Ce que ça fait de vivre avec la phobie de parler

Cet article a été initialement publié sur Broadly.

En 2012, quand elle avait 17 ans, Anna Clark s’est assise sur son lit pour écrire dans son journal intime.

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« J’ai l’impression d’être au milieu du tarmac d’un aéroport, et que tout le monde me regarde depuis les espaces verts. J’ai l’impression d’être piégée dans une boîte. »

Elle a toujours été terriblement timide. Petite, elle ne se séparait jamais de sa couverture en satin, et durant sa première année d’école, elle ne répondait aux enseignants que d’une toute petite voix.

Puis à l’âge de six ans, sa voix a commencé à disparaître complètement, comme la petite tache blanche qui subsiste lorsque vous éteignez un vieux téléviseur – petite, minuscule, effacée. Quand elle n’était pas avec sa famille, les mots ne sortaient pas.

À 32 ans, ils ne sortent toujours pas.

« Je me revois en classe avec la maîtresse », m’explique-t-elle par mail. « Elle voulait que je lise à haute voix, mais j’en étais incapable. J’étais pétrifiée. »

Ce dont personne ne se doutait à l’époque, c’est que ce symptôme n’allait qu’empirer. « Au collège, j’ai pu parler un peu à quelques amis, mais j’ai complètement régressé au lycée, déclare-t-elle. Je ne pouvais m’adresser ni aux professeurs, ni aux élèves. Certains élèves venaient me parler ; je ne répondais pas, alors ils se sont mis à m’éviter. »

Anna a écopé du surnom « la fille qui ne parle pas ». Quand elle avait besoin de quelque chose, elle gribouillait une note qu’elle donnait au professeur, et le midi, elle mangeait seule.

Cette vie de paria était non seulement douloureuse, mais aussi terriblement ennuyeuse. Sans les marqueurs habituels de l’adolescence – avoir une meilleure amie, passer des heures interminables au téléphone – la vie académique n’était qu’un flou désolant. « Jour après jour », écrivait-elle dans son journal. « C’est tellement monotone. »

L’ennui, les regards insistants, les déjeuners en solitaire ; c’en était trop, et à 15 ans, son corps lessivé s’est révolté. Des crises de panique et une grosse dépression lui ont fait quitter l’école « pour un bon bout de temps », et quand elle y est retournée, un professeur était là pour l’aider.

« Les limites de mon langage sont les limites de mon propre monde », écrivait le philosophe Ludwig Wittgenstein. Le monde d’Anna rétrécissait à mesure que celui de ses camarades s’ouvrait. Sa mère a pourtant tout fait pour l’aider, même après qu’elle a obtenu son diplôme d’études secondaires. « Je pense que je suis impuissante », écrivait-elle dans son journal.

Anna a commencé à s’inquiéter pour son avenir : un jour, sa mère serait vieille et ce serait à elle de tout gérer. Des choses comme aller au supermarché. C’était impensable à ses yeux – le mur qui la séparait du monde parlant était trop haut et trop épais.

Mais si elle peut parler, se demandaient de loin son frère et son père, pourquoi ne le fait-elle pas ?

Le mutisme sélectif est un trouble anxieux largement inconnu, défini comme une phobie de parler.

Les patients sont pleinement capables de parler dans certaines situations, à la maison par exemple, mais restent muets dans d’autres situations publiques ou sociales, incluant l’école, l’université, les collègues ou les inconnus – soit n’importe où et avec n’importe qui en dehors de leur zone de confort.

Le mutisme sélectif est psychogène, c’est-à-dire qu’il se manifeste physiquement, mais sa cause profonde est psychologique. Les personnes souffrant de ce trouble ne sont pas muettes à cause d’un problème des cordes vocales ou d’un défaut d’élocution. Elles ont simplement la crainte débilitante de paraître étrange ou stupide. La chose à savoir est que les patients ne choisissent pas de ne pas parler – leur silence va au-delà de leur contrôle conscient, même quand il attire les regards insistants qu’ils redoutent tant.

« Nous pouvons tous nous retenir de parler par choix, mais c’est généralement de courte durée et ça ne ressemble en rien à l’incapacité de parler », déclare Alison Witgens, orthophoniste au St George’s Hospital de Londres, qui a écrit plusieurs ouvrages sur le mutisme sélectif. Les personnes qui en souffrent, explique-t-elle, « paniquent intérieurement, deviennent pétrifiées physiquement et n’arrivent plus à émettre de son. »

Quand Anna essaie de parler, la honte l’emporte sur la raison. Personne ne m’aime, se dit-elle. Tout le monde me trouve bizarre. Puis tout son corps finit par la lâcher. « Mon visage se crispe. Ma gorge se serre, mon ventre se tord, mes genoux tremblent… »

Afin d’éviter de tels épisodes, elle évite des situations en apparence normales : le boulot, les repas au restaurant, les vacances, les transports publics, le shopping. Il y a quelques années, elle a compris que même si elle retrouvait subitement l’usage de la parole, elle ne saurait même pas tenir une conversation. Même le fait de marcher dans la rue lui donne la nausée. De même qu’entrer dans un magasin – « J’ai toujours peur qu’un vendeur vienne me proposer son aide. »

Conduire n’est pas envisageable non plus. Et si un accident l’obligeait à parler avec un autre conducteur ? « Et si jamais un policier m’arrêtait pour souffler dans le ballon ? J’aurais peur d’être pétrifiée et d’être incapable de dire quoique ce soit. Il se demanderait ce qui cloche chez moi. » Elle a obtenu son permis il y a deux ans, mais seulement parce que son frère l’a accompagnée aux leçons et a pris la parole à sa place.

Il y a pourtant de petites exceptions : elle peut dire au revoir à des membres éloignés de sa famille quand ils viennent rendre visite, mais seulement si elle se trouve derrière une porte ou un mur. Et il arrive qu’elle lâche un « merci » dans un magasin, quand elle est loin de sa ville natale où tout le monde la connaît.

Anna, qui écrit avec le style un peu formel d’une personne éduquée mais intouchée par les raccourcis conversationnels, vit dans une ferme en Nouvelle-Zélande avec sa mère et bénéficie d’une allocation de maladie. Tous les jours, elle participe aux tâches ménagères, s’occupe des animaux et écoute de la musique (« chrétienne contemporaine »). Le soir, elle fait une longue balade et regarde un DVD (« Nous aimons les drames historiques, comme Orgueil et Préjugés »).

Elle ne quitte sa maison que pour aller voir son psychiatre. Elle lui écrit un message sur son portable. « J’ai besoin de me sentir plus heureuse et moins anxieuse avant même d’essayer de parler. »

« Le mutisme sélectif se raréfie avec l’âge », déclare le Dr Elizabeth Woodcock, psychologue clinicienne et directrice de la Selective Mutism Clinic à Sydney.

Des enquêtes menées au Royaume-Uni indiquent que sept enfants sur 1 000 souffrent de mutisme sélectif, contre un adolescent sur 1 000 et un jeune adulte sur 2 400.

Selon le Dr Woodcock, d’autres troubles anxieux peuvent se développer plus tard dans la vie, mais le mutisme sélectif apparaît presque toujours entre trois et six ans. « À un moment donné, les enfants finissent par recevoir un traitement adéquat. Les parents continuent de chercher jusqu’à trouver quelque chose qui fonctionne. »

Les cas adultes sont par conséquent infiniment plus complexes. Si la maladie persiste à l’âge adulte, c’est soit que sa gravité a entraîné un échec du traitement, soit que le traitement approprié n’a pas été trouvé ou que le problème n’a pas du tout été traité.

Les proches d’Anna ont fait ce qu’ils ont pu – elle a bénéficié de conseillers et d’antidépresseurs, et son école a même organisé une thérapie artistique. Mais ils vivaient à la campagne et avaient des moyens limités.

« Tout porte à croire que l’amygdale des personnes souffrant de mutisme sélectif réagit beaucoup trop », déclare le Dr Aimee Kotrba, psychologue clinicienne au Thriving Minds Behavioral Health, une clinique pédiatrique du Michigan dédiée aux troubles anxieux.

L’amygdale, que le Dr Kotrba défini comme étant le « chien de garde de notre cerveau », est un ensemble de neurones de la taille d’une amande situé dans le lobe temporal médial du cerveau, qui abrite notre réponse à la peur. En d’autres termes, son boulot est de signaler tout danger éventuel. Le problème est que les personnes atteintes de mutisme sélectif voient le danger dans des tas d’endroits différents, ce qui explique leurs symptômes physiques : le blocage, les palpitations cardiaques, la tension musculaire.

L’anxiété serait un mélange de génétique (relatif à la nature) et de modélisation (relatif à l’éducation). Nombre de personnes atteintes de mutisme sélectif viennent d’une famille anxieuse, explique le Dr Kotrba.

La famille d’Anna a lutté contre l’anxiété, la dépression, l’anorexie et le trouble obsessionnel compulsif pendant des années. Elle avait donc tous les risques d’hériter d’une anxiété grave. Le fait que cette anxiété se soit ensuite manifestée sous la forme du mutisme tient également de la malchance et a probablement été déclenché au moment de son entrée à l’école.

Elle a pourtant obtenu des diplômes en informatique et en histoire, « des choses que je pouvais faire sans parler ». Cela impliquait tout de même de vivre avec son frère pendant ses études et de communiquer par mails avec ses tuteurs, mais elle l’a fait. Elle n’a cependant jamais eu de travail, ni de relation.

Qui serait Anna si elle pouvait parler ? « J’aurais un boulot et je ne dépendrais pas des autres dans la vie de tous les jours, affirme-t-elle. Peut-être que je voyagerais, peut-être que je me marierais et que j’aurais des enfants. Je pourrais essayer de me faire des amis. Je pourrais trouver quel est mon rôle dans la vie. »

Les experts en mutisme sélectif, et Dieu sait qu’ils sont rares, utilisent les termes « caché » ou « invisible » quand ils évoquent la maladie.

Afin de comprendre pourquoi, il est nécessaire de remonter à l’origine – qui n’est pas si lointaine. Le mutisme sélectif a été rapporté pour la première fois par un physicien allemand, Kussmaul, en 1877. Après avoir rencontré des enfants qui « refusaient » de parler, il nomma le trouble Aphasia Voluntaria.

S’en est suivi un siècle de néant ; jusqu’aux années 1990, le mutisme sélectif était largement ignoré, considéré comme trop rare pour être d’intérêt public. Les quelques publications existantes sur le sujet datent des années 1960 et dépeignent une image éhontément négative d’enfants manipulateurs et entêtés.

Finalement, en 1994 – grâce au lobbying de la Selective Mutism Foundation – le deuxième nom du trouble, « mutisme optionnel », fut abandonné, en reconnaissance du fait que les patients ne choisissaient pas de se murer dans le mutisme. Ce n’est qu’à partir de là que la porte vers l’illumination a commencé à s’ouvrir en grinçant.

Quoi qu’il en soit, elle grince toujours, selon Toni Pakula, cofondateur de Voice, une association néo-zélandaise qui vient en aide aux personnes atteintes de mutisme sélectif. « La majorité des gens n’ont soit jamais entendu parler du mutisme sélectif, soit interprètent mal ce qu’il implique. Des parents nous ont dit que les médecins leur avaient conseillé de se renseigner sur Google. »

Et pourtant, en 2017 – surtout grâce à Internet – les jeunes enfants atteints de mutisme sélectif disposent de ce dont ils ont besoin. Ils peuvent compter sur la documentation disponible, les groupes de soutien, les recherches en cours, ainsi que la pratique des meilleurs spécialistes en pédiatrie.

Mais la réalité est bien différente pour les adultes. Pour eux, pas de documentation, pas de recherches, pas de conférences, et encore moins de cliniques spécialisées.

En gros, si vous êtes un adulte et que vous êtes atteint de mutisme sélectif, bonne chance à vous.

« Peu de gens comprennent que des adultes peuvent en souffrir, déclare Pakula. J’ai peur quand je pense à toutes ces voix perdues là dehors – ces gens enfermés chez eux, dans la rue. Certains deviennent agoraphobes, d’autres se tournent vers l’abus de substances ou d’alcool, et beaucoup d’entre eux sont dépressifs. »

Pourquoi cet oubli flagrant ? Une des explications est que les cas adultes sont plus rares. Une autre est que les adultes souffrants de mutisme sélectif se cachent souvent du monde extérieur. Même s’ils sortent de chez eux, leur maladie n’est pas détectable, contrairement à d’autres problèmes liés à la parole, comme le bégaiement ou le syndrome de la Tourette.

Le plus troublant, c’est que les corps médicaux, presque tous sans exception, définissent le mutisme sélectif comme un trouble de l’enfance uniquement, et ce, malgré l’inclusion des adultes dans la description officielle du DSM. Ce qui signifie qu’Anna demeure invisible non seulement aux yeux de la vie publique, mais aussi des champs médicaux qui touchent à son handicap.

Carl Sutton, qui dirige iSpeak – la seule organisation au monde qui répond aux besoins des patients adultes – a écrit à de nombreux experts du mutisme sélectif au sujet de cette omission. « Mais ils sont assez fermés d’esprit à ce propos », déclare ce professionnel de la technologie de l’information basé en Grande-Bretagne. « Je me fais jeter quand je leur dis “Excusez-moi, pourriez vous changer les infos présentes sur votre site ? Elles sont incorrectes” ».

« J’existe, de même que toutes les personnes avec qui j’ai été en contact. »

En 2003, il a mené une étude sur les patients adultes dans le cadre de son master en psychologie. Il a interviewé 83 personnes venant de 11 pays différents et a noté leur extrême vulnérabilité à la dépression : approximativement quatre fois plus élevée que celle de la population globale.

Seul un quart des sujets de Carl a reçu un diagnostic formel.

« Donc, il se pourrait qu’il y ait beaucoup plus de personnes atteintes du trouble qui n’ont pas reçu un diagnostic formel, mais qui sont tout autant touchées par cette maladie. »

« J’ai souvent l’impression que je suis la seule personne à me battre pour démontrer la réalité de cette maladie. »

Sur SM Space Cafe, un groupe de soutien privé sur Facebook, 553 personnes du monde entier sont occupées à échanger leurs impressions et à poster des citations motivantes (« C’est un processus lent, mais renoncer ne l’accélérera pas »).

Une jeune femme a photographié son art fait maison : quatre papillons accompagnés de la phrase : « Un jour, nous trouverons nos ailes et nous serons libres ».

Certains membres du groupe font état de progrès, comme passer un coup de fil quand personne ne regarde. D’autres se lamentent d’avoir fait un pas en arrière. « Est-il possible d’avoir un mutisme sélectif et de vivre heureux ? » demandent-ils. « Quelles techniques ou thérapies fonctionnent pour vous ? »

La plupart ne sont jamais allés voir un médecin pour leur mutisme, sans parler d’un médecin qui en sait réellement sur la chose, et encore moins d’un médecin qui sait réellement traiter le mutisme.

Ils sont juste soulagés d’avoir trouvé un endroit où ils ne se démarquent pas : « J’ai toujours pensé qu’il n’y avait que moi ». « Moi aussi. » « J’ai toujours pensé que j’étais seul. » « Je pense que nous l’avons tous pensé. »

Tôt ou tard, quand vous souffrez de mutisme sélectif, votre silence est mal interprété. Les gens pensent que vous êtes incroyablement impoli, ou déficient mental. C’est pourquoi les membres de Space Cafe sont aussi enclins à aider les personnes extérieures à comprendre leur handicap.

Declan, métreur, est âgé d’une trentaine d’années et vit en Irlande. Il ne peut parler à quiconque fait partie de son passé et l’a connu en tant qu’enfant sélectivement muet.

« J’avais l’impression qu’il y avait un second cœur dans mon intestin qui faisait jaillir des flux de liquide sucré et maladif », dit-il, décrivant son enfance silencieuse. « Quand le moment venait de passer à l’action [parler], ce liquide gelait, se répandait, et resserrait ma gorge et mon corps. Plus j’essayais de le combattre, plus il était intense. »

Aujourd’hui, « Je me sens énervé, humilié et faible quand je n’arrive pas à parler ».

Quand il avait six ans, ses parents l’ont emmené voir un orthophoniste. « Je crois qu’ils pensaient que je ne parlais pas parce que je ne savais pas prononcer les mots correctement », se souvient-il. « Mais ce n’était pas le cas. Je n’ai jamais compris ce que je faisais là-bas. »

Gabrielle, 28 ans, est originaire de Pennsylvanie. Un jour, à l’âge de neuf ans, elle s’est réveillée avec un rhume et sa voix avait disparu. « Quand ma voix est revenue, dit-elle, je ne l’ai tout simplement pas utilisée. »

Becky, 29 ans, originaire du Yorkshire, arrive à parler à la plupart des gens, mais ne peut prononcer qu’un ou deux mots. « Après ça, mon esprit devient vide, et quelqu’un doit intervenir pour me sauver. C’est comme si quelque chose de physique bloquait ma voix, explique-t-elle. Je suis en train de crier les mots dans ma tête, mais ils ne descendent pas jusqu’à ma bouche. »

Elle ne peut pas travailler, et son partenaire doit passer les coups de fil à sa place. Si ça ne tenait qu’à elle, « Je serais une personne sociable et bavarde – ce que je suis, à la maison. Mais il n’y a personne pour le voir ; personne ne voit le vrai moi. »

Marian Moldan, une clinicienne du travail social, dirige un groupe de soutien pour les jeunes adultes souffrant de mutisme sélectif à New York. Selon elle, il est absolument « impératif » que les patients adultes soient reconnus par la communauté médicale au sens large, afin que les services de santé rattrapent leur retard.

Deux choses l’inquiètent : « Le manque de soins médicaux et de soins auto-administrés [chez les malades], parce qu’ils ont peur d’avoir à parler à un médecin, un dentiste ou un spécialiste de la santé ». Et l’incapacité de ses clients à entamer des relations amoureuses. À cause de l’absence d’interactions formatives à l’adolescence, le risque d’une vie solitaire est dangereusement élevé.

Le Dr Aimee Kotrba est une des seules spécialistes de l’anxiété à avoir été confronté à des cas de mutisme sélectif chez l’adulte. Elle explique que ces cas ont tendance à être « assez difficiles ». Tout d’abord, ils se réfèrent rarement au traitement, car ça revient à « provoquer de l’anxiété ».

Ensuite, de nombreux adultes souffrants de mutisme ont des proches et des collègues qui « comblent » leur manque de discours, si bien qu’ils sont moins susceptibles de se sentir motivés à parler.

« Finalement, le mutisme devient une habitude, une partie de leur répertoire comportemental, ainsi qu’une partie de la personne qu’ils sont, ce qui rend le comportement encore plus difficile à modifier. »

Cela peut sembler sans espoir, déclare le Dr Kotrba, mais une guérison est possible : « La clé est la motivation ou l’envie de changer, ainsi qu’une volonté de s’engager dans des activités sociales, même si c’est difficile.

« Il est également important de savoir si le psychologue a de l’expérience dans le traitement de l’anxiété – en particulier l’anxiété sociale ou le mutisme sélectif chez les adultes – et s’il a recours à une thérapie cognitivo-comportementale. »

Mais la proximité physique avec un spécialiste comme le Dr Kotrba est une exception et non la règle. Et une thérapie coûte de l’argent. En particulier si, comme beaucoup de personnes souffrant de mutisme, l’emploi rémunéré n’est pas une option.

Dans la plupart des pays, l’accès aux services de santé mentale publics ou subventionnés exige la recommandation d’un médecin généraliste. C’est un autre obstacle à surmonter, selon Toni Pakula de Voice. « Souvent, il est très difficile d’aller voir un médecin de son plein gré pour une personne souffrant de mutisme. »

Même si les patients réussissent à obtenir l’accès au traitement à prix réduit, « je ne suis pas sûr qu’ils tomberont sur une personne ayant entendu parler du mutisme sélectif chez l’adulte. À mon avis, chercher de l’aide – puis obtenir l’aide adéquate venant de personnes qui comprennent – serait un défi de taille. »

L’écrivaine défunte Maya Angelou a eu un mutisme sélectif entre ses huit et treize ans. « Je considérais mon corps entier comme une oreille, a-t-elle écrit, si bien que je pouvais aller dans une foule, rester assise et absorber tout le son. Ce talent ou cette capacité a persisté et m’a servi jusqu’à aujourd’hui. »

« Quand on ne peut pas parler, on écoute vraiment », m’écrit Carl Sutton, d’iSpeak. « On vit dans les pensées et les sentiments des autres, et on peut avoir un profond niveau d’empathie. Ce n’est pas le cas de tout le monde, et dans l’ensemble, le mutisme est une épreuve, mais cette lutte avec la communication nous enseigne ce que veut dire être humain. »

Pour Anna, il est difficile de réfléchir aux vérités humaines qu’on peut tirer de la torture du mutisme sélectif. Sa dépression est sévère en ce moment et elle a peu d’énergie.

« J’ai entendu des gens dire que le mutisme sélectif avait fait d’eux de meilleurs auditeurs et de meilleurs observateurs, mais je n’ai rien remarqué de tel chez moi », m’écrit-elle par mail.

« Je trouve au contraire que mon anxiété me rend moins observatrice et que je n’entends pas certaines choses importantes. Je pense que le seul bon côté du mutisme sélectif, c’est qu’il vous donne la capacité de sympathiser avec d’autres personnes qui se sentent isolées ou différentes.

Merci,

Anna. »

* Les prénoms ont été modifiés pour préserver l’anonymat des personnes citées.