arrivée chez Clay : ce dernier découvre dans ses vêtements de l’héroïne et du papier d’aluminium, qu’il flushe. Commence ensuite une cure de désintox maison : Justin vomit entre des gorgées de Pepto-Bismol et d’Imodium.

Les scènes de sevrage dans les séries télé et les films sont notoirement exagérées. On pense inévitablement à l’intensité affectée dans Requiem for a Dream de Darren Aronofsky ou au jeune Leonardo DiCaprio en sueur dans The Basketball Diaries. Mais Brandon Flynn a trouvé le bon équilibre dans son interprétation d’un toxicomane en proie à des supplices physiques : en fœtus dans les couvertures, se serrant l’estomac, agité et incapable de rester en place. Avant de tourner la moindre scène touchant à la consommation d’héroïne, il a pris l’avion pour Los Angeles, où il a rencontré Nic, et ensemble ils ont assisté à une rencontre de toxicomanes anonymes et sont allés dans une clinique qui fournit de la méthadone.

« Il y a beaucoup de préjugés autour de la méthadone en particulier, me dit Nic. Je crois beaucoup en la méthadone et en la buprénorphine; en en prenant, on ne meurt pas. » Il ajoute que Brandon Flynn a été surpris par ce qu’il a vu à la clinique. Plutôt que d’être moralisateur, le médecin accueillait chacun avec un sourire. La visite, selon lui, lui a donné l’occasion de voir que les patients allaient réellement mieux. L’acteur a posé des questions au médecin à propos de tous les symptômes physiques du sevrage, ce qui l’a aidé à jouer de façon crédible. « Ç’a été fantastique de travailler avec Brandon, dit Nic. Il souhaitait vraiment comprendre et interpréter avec justesse. »

Dans la série, Justin finit par sortir de son sevrage et retourne à l’école, grâce au soutien de Clay et des parents de celui-ci. La mère de Clay était une avocate de l’équipe de défense de l’école, mais elle a dû se récuser parce que son fils (qui aimait Hannah) la plaçait en conflit d’intérêts. Quand elle apprend que Justin est de retour, elle est obligée d’en informer le tribunal puisqu’elle sait qu’il a été cité à comparaître. Avant son témoignage, on voit que Justin est très détendu avec les parents de Clay. Pendant un instant, il découvre ce que c’est de faire partie d’une famille aimante. Ils lui ont préparé le déjeuner, l’ont aidé à retourner à l’école, et ils regardent la télé avec un bol de pop-corn le soir : l’image que se fait Justin de la famille idéale.

Mais quiconque connaît l’emprise de l’héroïne sait que le sevrage n’est que le début. Ce qui suit quand on affronte ensuite la réalité sans analgésiques est une sorte d’engloutissement dans la dépression et le stress.

Quelques jours avant sa comparution, Justin se procure de l’héroïne à l’école. (Cette école a de sérieux problèmes.) Il cherchait de l’OxyContin, mais le revendeur lui a dit que c’est rare et cher. Justin a besoin de quelque chose et il a 20 dollars. C’est ainsi que ça se passe. L’été avant d’aller au collège, les médicaments d’ordonnance sont devenus à la fois trop chers et trop difficiles à trouver. Je suis alors passé à l’héroïne. Une histoire qui s’est répétée partout au pays. Un nombre sans cesse croissant de gens se sont retrouvés sans une source régulière d’analgésiques sur le marché noir et se sont par conséquent tournés vers autre chose : l’héroïne, de plus en plus coupée avec du fentanyl, un opioïde extrêmement puissant.

Surdose

Plus tard, on voit Justin pâle et amorphe, une aiguille dans le bras, sur le lit de Clay avec Alex à son chevet. (Dans la première saison, Alex a tenté de s’enlever la vie.) Justin est couché sur le dos, il a du mal à respirer. Alex, qui a perdu de la mobilité des suites de sa tentative de suicide, a du mal à le retourner pour lui ouvrir les voies respiratoires. La respiration de Justin est extrêmement faible. Dans un ultime effort, il parvient à le retourner, et, aussitôt, Justin vomit, puis respire mieux. « C’est la tolérance », dit Justin peu après. « J’en ai pris que quelques fois. » Comme la consommation de Justin a été intermittente depuis qu’il a emménagé chez Clay,sa tolérance a diminué, ce qui accroît le risque de surdose.

À l’instar des scènes de sevrage, celles de surdose à la télé et au cinéma s’écartent souvent de la réalité. La plus célèbre surdose est celle de Pulp Fiction, quand John Travolta plante violemment une énorme seringue d’adrénaline dans le cœur d’Uma Thurman. Encore aujourd’hui, les activistes en réduction des méfaits voient cette scène comme une belle occasion ratée d’informer le public au sujet de la naloxone, un antagoniste des opioïdes : elle annule les effets de la surdose. On l’administre de deux façons, par injection intramusculaire (dans la cuisse ou le bras) ou avec un vaporisateur nasal. Nic est aussi d’avis que l’éducation est un aspect important, mais il pense qu’il serait peu crédible qu’un adolescent de banlieue qui ne sait rien des drogues possède une trousse de naloxone. On voudrait qu’une équipe de scénaristes trouve une solution créative pour faire apparaître de la naloxone de façon plausible.

Après la surdose, Justin voit sa mère pour la dernière fois et en profite pour voler de l’argent à Seth encore une fois. Alors qu’il est sur le point de se geler de nouveau, Clay lui envoie un message texte pour lui demander de l’aide : Justin doit toujours témoigner et il est un élément indispensable de la stratégie de Clay pour faire tomber les jocks. Les mots magiques qui convainquent Justin de renoncer sont : « J’ai besoin de toi. » Ses amis, c’est tout ce qu’il a, et il doit choisir son camp : les violeurs ou ceux qui font tout pour que ceux-ci répondent de leurs actes.

Quand Clay rejoint Justin à l’arrêt d’autobus, il lui demande s’il est passé chez lui. Justin répond qu’il est juste allé voir sa mère, laissant entendre que ce n’est plus chez lui. L’absence de domicile et de parents sur lesquels il peut compter nourrit sa dépendance. L’effet des opioïdes s’apparente à un grand réconfort, un antidote idéal pour la profonde solitude et le besoin d’affection que ressent Justin. Il peut créer artificiellement ce bien-être avec l’héroïne, mais aussi le trouver naturellement avec Clay et ses parents.

Justin décide de témoigner contre Bryce, même si, par le fait même, il s’incrimine en tant que témoin d’un viol qui n’a pas porté assistance à la victime. L’avocat de la défense sans pitié évoque la dépendance à l’héroïne de Justin devant le tribunal, forçant Justin à dire, pour garder sa crédibilité, qu’il est en voie de s’en sortir, ce qui est vrai à ce moment de la série — du moins, il essaie.

Réhabilitation

Toutefois, ce sera de courte durée. Il est condamné à la détention dans un établissement pénitentiaire pour mineurs. Les riches parents de ce dernier ont immédiatement payé sa caution. Justin, lui, n’est pas libre avant un mois parce qu’il est mineur et sans domicile ni parents ou tuteur. Les parents de Clay résolvent ce problème en adoptant officiellement Justin.

Toutefois, même s’il s’est enfin trouvé une famille, Justin a du mal à combler un vide. Pour le combler, il s’injecte de l’héroïne entre les orteils, plutôt que dans le bras, car c’est plus discret. Clay ne sait pas que Justin, maintenant devenu son frère adoptif, fait une rechute.

« Si la série se poursuit, on pourra explorer la réhabilitation d’un adolescent, la difficulté, les hauts et les bas », me dit Nic à propos d’une suite possible. « C’est un enjeu tellement important maintenant, et les adolescents doivent en être conscients. »

Je suis passé par quelques tentatives ratées avant de m’en sortir pour de bon. Justin n’a que 17 ans, il a commencé jeune, et a donc de nombreuses années devant lui. J’ai commencé à consommer à peu près au même âge que lui et j’avais 23 ans lors de ma dernière cure de désintox, quand, finalement, ça a marché. Comme moi, Justin pourrait avoir besoin d’un véritable traitement, peut-être de médicaments comme la buprénorphine ou la méthadone pour rester sur la bonne voie. Il est normal qu’il reste attiré par l’héroïne; il a encore beaucoup de choses à régler.

Nic me dit que, de toutes les intrigues de la série, celle de Justin est celle en laquelle il croit le plus. Oui, on voit Justin s’injecter de l’héroïne, on le voit en sevrage, on le voit faire une surdose, mais on n’a pas l’impression qu’il s’agit de voyeurisme, comme lorsqu’on voit une personne faire face à son entourage dans Intervention. Les opioïdes sont à l’origine d’une crise nationale, et Justin n’est pas qu’un simple accessoire pour le montrer. La dépendance est complexe, et la série a créé un personnage qui suscite de l’empathie et auquel peut s’identifier – peut-être même trop – un adolescent d’une quelconque banlieue.