Ça s’est passé à Aniche, dans les Hauts-de-France, le 15 novembre 2015. Quand Manon tire son compagnon Aurélien Vervelle de son sommeil pour lui dire que le « chien aboie » à l’étage inférieur, le réveil affiche 5 heures du matin. Pas de quoi ébranler ce restaurateur de 33 ans. Mais lorsque les bruits se font plus pressants et que de gros coups sont frappés à la porte, Aurélien décide alors d’aller voir. « Ouvrez, brigade des stups ! », gueulent non pas un, mais deux hommes.
Décontenancé par ce qui lui arrive, Aurélien pense alors que des potes sont en train de lui faire une blague. Après quelques secondes d’hésitation, il entrouvre la porte aux policiers. Et il regrette aussitôt son choix. Les deux hommes fondent sur lui et pénètrent dans le logement. Le duel est perdu d’avance : d’un côté un homme seul et en caleçon, de l’autre deux types armés et bien réveillés.
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La thèse de la blague de pote s’évanouit définitivement lorsque les agresseurs sortent des câbles électriques, ligotent le couple et commencent à fouiller la baraque.
Au bout d’une demi-heure à assister, impuissant, à la scène qui se déroule sous ses yeux, Aurélien parvient tout de même à défaire ses menottes de fortune avant que la lumière ne s’éteigne dans sa tête. Un gros coup de crosse, reçu en pleine gueule. Pendant ce temps-là, l’autre pointe son arme sur Manon. « Ferme ta gueule ou je te bute . » Le message est passé. Dans sa tête, les questions fusent : « Qu’est-ce qu’on fait ? Comment ça se finit ? » Au bout de trois-quarts d’heure, les braqueurs finissent par déguerpir, emportant avec eux le minimum syndical. Rien n’a disparu, si ce n’est une petite liasse de billets – 300 euros en tout – qui traînaient sur la table.
Avant de disparaître aussi vite qu’ils étaient arrivés, les deux agresseurs menacent Manon. « Si vous racontez ce qui s’est passé, on connaît l’adresse. On revient vous tuer. Tu diras que t’es tombée dans les escaliers – c’est comme ça et pas autrement. »
Mort de trouille, le couple décide de maintenir cette version jusqu’à ce que les masques tombent. Avec le visage d’Aurélien, tuméfié, la thèse ne pouvait tenir bien longtemps. Les parents de Manon prennent les devants et préviennent les forces de l’ordre. Aujourd’hui, un an après les faits, après deux opérations au visage, un déménagement et une enquête de police qui piétine – faute de témoins et de preuves, et malgré deux mises en garde à vue –, le couple a décidé de prendre les devants en lançant un appel à témoins.
En attendant de trouver la personne qui permettrait de faire avancer l’enquête, Aurélien et Manon ont accepté de répondre à mes questions.
VICE : Bonjour Aurélien. Un an après votre séquestration, où en êtes-vous aujourd’hui ?
Aurélien : Il n’y a aucune avancée nouvelle suite à l’appel à témoins. Après, la PJ a peut-être des pistes mais ils ne peuvent rien nous dire pour l’instant. Ils restent assez vagues dans ces cas-là. On a reçu beaucoup d’appels et de messages de gens qui voulaient simplement nous dire qu’ils étaient de tout cœur avec nous. Mais à part ça, il n’y a rien eu de concret.
Manon : On est persuadés que des gens ont entendu ou vu quelque chose ce soir-là. Je pense que s’ils ne se sont pas manifestés, c’est par peur des représailles.
L’enquête de police n’a rien donné jusqu’ici ?
Aurélien : Au début, la PJ de Lille nous a dit de ne strictement parler de rien à personne, de garder tous les dessous de cette affaire secrète car ils « étaient sur une piste ». Ils comptaient mettre des gens sur écoute et ne voulaient pas qu’à cause d’une information qui sortirait dans la presse ou ailleurs, tout cela tombe à l’eau. Des personnes ont même été mises en garde à vue par deux fois dans cette histoire – mais elles sont sorties libres, faute de preuves.
Depuis l’agression, arrivez-vous à vous reconstruire ?
Aurélien : Non. C’est impossible. On a déménagé, on est devenu très méfiants, tout le temps. On a équipé notre nouveau logement de caméras, de détecteurs de mouvement, et d’alarmes.
Manon : On est encore très marqués par ce qui s’est passé. Dès qu’il [Aurélien] fait une fermeture de restaurant le soir, je suis en panique. Je me demande si quelqu’un d’autre va débarquer. Pour moi, marcher dehors le soir, ce n’est même plus possible. Il m’arrive même d’avoir peur de jour lorsque je suis dehors ou que je vois qu’une voiture me suit depuis trop longtemps. On avait le projet de faire un bébé ; on a tout stoppé parce que je ne voulais pas vivre une grossesse dans cet état d’esprit. À bien y réfléchir, tout a changé dans notre vie.
Avez-vous gardé des séquelles suite à l’agression ?
Manon : Aurélien est paralysé sur toute la partie gauche du visage. Ses nerfs et ses muscles ont été écrasés. Et il a dû affronter une perte de sensibilité dans toute la zone. L’œil et la bouche fonctionnent, mais il ne ressent plus rien.
Aurélien : Et ça peut s’améliorer comme cela peut très bien rester ainsi.
Manon : On a déjà dépassé les délais théoriques du retour à la normale.
J’imagine que l’agression a également influé sur vos jobs respectifs.
Manon : Comme je suis indépendante, j’ai mis mon agenda en stand-by et je n’ai pas bossé pendant un certain temps. Je restais avec mon conjoint. En plus c’était une période où Aurélien n’était pas facile : il ne voulait pas que je le regarde, mais il ne fallait pas non plus que je m’éloigne. Donc il fallait que je sois là sans être là.
Aurélien : On m’a mis des broches dans le visage pour reconsolider les os. De fait, j’avais du mal à manger, et physiquement je me trouvais laid. À ce moment-là, j’ai perdu dix kilos. J’avais du mal à ouvrir l’œil, tout comme la bouche.
Vous avez quitté votre maison après les événements ?
Manon : On est allé vivre chez mes parents. J’ai repris ma chambre d’enfant, je me suis recréé un cocon, les volets étaient fermés et je ne voulais plus sortir. Ça a duré plus de trois semaines, avant que finalement, je reprenne le boulot. Pendant plus d’un mois Aurélien n’a pas travaillé non plus.
Comment vous en êtes-vous tiré d’un point de vue financier ?
Aurélien : À ce moment-là, je venais de racheter un fonds de commerce et on avait prévu de faire l’ouverture trois jours après notre agression. J’avais déjà acheté la marchandise, payé les charges, embauché des salariés. On a dû tout mettre en stand-by, toute la marchandise était à la poubelle. Et pendant ce temps-là aucun argent ne rentrait.
Manon : On a été contraints de déménager. On a pris une location. Pendant ce temps-là, notre maison, pour laquelle on payait un crédit, demeurait inhabitée.
Aurélien : Ce fut une période très compliquée. Un an après, on commence seulement à–
Manon : À sortir la tête de l’eau. Mais ce n’est pas le plus important. Aujourd’hui, on pourrait me donner tout l’or du monde je n’en veux même pas. Moi ce que je veux ces que ces gens payent de leur liberté.
Arrive-t-on à ne pas se laisser bouffer par la soif de vengeance ?
Aurélien : Ce n’est pas facile, non. Aujourd’hui j’ai la haine. J’ai complètement la haine. La nuit dernière, je n’ai pas réussi à dormir avant 4 heures du matin alors que j’avais un rendez-vous très important à 8 heures Je cogite. Je vais sur Internet, je fais des recherches – je n’ai fait que ça de toute la nuit. De minuit à 4 heures du matin, je m’improvisais détective.
Quel message voulez-vous faire passer aujourd’hui ?
Aurélien : On voudrait dire aux personnes qui auraient vu ou entendu quelque chose ce soir-là que le témoignage peut se faire de manière anonyme. Et pour les auteurs des faits, on veut leur dire qu’on ne s’arrêtera jamais de les rechercher.
Manon : Et même si on a toujours un peu peur, c’est mort : on ne lâchera jamais l’affaire.
Aurélien : Il y a des gens qui nous demandent si on ne craint pas qu’ils [les agresseurs] reviennent. Eh bien si, bien sûr – mais sinon on fait quoi ? On reste chez nous et on vit sans avoir de réponse ? Non.
Manon : Cet événement a changé notre façon de vivre, notre vision des choses – notre vie. Ça nous a totalement modifiés. Il n’est pas question que l’on subisse aujourd’hui une vie qu’on n’a pas choisie.
Merci à tous les deux.
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